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La Fille mal gardée (Frederick Ashton) avec François Alu et Muriel Zusperreguy – Un ballet aux gros sabots ?

Drôle d’œuvre que cette Fille mal gardée, jardin à la française (Jean Dauberval, 1789) taillé à l’anglaise (Frederick Ashton, 1960). Les laitières joviales du Petit Trianon ont été passées à la moulinette du réalisme social britannique et agrémentées d’une pointe d’humour « british » qui fait la part belle au comique de situation. Mardi 30 juin, La Fille mal gardée du Ballet de l’Opéra de Paris a vanté le charme très discret de la paysannerie telle qu’on s’entêtait à l’idéaliser au XVIIIe siècle. Le mérite revient à François Alu, fort d’une nouvelle prise de rôle réussie, et à Muriel Zusperreguy, délicieuse dans le rôle principal. Mais ni le talent ni la générosité des interprètes de cette distribution n’ont suffi à donner assez de relief à ce ballet de basse-cour aux relents physiocrates qui fleure bon la kermesse estivale.

La Fille mal gardée - François Alu et Muriel Zusperreguy

La Fille mal gardée – François Alu et Muriel Zusperreguy

Il semble bien insouciant le tiers état campagnard de La Fille mal gardée ! Il n’est certes pas l’instigateur premier de la Révolution française mais la joie de vivre primaire de ces faucheurs de blé et de ces fraiches fermières contraste étonnamment avec les doléances de 1789 et les jacqueries de la Grande Peur qui vont suivre. En accentuant la fiction historique, imaginons Marie-Antoinette allongée sur un lit de marguerites, au « hameau de la Reine », feuilletant un roman pastoral illustré. Au milieu de ses blancs moutons, « la Bergère royale » découvre les aventures de Lise et Colas, deux jeunes amants de la paysannerie privilégiée. Poussons le vice jusqu’à se figurer que la reine ait assisté à la représentation dansée. Quelles auraient pu être ses pensées ? Gare aux anachronismes et autres incohérences.

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Quelle ravissante et radieuse damoiselle que voilà (Muriel Zusperreguy). Son visage solaire respire l’allégresse populaire, de telle sorte qu’on ne voit presque qu’elle en scène. En contrepartie d’un jeu de jambes intrépide – d’une vigueur roturière – l’attachante Lise montre des bras plutôt raides. Mais demande-t-on aux fraîches filles du peuple d’arborer un port de bras délicat ? La danse franche de Muriel Zusperreguy et la sincérité de son jeu correspondent à l’image de la jeune fille rosée des champs qui vit au gré de ses envies. Ses sauts ne décollent pas vers les cieux comme l’argument ne vole pas bien haut. La Fille mal gardée est un ballet terre à terre rythmé par le claquement de sabots bourbeux et de réactions hilares.

L’amoureux de Lise, le facétieux Colas (François Alu), ne manque pas de charisme. Il n’a certes pas pour lui l’élégance hautaine du comte de Fersen mais il exhale la bonhomie guillerette d’un fiable compagnon de route. François Alu déploie une technique robuste couronnée par une saltation diablement spectaculaire, sans jamais tomber dans l’écueil de la démonstration vaine. Son aisance scénique n’a d’égale que l’intelligence malicieuse de son interprétation. Car son jeu est teinté d’autodérision comme pour prendre le public à partie « voyez comme je suis humble malgré mes belles qualités ».

La Fille mal gardée - François Alu et Muriel Zusperreguy

La Fille mal gardée – François Alu et Muriel Zusperreguy

Ah ! C’est un véritable amour espiègle, rustique mais authentique qui s’enroule et se déroule autour de Lise et de Colas. La danse du ruban est à cet égard des plus plaisantes. Une bobine de satin rose pour symboliser une union amoureuse, il fallait y songer. Ce ruban de belle facture rappelle ces bals masqués follement badins, les cachotteries des alcôves et les fins de soirée au clair de lune du Versailles d’avant-rigueur. Mais revenons à nos moutons. Comme tous les gens de leur condition sociale, les tourtereaux batifolent sans affectation dans des bottes de foin, vêtus de toilettes du plus simple effet. Lise et Colas ne vivent que d’amour et de crème fraîche sous le regard bienveillant de coqs patauds et moissonneurs rieurs. Ces derniers semblent d’ailleurs ne pas souffrir des mauvaises récoltes de 1788. Que la vie semble douce à l’état de nature, où tous sont libérés de l’étiquette de la cour…

Il y a toutefois une ombre au tableau. La Mère Simone (Takeru Coste, danseur de fort caractère remarquable), fermière aux manières grossières ne l’entend pas de cette oreille. Les gens de peu ne sont pas affranchis des règles diplomatiques du mariage. La Mère Simone, elle, n’offrira point sa fille à une puissance étrangère mais elle veut en donner la main à Alain (Daniel Stokes, mime tragicomique mémorable), fils grotesque d’un riche propriétaire vinicole qui aime exhiber sans subtilité ses signes extérieurs de richesse. Ciel, de quel mauvais goût cette bourgeoisie de province ne fait-elle pas preuve en voulant ressembler à l’aristocratie. Pourvu que l’Assemblée nationale récemment constituée n’entérine point l’abolition de la féodalité.

