Soirée Balanchine/Tchaïkovski séculière par le New-York City Ballet aux Étes de la danse
Quand le petit George Balanchine, alors élève à l’Ecole impériale du ballet de Saint-Pétersbourg, fit sa première apparition sur la scène du Théâtre Mariinsky, ce fut sur la musique de La Belle au bois dormant composée par Tchaïkovski. Avec ce souvenir fatidique, une relation intime indéfectible se tissa entre le chorégraphe d’origine géorgienne et le compositeur controversé. C’est cet imaginaire intime que la soirée Balanchine/Tchaïkovski du New-York City Ballet a proposé de mettre en scène aux Étés de la danse. Mais d’osmose, il n’y en a eu qu’entre la musique et la danse. Du balai, le mysticisme d’Europe orientale. Les frissons qu’éprouvait George Balanchine à l’évocation de son maître spirituel, fruit d’une connivence culturelle certaine, se sont évanouis. Héritage affadi, désacralisé même, de Sérénade à Piano Concerto en voguant vers Mozartiana, trois morceaux de Tchaïkovski que le prêcheur George Balanchine avait voulu faire découvrir à l’Amérique profane du début du XXe siècle. Une nouvelle page de l’histoire de la compagnie est en train de s’écrire.
Figure de proue du patrimoine de George Balanchine, Sérénade n’en finit pas d’émerveiller par sa minutieuse musicalité, son esthétique magnétique et sa dimension kaléidoscopique. Une lumière bleuté, une nuée de nymphes aquatiques échevelées, une profusion de tulle couleur ciel, une scène finale extatique… Autant d’éléments qui ont fait passer Sérénade à la postérité. Ce n’est ni la pureté des lignes des danseuses, caractéristique de l’Opéra de Paris, ni la grâce outre-monde du Théâtre Mariinsky que le New-York City Ballet nous montre ici. La troupe américaine est avant tout une troupe de solistes, peu sensible à la notion d’un corps de ballet à l’européenne. Ces filles-là sont piquantes, fortes d’une rapidité et d’une précision d’exécution vigoureuses. Grâce à elles, Sérénade ne se mue pas en stériles jérémiades chorégraphiques, manifestation creuse de l’idéal féminin romantique.
Avec les solistes de la soirée Sara Adams, Alina Dronova, Meagan Mann et Mary Elizabeth Sell, Sérénade vibre d’un dynamisme jazzy qui déstructure par petites touches subtiles les codes du classique. Dépourvu de narration explicite, le ballet n’en demeure pas moins porteur d’une trame psychologique qui cite tant Giselle et Les Sylphides que le folklore géorgien si cher au chorégraphe. L’éther infini du romantisme blanc côtoie le tumulte intérieur du Caucase. Pourtant, ce soir-là, les interprètes ont peut-être oublié de transmettre cet héritage dual. Muses perdues de George Balanchine ?
La suite affiche un pastiche de George Balanchine par George Balanchine lui-même. Mozartiana, long de 29 pesantes minutes, impose une pure démonstration de style, dépouillée de son aura sacrée. La scène de la prière qui ouvre le ballet – le dernier d’ampleur composé par « Mr B » – a été sécularisée par Sterling Hyltin et Anthony Huxley. Mais elle a été agrémentée de l’humour mordant qui convient. Les tableaux se succèdent, lisses et stéréotypés, sans offrir à l’oeil de mise en relief à laquelle se raccrocher. C’est la Gigue et le Menuet qui ressuscitent l’esprit Commedia dell’arte de la pièce, à laquelle le bondissant Daniel Ulbricht redonne ses couleurs baroques. Mozartiana n’est pas l’oeuvre la plus inspirée du chorégraphe ; elle égrène bruyamment les lieux communs du propos de George Balanchine.
Tchaikovsky Concerto n° 2 clôt la soirée profane dans une ambiance qui voudrait restituer le faste de l’Empire russe mais qui trahit le goût balanchinien de l’épure. Justaucorps pailletés et tiares de « prom queens » ajoutent un fini très américain à ce brouillon doucereux de Thème et Variations. La chorégraphie a beau épouser les accents du morceau, rendant visible la structure musicale, ce Concerto dansé est avare en lyrisme et en emphase, caractéristiques du Ballet impérial. Sara Mearns, solaire et autoritaire, donne in extremis de l’éclat à un ensemble un peu fade. Il y avait ce soir-là un peu de fatigue passagère, sûrement, mais aussi les signes plus durables d’un héritage en pleine métamorphose.
Soirée Balanchine/Tchaikovsky par le New-York City Ballet aux Etés de la danse. Sérénade de George Balanchine avec Rebecca Krohn, Megan LeCrone, Tiler Peck, Jared Angle et Ask la Cour ; Mozartiana de George Balanchine avec Sterling Hyltin et Anthony Huxley, Daniel Ulbricht, Marika Anderson, Megan Johnson, Emily Kikta, Gwyneth Muller ; Tchaïkovski Piano Concerto n°2 de George Balanchine avec Sara Mearns, Russel Janzen et Lauren King. Mardi 5 juillet 2016.