Le Gala du 75ème anniversaire de l’American Ballet Theatre
Le traditionnel gala de l’American Ballet Theatre est un événement tout aussi mondain qu’artistique : le tout New York s’y presse et le spectacle débute dans la salle avant même le lever de rideau avec un impressionnant défilé de robes longues et de tenues extravagantes. Le spectacle affiche complet et remplit les 3.800 sièges que compte le Metropolitan, une performance du box office ! L’édition 2015 n’était pas cette année un gala tout à fait comme les autres, puisqu’il marquait les 75 ans de la compagnie.
Rompant avec la tradition, Kevin McKenzie (le directeur de l’American Ballet Theatre) avait décidé pour fêter ce 75ème anniversaire de retarder le gala et de débuter la saison par une semaine de présentation des grandes pièces qui furent le socle des premières années de l’ABT : Thèmes et Variations de George Balanchine, Les Sylphides de Michel Fokine, Rodeo d’Agnes De Mille, Jardin aux Lilas et Pillar of Fire d’Antony Tudor et Fancy Free de Jerome Robbins. Une semaine comme un hommage aux fondateur-rice-s qui trouva son point d’orgue dans ce gala fleuve. La soirée fut entrecoupée de discours et de films hommages, notamment à Mikhaïl Barychnikov, danseur inégalé et directeur de l’ABT de 1980 à 1989 sur lequel il laissa une trace indélébile.
24 pièces en 2 heures : le public est mis à rude épreuve, passant quasi instantanément d’un style à un autre, d’une époque à une autre sans avoir le temps de souffler. Un tout peu propice à l’émotion, mais si l’on s’intéresse à l’histoire de la danse, voilà une rétrospective passionnante de 75 ans de l’ABT.
Et pour donner le ton d’un programme résolument américain, le rideau s’ouvre sur un extrait de Billy the Kid d’Eugene Loring sur la musique d’Aaron Copland. Il s’agit de l’une des pièces les plus anciennes du répertoire de l’ABT puisqu’elle figurait lors de la saison inaugurale en 1940. Du western dans le ballet classique ! Ce fut à l’époque une révolution et Eugene Loring un pionnier, faisant le va-et-vient entre la scène de l’American Ballet Theater et les comédies musicales de Broadway. Il fut en cela un précurseur pour Jerome Robbins : son ballet Fancy Free illustre d’ailleurs à merveille cette inspiration qui opère avec facilité le grand écart entre ces deux cultures. Herman Cornejo, Cory Stearns et Marcelo Gomes cabotinent à merveille dans cette histoire de trois marins échoués dans un bar. Herman Cornejo revient plus tard dans la soirée, reprenant avec brio Push comes to shove, le rôle créé pour Mikhaïl Barychnikov par la chorégraphe américaine, Twyla Tharp.
Mais cette soirée était aussi l’occasion unique de voir les 3 danseuses « Principal » de l’ABT ( l’équivalent d’Étoile) qui font leurs adieux à la compagnie cette saison. Xiomara Reyes fut impériale en cowgirl dans l’extrait de Rodeo d’Agnes de Mille, toujours sur la musique d’Aaron Copland. Paloma Herrera a préféré le plus classique Tchaikovsky pas de deux où elle démontre une fois encore qu’elle est une grande interprète des ballets de George Balanchine.
Enfin Julie Kent a choisi une des ses oeuvres de prédilection en interprétant à un tempo d’enfer le pas de deux du premier acte de Manon de Kenneth MacMillan avec Marcelo Gomes comme partenaire. Elle y fut souveraine et c’est déjà un regret de ne plus la voir danser dans son ballet fétiche qu’elle apprit auprès de Kenneth Mac Millan lorsque le chorégraphe britannique fut artiste associé de l’ABT de 1984 à 1989. C’est sur un autre ballet de Kenneth MacMillan, Romeo et Juliette qu’elle fera ses adieux le mois prochain. Xiomara Reyes tout comme Paloma Herrera, partiront dans Giselle. Comme il se doit, toutes les trois furent à juste titre très largement applaudies : rien dans leur prestation ne laisse deviner une usure quelconque et elles partent au sommet de leur art.
