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Mayerling, de Kenneth MacMillan au théâtre Stanislavski – Sergueï Polounine en mal dominant

Friand de ces grandes fresques narratives où les pulsions de sexe précèdent celles de mort, Kenneth MacMillan a inauguré un genre chorégraphique nouveau, teinté d’un réalisme parfois cru. Moins célèbre que L’Histoire de Manon, Mayerling (1978) s’inspire de la tragédie historique éponyme. Le ballet dépeint l’atmosphère fin de siècle du règne des Habsbourg-Lorraine à travers la déliquescence du prince Rodolphe. Si le Bolchoï s’est montré réticent à adopter l’univers de Kenneth MacMillan, son voisin le théâtre Stanislavski et Nemirovitch-Danchenko s’est déjà approprié deux œuvres emblématiques du chorégraphe britannique. Il fallait bien la personnalité rebelle de Serguei Polounine pour donner corps à l’éros et au thanatos de Rodolphe, héritier de la couronne impériale d’Autriche.

Mayerling, Sergueï Polounine

Mayerling – Sergueï Polounine

Le ballet commence comme il s’achève : par un enterrement. Mayerling narre les déboires de l’anti-prince jusqu’au meurtre ambigu de sa maitresse et son suicide. Dépressif-ve-s s’abstenir donc. Pour savourer ce ballet à sa juste valeur, il faut vibrer à la vue de costumes d’époques rutilants (Nicholas Georgiadis) et d’une multitude de personnages qui, par leur nombre élevé, altèrent l’intelligibilité de la pièce. Il faut apprécier par ailleurs la partition réorchestrée et grandiloquente de Franz Liszt. Il faut, davantage encore, être sensible aux portés si particulièrement expressifs de Kenneth MacMillan. Mais au-delà de tout, ce soir-là, il fallait être en communion avec le héros du ballet, Sergueï Polounine, que le public était venu applaudir avec ferveur indépendamment du personnage qu’il interprétait.

Sergueï Polounine a bien les caractéristiques du rôle : une danse fine mais franche rehaussée par cet air de fier gaillard de bonne famille qui trompe l’ennui en s’encanaillant dans des bordels et des réunions révolutionnaires. Car l’interprète, comme le personnage, est plutôt du genre sagement rebelle. A la différence près que dans Mayerling, ce qui semble à première vue relever d’une idéologie libérale (libertaire ?) cache de sombres pulsions d’autodestruction. Ces dernières auraient d’ailleurs tissé une tension allant crescendo si le prologue n’avait pas d’emblée révélé le funeste dénouement.

La présence certaine en scène de ce mâle dominant n’occulte toutefois pas l’émergence de véritables talents féminins de la troupe du Stanislavski. En premier lieu, Oksana Kardash beauté longiligne qui magnétise le regard grimée en courtisane Mitzi Caspar. Des lignes agréables, tout d’abord, et une légèreté ondulante dans la manière de se mouvoir, ensuite. De son côté, Maria Vetsera (Anna Ol) , la dernière maîtresse en date du prince Rodolphe, s’affiche immédiatement en demoiselle fluette et ingénue néanmoins avide de savoir (faire). Son évolution est semblable à celle d’une Cécile de Volanges (Les Liaisons dangeureuses) qui, de bouton de rose devient épineuse rose rouge.

Mayerling, Sergueï Polounine et Anastasia Limenko

Mayerling – Sergueï Polounine et Anastasia Limenko

Si les portés de L’Histoire de Manon sont sensuels, ceux de Mayerling frisent l’érotisme le plus évocateur. Ne cherchez pas de tendresse ni de romantisme dans ce ballet qui narre avant tout un drame psychologique – presque psychiatrique – à travers les accès de démence de Rodolphe de Habsbourg-Lorraine. Ainsi la nuit nuptiale entre le prince et sa femme Stéphanie de Belgique – un rôle secondaire dans le ballet confié à la ravissante Anastasia Limenko – montre les signes annonciateurs d’une dérive morbide. Le prince danse en tête à tête avec un crâne humain avant de pointer un pistolet sur son épouse pour la soumettre ; une nuit de noces scabreuse qui suscite confusion et embarras dès le premier acte.

Sergueï Polounine insuffle le même grain de folie à sa relation avec Maria Vetsera mais la domination est plus équilibrée. Anna Ol sait posséder à sa manière, par exemple par un jeu de jambe sec et tranchant, rendu voluptueux par des lignes vertigineuses. Kenneth MacMillan a par ailleurs conçu pour le rôle une personnalité beaucoup plus duale que celle de ses comparses révélant, en filigrane, une psychologie noire. En effet, Maria Vetsera prend goût à ces échanges pervers mais Anna Ol ne prend jamais complètement le dessus. Ce qui est présenté comme son suicide m’apparait davantage comme un meurtre à moitié consenti.

Mayerling, Anna Ol et Sergueï Polounine

Mayerling – Anna Ol et Sergueï Polounine

De manière vicieuse, les portés les plus licencieux, qui vont jusqu’à illustrer « les aphorismes du désir », précèdent la sinistre scène du double meurtre. Aussi puissante la dernière étreinte soit-elle – un mélange très MacMillanien de sexe et de mort – l’empathie pour Rodolphe ne fonctionne pas. Sergueï Polunine est pourtant très convaincant en illuminé piqué à la morphine. Mais éprouver de la compassion pour un homme qui violente sa jeune épouse dès la nuit de noces, collectionne les femmes comme des biens de consommation, tire dans la foule et achève sa maîtresse d’une balle dans la tête serait ici un peu déplacé. Certain-e-s voient en Mayerling un drame politique qui ferait du prince Rodolphe la victime d’un empire trop sclérosant. D’autres imputent la folie de Rodolphe à une constellation de femmes malsaines aux pouvoirs maléfiques. Ce soir-là, Sergueï Polounine a incarné un prince putride portant le germe du mal en lui.

Beau ballet historique du genre néoclassique narratif, Mayerling est comme un thé Earl grey que l’on aurait trop laissé infuser. À trop vouloir s’imprégner de sa saveur, on en conserve un goût d’amertume qui reste longtemps en bouche. Vous prendrez bien un nuage de lait avec votre Mayerling ?

Mayerling, Kenneth MacMillan

Mayerling – Kenneth MacMillan



Mayerling de Kenneth MacMillan au Théâtre Stanislavski Nemirovitch-Danchenko (Moscou). Avec Sergueï Polounine (Prince Rodolphe), Anna Ol (Maria Vetsera), Oksana Kardash (Mitzi Caspar), Anastasia Limenko (Princesse Stéphanie), Alexeï Karasev (Empereur), Natalia Krapivina (Impératrice), Olga Sizikh (Princesse Louise) et Comtesse Larisch (Erika Mikirtitcheva). Lundi 20 juillet 2015.

 

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