Le New York City Ballet aux Étés de la Danse – Programme Wheeldon/Ratmansky/Peck
Un programme de la tournée du New York City Ballet aux Étés de la Danse sans un seul ballet de George Balanchine ? Mais oui, c’est possible. La compagnie est en effet venue avec sa soirée Chorégraphes du XXIe siècle, vu il y a quelques mois par notre rédacteur Jean-Frédéric Saumont. La nouveauté néo-classique se passe en effet au New York City Ballet, avec une politique plutôt volontariste en la matière. La troupe programme en effet plusieurs créations par an, même de chorégraphes peu connus, et sans attendre un certain âge (Justin Peck le chorégraphe résident, n’a pas 30 ans). Les trois chorégraphes du programme, Christopher Wheeldon, Alexeï Ratmansky et ce même Justin Peck, se placent dans la ligne de George Balanchine sans en démordre (une trentaine de minutes en scène, une belle danse classique avec quelques accents plus modernes, un travail plus ou moins abstrait sur de la musique). Pour les deux derniers cependant, la surprise est bien là. Que ce soit dans Pictures at an Exhibition ou Everywhere We Go, il règne sur scène un parfum tout particulier, une émulation différente. Et un vrai plaisir de la danse.
Passons d’abord rapidement sur le moment un peu gênant de la soirée : Estancia de Christopher Wheeldon. Dans un ranch argentin, un jeune homme de la ville séduit une fille de la campagne en domptant un cheval (et suspens, il finit par y arriver). Tout y est question cliché, jusqu’aux chevaux joués par les danseurs (costumes compris). Mais aucun second degré, ni aucune prise de distance, n’est présent pour donner tout un charme à ce genre de carte postale. Alors oui, Christopher Wheeldon a bien appris la leçon. Il alterne grands moments d’ensemble et pas de deux romantiques, il écoute bien la musique de Tchaïkovski, il met en avant les personnalités de la troupe. Mais rien dans la danse très convenue n’arrive à surprendre. Christopher Wheeldon est décidément un bien plus percutant metteur en scène (souvenir du formidable Un Américain à Paris) que chorégraphe.
L’impression est tout autre pour Pictures at an Exhibition d’Alexeï Ratmansky. Le chorégraphe s’est inspiré du tableau Carrés avec cercles concentriques de Wassily Kandinsky. En fond de scène, le tableau est projeté en plusieurs déclinaisons. Sur scène, dix danseurs et danseuses évoluent sur la musique de Moussorgski. Sont-il.elle.s des visions du peintre ? Les taches de couleur prenant leur indépendance ? Un peu des deux. Chacun.e donne en tout cas l’impression de recréer le tableau sur scène, chaque touche s’ajoutant à une autre, comme les mouvements du peintre sur sa toile.
La danse classique d’Alexeï Ratmansky, assume son certain académisme et prend vie par un esprit tout particulier. Il y a du lyrisme dans la grande énergie de la troupe, un jeu constant avec la musique. Les pas de deux sont particulièrement réussis, toujours surprenants, faisant jouer à part égale l’homme et la femme. L’abstraction du tableau se mêle à une grande poésie et un certain onirisme, faisant de ce ballet si simple d’apparence un moment de danse très séduisant et surprenant, dont l’esprit particulier souffle dans l’air longtemps après le baisser de rideau.
Justin Peck va plutôt puiser la vivacité de son ballet Everywhere We Go dans son énergie et son talent pour faire bouger un corps de ballet. L’oeuvre va d’ailleurs à toute vitesse, portée par l’efficace partition de Sufjan Stevens. Sur scène, 25 danseurs et danseuses, et ça va à toute allure. Le chorégraphe a lui aussi bien retenu la leçon de l’alternance corps de ballet-pas de deux-trio-solo. Si ses adages restent assez convenus, sa façon d’utiliser le groupe est stupéfiante. Comme son maître, Justin Peck s’amuse à tromper le public, à faire bouger les danseurs.se.s dans un tout autre chemin que celui attendu. Il aime l’énergie et la vivacité, ses interprètes aussi qui s’en donnent à coeur joie et ça décoiffe. Surtout, il y a sur scène un parfum résolument moderne, celui d’une oeuvre d’un chorégraphe et d’interprètes bien dans leur époque et bien dans leurs baskets.
« Have fun ! » semble être le maître-mot, avec des danseurs et danseuses à la technique décomplexée (même si les deux pièces sont très différentes, l’ambiance ressemble à celle de Blake Works I de William Forsythe au Palais Garnier, chronique à suivre). Alors oui, Justin Peck n’a pas encore tué le père (George Balanchine). Mais il y a dans ce ballet le sentiment que quelque chose de vraiment nouveau pourrait naître de son imagination. Une énergie très actuelle est en tout cas bien installée et amène un indéniable vent de fraîcheur sur la nouvelle scène.
Soirée Wheeldon/Ratmansky/Peck du New York City Ballet au Théâtre du Châtelet, dans le cadre des Étés de la Danse. Estancia de Christopher Wheeldon, avec Ana Sophia Scheller (Fille de la campagne), Adrian Danchig-Waring (Garçon de la ville) et Amar Ramasar (Cheval sauvage) ; Pictures at an Exhibition d’Alexeï Ratmansky, avec Claire Kretzschmar, Rebecca Krohn, Tiler Peck, Unity Phelan, Abi Stafford, Tyler Angle, Zachary Catazaro, David Prottos, Taylor Stanley et Andrew Veyette ; Everywhere We Go de Justin Peck, avec Sterling Hyltin, Rebecca Krohn, Tiler Peck, Andrew Veyette, Russell Janzen, Amar Ramasar et Teresa Reichlen. Lundi 11 juillet 2016.