Dancing Teen Teen d’Eun-Me Ahn – Esquisse d’un grand écart entre K-pop et Pina Bausch
Dans le cadre de l’Année France-Corée, le Théâtre de la Ville et le Festival d’Automne à Paris présentent Dancing Teen Teen d’Eun-Me Ahn, premier volet d’une trilogie qui sera suivi de Dancing Grandmothers et Dancing Middle-Aged Men. La chorégraphe et performeuse, peu connue en France mais régulièrement programmée aux Etats-Unis comme en Allemagne, est une des figures de l’avant-garde sud-coréenne. Formée enfant à la danse traditionnelle, elle obtient des diplômes en Arts à Séoul et en Danse à New York, avant d’exercer au sein des Korean Modern Dance Company et Korean Contemporary Dance Company. Elle entame ensuite un travail chorégraphique qui la conduit de New York à Séoul et du Pina Bausch Festival de Wuppertal à la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde de football. Avec Dancing Teen Teen, elle dresse entre fiction et documentaire un portrait touchant de la jeunesse coréenne, qui, complété de Dancing Grandmothers et Dancing Middle-Aged Men lui permet de raconter à sa manière et par les corps l’histoire de son pays natal.
Pour ce premier volet, c’est Eun-Me Ahn elle-même qui ouvre le bal, robe babydoll noire sagement ourlée de blanc, chaussures à plateforme aux talons plexiglas, crane rasé. Elle esquisse quelques pas retenus sous une douche de lumière avant d’abandonner la scène à huit jeunes interprètes survoltés, arborant tous la même chevelure d’un blond vénitien peroxydé. La k-pop, cette vague musicale née en Corée du Sud à la fin du XXème avant de déferler sur toute l’Asie puis de gagner l’Occident, envahit alors le plateau du Théâtre de la Ville, avec son lot de paillettes, de couleurs flashy et son goût pour la fête et le consumérisme.
Entre clip vidéo et show télévisé, le vocabulaire des danseurs et danseuses se mâtine de hip-hop ou de tecktonik, saupoudré ça et là de sauts acrobatiques. Le rythme est endiablé, les lumières acidulées, les costumes, du jogging baggy aux uniformes collégiens, ultra colorés. Mais si tous les ingrédients esthétiques de la k-pop semblent bien présents, Eun-Me Ahn ne manque pas d’y apposer sa patte en brouillant les pistes du genre. Là où YG ou autre SM Entertainment abreuvent leurs fans de girls et boys bands hyper sexués, elle affuble ses danseurs de robes corolles aux jupons de tulle arc-en-ciel. Garçons et filles semblent interchangeables dans sa chorégraphie et il est ici bien plus question de moments festifs partagés que de séduction.
Un deuxième tableau s’ouvre tandis que les artistes quittent la piste et que le silence se fait. C’est alors sur l’écran, en fond de scène, que le spectacle se poursuit avec la projection d’un film. Des teen-agers, garçons ou filles, seul(e)s ou en petit groupe, improvisent quelques pas de danse dans des lieux incongrus. La caméra, toujours en plan fixe, se promène de rue en salle de cours, de piste de ski en karaoké. Elle capte, par ces instants drôles ou touchants, une image de la jeunesse sud-coréenne, abreuvée de chorégraphies de ses groupes préférés via Youtube, mais dont les gestes et codes ne sont pas si différents des jeunes occidentaux. Ces corps encore un peu trop grands dont ils ne savent pas toujours que faire, ces fous rires, cette gène parfois, ces mouvements timides ou surjoués sont universels. Comme le sont leurs doudounes, jeans, baskets et leurs téléphones portables omniprésents. Leur fraicheur, leur spontanéité, leur maladresse séduisent, tandis que la réaction des personnes alentours, rentrés plus ou moins volontairement dans le cadre, font rire.
Mais vient le moment où douze de ces teenagers s’incarnent sur le plateau, deux d’entre eux déclamant les droits de l’enfant coréen et gratifiant le public d’extraits en français dits avec un irrésistible accent. Puis, dans un moment très Pina Bausch, chacun à son tour s’empare du micro pour livrer malicieusement ses doutes, ses rêves, ses états d’âme, par petites phrases poétiques, avant de s’emparer d’un oreiller lamé presque doudou et de s’assoir, ou d’envoyer des baisers vers la salle. Leur naturel et leur candeur font mouche. Enfin, ils sont rejoints par les danseurs et danseuses pour un final haut en couleur, où une pluie de confettis jaunes envahit le plateau aussi bien que la salle, alors que le public, lui, est invité à se déhancher sur scène en leur compagnie.
Dancing Teen Teen est un spectacle bourré d’énergie et surprenant. Voir le plateau du Théâtre de la Ville se transformer en dance floor pop n’est pas si fréquent et assez jubilatoire. Il est aussi plein de contrastes : de la sobre robe noire d’Eun-Me Ahn aux costumes acidulés des teens, de sa danse esquissée à celle explosive de ses interprètes, des musiques endiablées de la première scène au silence du film qui suit. Danseurs, danseuses et jeunes amateurs sont touchants, sincères et plein d’une belle vitalité. Cependant, chaque tableau ou presque aurait gagné à être raccourci. Les moments dansés, assez peu construits et chorégraphiés, après avoir séduit par leur dynamisme finissent par lasser. Il en est de même pour le film, dont le propos qui éveille d’abord curiosité et sympathie s’épuise à trop se répéter. Finalement, tout aurait pu être dit et très bien dit en une heure, dommage.
Dancing Teen Teen d’Eun-Me Ahn au Théâtre de la Ville dans le cadre du Festival d’Automne à Paris et de l’Année France-Corée. Chorégraphie, mise en scène, scénographie et costumes d’Eun-Me Ahn. Musique de Younggyu Jang. Conseil artistique, Chun Wooyong. Lumière de Jang Jinyoung. Vidéo de Tae Suk Lee. Costumes et décors, Yunkwan Design. Avec Eun-Me Ahn, Wan Young Jung, Nam Hyun Woo, Yougmin Jung, Si Han Park, Hyekyoung Kim, Jihye Ha, Ee Sul Lee, Ki Bum Kim. Et les « Teenagers » Yeon Joo Lee, Ye Jina Lee, Chae Yun Cho, Ji Young Kim, