(La) Horde – Marry Me in Bassiani
Voilà une rentrée tonitruante pour (La) Horde : d’abord leur nouvelle création Age of Content pour le Ballet national de Marseille, présentée à la Biennale de la Danse. Puis la recréation d’une pièce phare de leur répertoire, Marry Me in Bassiani (2019), qui révéla le collectif au grand public et leur offrit une visibilité internationale. Construite avec les danseuses et danseurs géorgiens de l’Ensemble Iveroni, Marry Me in Bassiani est une œuvre baroque et sur-vitaminée, qui déroule un tourbillon virevoltant ancré dans les danses folkloriques géorgiennes. Le tout interprété par un groupe virtuose mis en scène par (La) Horde, mais qui se limité à être un divertissement de luxe.
Marry Me in Bassiani… Rien que le titre de la dernière création de (La) Horde est déjà un voyage. Même si la feuille de salle nous apprend que Bassiani n’est pas une ville ou un quartier, mais le nom d’un club underground de Tbilissi (capitale de la Géorgie). Rendez-vous de la communauté LGBT et de certains opposants politiques, le Bassiani, qui signifie « bassiste », est régulièrement surveillé par les autorités et a subi quelques descentes de police. Voilà pour le contexte dont on comprend qu’il ait attiré Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel, le trio à la base de (La) Horde, soucieux de raconter le monde d’aujourd’hui dans leurs créations. Même si le point cardinal de ce spectacle reste avant tout l’Ensemble Iveroni, groupe folklorique géorgien qui porte haut et beau la danse traditionnelle de leur pays.
Le rideau ouvert s’impose dès l’entrée dans le théâtre, avec une scénographie monumentale et une rythmique lancinante répétée à l’envi. Il y a déjà du monde sur scène avant que ne débute l’histoire. Qui sont ses gens nonchalamment assis ? Des invités de la noce, alors que la mariée arrive grimpant sur un comptoir, recroquevillée avant de se déployer, vêtue d’une longue robe brillante qui ressemblerait presque à une cotte de mailles. Un écho à la statue monumentale du cavalier en armure qui domine le plateau. On est déjà ailleurs, dans un autre monde, fasciné par cette altérité qui balance entre réel et onirisme. Se met alors en place un ballet dans le ballet, une première longue séquence qui nous donne à voir l’excellence de l’Ensemble Iveroni. Dans une chorégraphie vibrante, mise au point par le maître de ballet Kakhaber Mchedlidze, les quatorze danseuses et danseurs mettent leur technique irréprochable au service d’une succession de solos, duos et ensembles. Les hommes percutent le sol avec force, les femmes soignent les lignes des bras. Il y a là des citations manifestes au langage académique qui reste l’alpha et l’oméga de tout danseur et toute danseuse dans la sphère ex-soviétique.
Mais après cette superbe entrée en matière, l’harmonie qui transparaissait vole en éclats. La mariée se rebelle, grimpe sur la statue du cavalier et lui ôte la tête, portée par le groupe. Scène étonnante d’une grande beauté plastique qui inaugure un épisode plus lent, plus long et pas totalement abouti. Le spectacle pourrait nous conduire dans une forme de danse théâtre comme la feuille de salle nous en fait la promesse. On en reste aux prémisses, à des évocations subreptices assez réussies mais sans grand enjeu. Après la force des danses du premier acte, l’on se retrouve ainsi quelque peu démuni : où veut-on nous emmener ? On cherche en vain l’énergie de la révolte que l’on nous avait promise. L’écriture manque alors de profondeur et de subtilité.
Le dernier acte revient sur les terres de la danse folklorique géorgienne. Le groupe retrouve l’esprit ludique et débridé du début et réveille la salle qui s’était quelque peu assoupie. Le final se décline en feu d’artifice avec une série de courses de jardin à cour pour revenir en tournant à toute allure, imitant les derviches tourneurs. Tout cela est fort divertissant, regorge d’énergie et ne manque pas d’inventivité. Mais il y a comme un goût de trop peu et l’absence d’un vrai récit chorégraphique. Restent les points forts des mises en scène de (La) Horde : des décors qui en imposent et nous font voyager, avec un sens inouï du monumental qui en jette et un talent pour organiser de larges groupes. Ce goût aussi de ne jamais s‘enfermer dans un style mais de proposer une fusion des vocabulaires qui est salutaire.
Marry Me in Bassiani de (La) Horde (Marine Brutti, Jonathan Debrouwer, Arthur Harel) et l’Ensemble Iveroni . Jeudi 12 octobre 2023 au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt.