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Soirée William Forsythe – Ballet de l’Opéra de Paris

William Forsythe est un peu comme chez lui à l’Opéra de Paris. En 1987, il crée In the Middle, Somewhat Elevated pour la grande génération d’Étoiles de Rudolf Noureev. Il n’a cessé depuis de revenir dans l’institution, aussi bien pour des créations que des entrées au répertoire. En le nommant chorégraphe associé il y a un an, Benjamin Millepied restait ainsi dans une belle continuité. Mais le départ de ce dernier a poussé William Forsythe à tourner court cette expérience. L’année prochaine, le chorégraphe sera associé du Boston Ballet. Ce programme Forsythe devait être le début de quelque chose, c’est en fait un au-revoir. Et qui a un goût d’inachevé. Si les deux pièces Of Any if and et Approximate Sonata sont des chocs artistiques, la création pour la jeune génération Blake Works I se dégonfle vite et tourne court.

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Of Any if and de William Forsythe – Adrien Couvez et Léonore Baulac

Of Any if and, une entrée au répertoire, peut paraître difficile pour démarrer une soirée. Sur scène, un fond noir, une danseuse et un danseur. La musique du fidèle Thom Willems est ponctuée de mots chuchotés par deux artistes en scène, s’affichant aussi par moments en l’air dans une structure pesante. L’ambiance est lourde. Et pourtant, ce duo est lumineux. Cette pièce pourrait être le chemin d’un deuil, la sortie d’une dépression, une renaissance. Le chemin est dur, ardu, sombre. Mais le mouvement est créateur d’espoir. Léonore Baulac est une liane lumineuse. Adrien Couvez un terrien où chaque geste est rempli de contradiction, plus sombre. Ils s’ignorent un peu au début, avant de vraiment se fondre dans un duo et se prendre à bras -le-corps. La danse est exigeante, en mouvement perpétuel. Elle apparaît comme un éclair de lumière dans l’obscurité, quelque chose qui permet de taper du pied pour remonter à la surface et sortir la tête de l’eau. Un choc, donc.

Approximate Sonata l’est tout autant, dans une veine différente. Voilà une pièce au répertoire de l’Opéra de Paris depuis 10 ans, interprétée par des danseurs et danseuses habitué.e.s de William Forsythe. La pièce est digérée, apprise dans chaque mouvement des corps, appartenant profondément à ces artistes. Le chorégraphe s’y amuse comme d’habitude avec les codes de la danse classique pour mieux les déformer, les transformer, casser les lignes. Tout commence d’ailleurs sur l’avant-scène (la fosse d’orchestre inutilisée était recouverte) et la cinquième position parfaite de la lumineuse Alice Renavand. À partir de ce parfait en-dehors, tout peut arriver.

Approximate Sonata de William Forsythe - Marie-Agnès Gillot et William Forsythe

Approximate Sonata de William Forsythe – Marie-Agnès Gillot et William Forsythe

La danseuse s’amuse à jouer des lignes et des jambes, appuyée par Adrien Couvez absolument incontournable dans ce répertoire Forsythien. Le couple semble être né dans les pieds du chorégraphes, maîtrisant les codes pour mieux s’en échapper et créer. Marie-Agnès Gillot qui leur succède, impériale, fait regretter son absence de scène. Eleonore Abbagnato et Alessio Carbone aussi. Hannah O’Neill et Fabien Révillion, qui terminent la pièce, sont encore dans l’apprentissage. Leur jeunesse et leur finesse, et toujours un certain glamour pour la Première danseuse, compensent le manque de naturel qu’ils ont encore pour cette chorégraphie. Au final, Approximate Sonata apparaît comme un formidable coup de coeur des danseurs et danseuses, une lettre d’amour au langage classique à la base de tout. Le meilleur hommage à lui faire est de le triturer dans tous les sens pour le pousser encore plus loin. On part d’une cinquième, on revient en cinquième. Au milieu, tout peut se passer. Un autre choc, donc.

L’attente pour Blake Works I était donc immense, peut-être un peu trop. Mais tous les ingrédients étaient là : une création de William Forsythe (ce qui est en soi un événement), la toute jeune et brillante nouvelle génération en scène, un début de soirée fantastique. Avant le lever du rideau, le cri de guerre de la vingtaine de danseurs et danseuses résonne comme un excitant avant-goût. Le rideau se lève, les costumes sont vert-d’eau (clin d’oeil à In the Middle ?), les jeunes artistes plantent leurs yeux dans ceux du public, vous allez voir ce que vous allez voir. Et puis rien n’arrive. Ou plutôt la déception lors des premières scènes, avec l’étrange impression que William Forsythe s’est Millepied-isé. Contrairement aux deux pièces précédentes où la danse est ce qui compte le plus, le chorégraphe semble s’être d’abord soucié de plaire au public, de chercher l’efficacité plutôt que la profondeur. La musique de James Blake (à mon avis imposée par Benjamin Millepied) y est pour beaucoup dans cette impression. James Blake, c’est sympathique à écouter en soirée, mais franchement creux et sirupeux en scène. Les ballades sans grand intérêt succèdent aux morceaux gentiment électro d’une fadeur déstabilisante avec la musique de Thom Willems. Le magnifique duo entre Léonore Baulac et François Alu, à la danse si précise, se transforme en sirop (je me demande en fait l’importance de la musique dans ma déception. Il serait curieux de revoir cette pièce sur une autre partition).

Blake Works 1 de William Forsythe

Blake Works 1 de William Forsythe

Pourtant, rien n’est creux chez William Forsythe, rien n’est vain. Avec Blake Works I, le chorégraphe s’amuse à revisiter l’histoire de la danse. La danse baroque, les ballets de Petipa, les lignes de George Balanchine… Tout y passe avec finesse et amusement, et tout se mélange. C’est d’ailleurs le grand jeu du ballet : trouver toutes les citations. Les mains de danse de cour se mélangent aux décalés américains. Les lignes du baroque alternent aux longs bras des Cygnes. Les alignements de Giselle s’enchaînent avec des battles inspirés du hip hop. Il y a même des instants clubbing (un peu maladroits) et des courses de la danse contemporaine. Et toujours, en fil conducteur, cette école française qui sait se faire virtuose dans l’éléganceBlake Works I a d’ailleurs une tonalité très danse classique surprenante. William Forsythe, après être allé loin dans ses recherches, revient ici à la base. Le fond ne semble malheureusement être qu’un jeu de citation.

L’immense engagement des danseurs et danseuses rend toutefois ce moment attachant. La voilà, la jeune génération qui attend d’être sur le devant de la scène et qui trépigne de plus en plus de ne pas y être. Il faut les voir venir saluer dans un grondement, se collant au public au bord de l’avant-scène. William Forsythe a mis dans son ballet toutes les difficultés de l’école française que ses jeunes interprètes s’éclatent à déjouer. Ils affichent tous et toutes leur éclatante virtuosité – peut-être plus que dans n’importe quel autre ballet cette saison. Et ils montrent, une fois de plus, que la nouvelle génération masculine est à couper le souffle. Pablo Legasa s’affiche en scène avec brio. Germain Louvet prend de l’ampleur. Surtout Hugo Marchand y est éclatant, déjà mûr dans sa danse, déjà Étoile dans sa tête, prêt à prendre sa place. William Forsythe a vraiment fait plaisir aux danseur.se.s avec ce ballet. C’est indéniablement un beau cadeau, mais ça ne suffit pas forcément pour en faire un chef-d’oeuvre. À voir dès la rentrée comment cette pièce aura évolué.

Blake Works 1 de William Forsythe

Blake Works 1 de William Forsythe

 

Soirée William Forsythe par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Of Any if and de William Forsythe avec Léonore Baulac et Adrien Couvez ; Approximate Sonata de William Forsythe avec Alice Renavand, Adrien Couvez, Marie-Agnès Gillot, Audric Bezard, Eleonore Abbagnato, Alessio Carbone, Hannah O’Neill et Fabien Révillion ; Blake Works I de William Forsythe, avec Ludmila Pagliero, Léonore Baulac, Fanny Gorse, Sylvia-Cristelle Saint-Martin, Lydie Vareilhes, Laure-Adélaïde Boucaud, Roxane Stojanov, Camille Bon, Eugénie Drion, Marion Gautier de Charnacé, Clémence Gross, Amélie Joannidès, Caroline Osmont, François Alu, Hugo Marchand, Germain Louvet, Jérémy-Loup Quer, Simon Valastro, Grégory Gaillard, Pablo Legasa, Paul Marque et Maxime Thomas. Mardi 5 juillet 2016. Blake Works I est à revoir du 26 septembre au 9 octobre 2016 lors de la soirée Sehgal/Peck/Pite/Forsythe

 

Comments (2)

  • georges

    J’aime :
    « avec l’étrange impression que William Forsythe s’est Millepied-isé »

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  • Senga

    Et ben j’ai eu l’impression exactement inverse !! Comme quoi chacun a une perception différente.
    Les 2 premières oeuvres m’ont donné d’irrésistibles envies de bailler, avec leur musique lancinante pour ne pas dire crispante. Les danseurs étaient pourtant excellents, mais le propos peinait à percer au milieu de cette suite de pas assez obscure pour moi, disons-le.
    Blake Works m’a fait l’effet de l’explosion de gaieté après l’ennui, de la vue magnifique à 360° après l’ascension laborieuse de la face nord au milieu des cailloux pointus. C’était beau, enlevé, truffé d’allusions fugaces et soutenu par la musique de James Blake apaisée et sereine après la tension. Je le reverrai avec grand plaisir l’année prochaine.
    Vive le Forsythe Millepied-isé !

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