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Soirée Jirí Kylián par le Ballet de l’Opéra de Lyon

Le Ballet de l’Opéra de Lyon a ouvert sa saison avec un chorégraphe qu’il connaît plus que très bien : Jirí Kylián. La troupe danse en effet ses œuvres depuis plus de 30 ans. Le geste des danseurs et danseuses est donc non seulement précis, connaisseur, abouti, mais aussi d’un stupéfiant naturel. Jirí Kylián semble faire partie de l’ADN de chaque interprète. Au programme de cette soirée de rentrée, trois ballets très différents, parfois profondément sensibles, parfois plus intellectuels, mais proposant toujours une danse riche et nourrissante.

Bella Figura

Bella Figura de Jirí Kylián – Balllet de l’Opéra de Lyon

Bella Figura fait partie de ces chefs-d’oeuvre que les compagnies se battent pour interpréter. La danse, profondément juste, se mêle à la musique de Pergolèse ou Vivaldi. Le tout est vibrant, d’une émotion instinctive même si le geste est complexe et d’une formidable précision. Bella Figura peut se traduire par « Faire bonne figure », ce que fait le danseur ou la danseuse en se présentant sur scène. Le public ne connaît pas les émotions de sa vie, s’il-elle est fatigué-e ou non. L’artiste se pare de son masque pour ne rien laisser deviner de son quotidien.

Le ballet est un va-et-vient qui se joue du théâtre et de son univers. Un couple danse, se sépare, un autre entre en scène. Les danseurs et danseuses jouent-ils la comédie, sont-ils parés de leur masque, ou mettent-ils leur âme profondément à nu sur scène ? C’est toute l’ambivalence de Bella Figura. L’on ne sait jamais si l’on est dans un jeu ou dans la vérité des interprètes, sûrement les deux à la fois. De ce mystère naît une profonde émotion, de celles qui vous saisissent le cœur et le tord sans que l’on sache bien pourquoi.

Bella Figura de Jirí Kylián - Balllet de l'Opéra de Lyon

Bella Figura de Jirí Kylián – Balllet de l’Opéra de Lyon

Heart’s Labyrinth est d’une ambiance plus noire. Jirí Kylián a créé ce ballet en 1984, après le suicide de l’une de ses danseuses au NTD. Le chorégraphe essaye de démêler ce nœud de sentiments contradictoires et de voies sans issues, un labyrinthe d’émotions qui semble inextricable.

Dès l’ouverture, la danse est tendue, la sortie ne sera peut-être jamais trouvée. Les gestes sont plus tranchés, plus vifs, presque confus. Mais l’interprétation est parfois un peu trop premier degré, un problème souvent lié à la musique. Jirí Kylián a choisi des œuvres de Dvořák, Webern ou Schönberg, qui parfois ont une sonorité très romantique. La danse qui l’accompagne est à ces moments assez illustrative avec de grands pas de deux et des envolés lyriques qui rappelle parfois le maître du chorégraphe John Cranko. Les interprètes ne vont pas chercher plus loin, et l’effet tombe un peu à plat.

Bella Figura de Jirí Kylián - Balllet de l'Opéra de Lyon

Heart’s Labyrinth de Jirí Kylián – Balllet de l’Opéra de Lyon

À l’inverse, quand la musique se fait plus abstraite, la danse semble retrouver son sens, comme lors du superbe quatuor porté par la formidable Caelyn Knight. La musique est beaucoup plus abstraite – certain-e-s diront plus difficile d’accès – je l’ai au contraire trouvée beaucoup plus clairvoyante sur ce que la pièce veut dire : le tortueux labyrinthe du cœur.  Caelyn Knight est-elle un sentiment, une image de la raison qui veut se frayer un chemin, ou la jeune danseuse qui n’a pu trouver la sortie et n’a eu d’autre choix que se suicider ? La danse, débarrassée de certains artifices, retrouve un profond instinct et une liberté inouïe.

27’52 », qui termine le programme, est une entrée au répertoire. Jirí Kylián l’a créée pour le 25e anniversaire du NDT, qui a pendant longtemps été son laboratoire de création. La pièce est ainsi comme un manifeste de sa danse, de son style, de ce qu’il veut dire. La danse est complexe et à la fois dépouillée, sachant formidablement aller à l’essentiel. Le chorégraphe joue avec l’image du théâtre, montrant le décor nu, décollant le tapis de danse, faisant tomber les rideaux de scène. Les corps sont là encore androgynes. L’émotion n’est pas ici à fleur de peau, mais plus intellectuelle. Elle naît d’une danse brillante, dans son geste et sa construction. C’est assez simple finalement, quand la danse est assez géniale pour se porter toute seule, et que ses interprètes l’ont saisie dans toute sa complexité.

Lorsque Jirí Kylián est venu sur scène pour saluer, la salle s’est levée. Une standing-ovation pour démarrer la saison, difficile de faire mieux.

Heart's Labyrinth

27’52 » de Jirí Kylián – Ballet de l’Opéra de Lyon

 

Soirée Jirí Kylián par le Ballet de l’Opéra de Lyon, à l’Opéra de Lyon. Bella Figura de Jirí Kylián, avec Kristina Bentz, Dorothée Delabie, Caelyn Knight, Amandine Roque de la Cruz, Julia Carnicer, Tyler Galster, Raul Serrano Nuñez, Leoannis Pupo-Guillen et Edi Blloshimi ; Heart’s Labyrinth de Jirí Kylián, avec Aurélie Gaillard, Adrien Delépine, Raul Serrano Nuñez, Dorothée Delabie, Leoannis Pupo-Guillen, Caelyn Knight, Tadayoshi Kokeguchi, Annabelle Peintre et Edi Blloshimi ; 27’52 » de Jirí Kylián, avec Kristina Bentz, Tadayoshi Kokeguchi, Annabelle Peintre, Raul Serrano Nuñez, Caelyn Knight et Adrien Delépine. Mardi 8 septembre 2015. 

 

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