Mais la relève est là avec Misty Copeland qui dansera dans quelques jours son premier Lac des Cygnes à New York. Curieuse idée pour ce gala que de proposer un court extrait de l’acte 4 où elle ne danse que quelques instants avec son partenaire James Whiteside. L’adage aurait été plus opportun mais cet instantané sur la fin du Lac des Cygnes permet de constater l’excellence du corps de ballet de l’ABT, impression confirmée après l’entracte avec le royaume des ombres de la Bayadère, peut-être la plus belle pièce jamais écrite pour le corps de ballet. Et celui de l’ABT montre qu’il se place parmi les tout premiers au monde. La descente est parfaite, l’alignement au cordeau avec ce qu’il faut de lyrisme pour interpréter ce morceau de bravoure très exigeant techniquement pour les 24 danseuses. Chapeau ! Ce fut incontestablement le moment le plus chaleureux de la soirée.
Il n’est pas de vrai gala de l’ABT (et de gala tout court….) sans Daniil Simkin, véritable bête à concours ! Kevin McKenzie doit être de cet avis puisque le danseur hérite à lui seul de trois rôles : Black Tuesday de Paul Taylor , puis un extrait de The Bright Stream d’Alexeï Ratmansky où il se montre très alerte sur pointes en jouant la ballerine. Inévitablement, Daniil Simkin revient pour le pas d’esclave du Corsaire, pièce de gala s’il en est qu’il transforme en show pyrotechnique dans lequel il excelle au grand plaisir d’un public tout acquis.
Quelques absents de marque : Diana Vishneva qui était annoncée mais qui ouvrira finalement sa saison à l’ABT avec Giselle, puis avec la première de la nouvelle production d’Alexeï Ratmansky, La Belle au Bois Dormant. Polina Semionova blessée a dû hélas renoncer au gala et à toute sa saison à l’American Ballet Theater.
Aucune compagnie au monde ne sait organiser un gala de ce calibre et puiser dans un répertoire qui compte pas mois de 450 œuvres. En 75 ans, c’est un record ! Il suffit de se rendre sur le site dédié à cet anniversaire pour se rendre compte de la richesse du catalogue de l’ABT. Cette soirée donnait le coup d’envoi de la saison : que la fête commence !
Gala de l’American Ballet Theatre au Metropolitna Opera. Lundi 18 mai 2015.
Billy the Kid de Eugene Loring ; Fancy Free de Jerome Robbins avec Herman Cornejo, Cory Stearns et Marcello Gomes ; Rodeo d’Agnes de Mille avec Xiomara Reyes et Craig Salstein ; Black Tuesday de Paul Taylor avec Daniil Simkin ; Push Comes to Shove de Twyla Tarp avec Herman Cornejo ; Fall River Legend d’Agnes De Mille avec Gillian Murphy et Roman Zhurbin ; Les Noces de Jerome Robbins ; Pillar of Fire d’Antony Tudor avec Devon Teuscher et Cory Stearns ; The Bright Stream d’Alexeï Ratmansky avec Daniil Simkin et ClintonLuckett ; Manon de Kenneth MacMillan avec Julie Kent et Marcello Gomes ; Le Lac des Cygnes, acte 4 de Kevin McKenzie/Marius Petipa avec Misty Copeland et James Whiteside ; La Bayadère acte 3 de Natalia Makarova/Marius Petipa ; Sinfonietta de Jiri Kylian avec Devon Teuscher, Thomas Forster, Veronika Part, Blaine Hoven, Isabella Boylston et James Whiteside ; The Leaves Are Fading d’Antony Tudor avec Hee Seo et Cory Stearns ; Piano Concerto N°1 d’Alexeï Ratmansly avec Christine Shevchenko, Clavin Royal, Skylar Brandt et Gabe Stone Shayer ; Études de Harald Lander avec Gillian Murphy et Joseph Gorak ; Giselle de Kevin McKenzie avec Irina Kochketkova et Stella Abrera ; La Sylphide d’Auguste Bournonville avec James Whiteside ; Tchaikovsky Pas de deux de George Balanchine avec Paloma Herrera ; Le Corsaire d’Anne-Marie Holems/Marius Petipa avec DaniilSimkin ; Don Quichotte de Kevin McKenzie/Susan Jones/Marius Petipa/Alexandre Gorsky avec Isabella Boylston et Cory Stearns ; Thème et Variations de George Balanchine avec Sarah Lane et Joseph Gorak.
Laetitia
Merci pour cet article très intéressant, qui donne bien envie de découvrir la saison à venir – même si ce ne doit être que par des chroniques !