La Fille mal gardée - Takeru Coste

La Fille mal gardée – Takeru Coste

Fort heureusement dans la paysannerie, le cœur l’emporte sur la raison. A l’issue de deux heures de péripéties, ce vaudeville divertissant s’achève dans la liesse collective. Lise et Colas se marient avec la bénédiction de Mère Simone, ce qui donne lieu à une sauterie champêtre de la plus pure spontanéité. Leur vie semble être un dimanche perpétuel au « hameau ». Nul pamphlet diffamatoire ne peut ternir leur bonheur. Les fêtes galantes peintes par Watteau étaient encore trop guindées avec leur ribambelle de corsets et d’étoffes moirées, de marivaudages et de fausses confidences. La Fille mal gardée quant à elle révèle la simplicité brute et chantante de la vie rurale.

Nous sommes loin des amours tortueuses de l’aristocratie des Liaisons dangereuses (Choderlos de Laclos, 1782), que l’on s’échange sous le manteau dans les loges moites de l’Opéra royal. La Fille mal gardée s’engage sur le chemin du préromantisme frayé par Rousseau de manière encore trop timorée. Ce ballet manque en effet de passion et d’entrailles qui saignent à vif. Il peut être charmant d’échapper un temps aux intrigues vipérines de la cour mais, au fond, quel ennui profond que cette campagne sans fard ni ambages. Paul et Virginie  (Bernardin de Saint-Pierre, 1788) scandait au moins « les images du bonheur nous plaisent mais celles du malheur nous instruisent« . Par ailleurs, la partition musicale (Louis Joseph Ferdinand Hérold) apparait bien pauvrette en comparaison de l’univers foisonnant du chevalier Gluck qui connait mille honneurs à Versailles. Un ballet ne pourrait-il pas être créé sur la musique de ce compositeur supérieur ? Cela serait bien plus agréable à l’oreille que ce tintamarre profane qui accompagne les aventures de La Fille mal gardée.

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L’imagerie simplette des décors de La Fille mal gardée ravira les nostalgiques de Bécassine et, au-delà ceux, qui ont conservé une âme d’enfant. Pour donner de la profondeur à ce ballet, le premier ballet de pantomime du répertoire classique, il faudrait le replacer dans son contexte. Celui de sa création en 1789, à quelques jours de la prise de la Bastille. A la faveur d’une illusion rétrospective, il est tentant de voir à travers cette représentation idéalisée de la paysannerie l’aveuglement du roi face à la menace de moins en moins latente du peuple qui gronde. En 1960, Frederick Ashton adapte La Fille mal gardée en puisant dans les images d’Épinal de son cher Suffolk.  Les jeux de Lise et Colas s’ancrent alors dans un décor plus anglais que français mais toujours dans les siècles d’antan. L’herbe est toujours plus verte dans le passé.

La Fille mal gardée

La Fille mal gardée

In fine, tous les ingrédients sont réunis pour un sympathique spectacle de fin d’année transgénérationnel. La Fille mal gardée apparait cependant comme un brouillon rudimentaire de Giselle. La crème fouetté prend plutôt bien mais elle peut vite tourner. Dans ce cas, on connaît les recommandations de l’Autrichienne… Qu’ils mangent de la brioche !

 

La Fille mal gardée de Frederick Ashton par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Avec Muriel Zusperreguy (Lise), François Alu (Colas), Takeru Coste (Mère Simone), Daniel Stokes (Alain), Pierre Rétif (Thomas) et Antonin Monié (danseur à la flûte). Mardi 30 juin 2015 à 19h30.

 

Commentaires (3)

  • MUC

    Article très bien écrit. Néanmoins s’il y a un ballet qui n’a pas besoin d´explications pour comprendre l´argument c´est bien la Fille mal gardée ! Je ne sais pas s´il est le reflet de la paysanerie au 18eme siècle et qu´elle a été le rôle de Marie Antoinette mais de dire que c´est le brouillon de Giselle… « amours contrariées » est l´argument de beaucoup d´oeuvres, chantées, dansées, au theatre ou en littérature.
    Mais je le redis, vos articles sont très agréable a lire.

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  • Sentiment partagé sur ce ballet reflet d’une paysannerie d’opérette. Et ce n’est pas la première fois que je le voyais.
    Il reste intéressant pour les enfants, pour leur faire découvrir la danse car l’intrigue est simplissime.

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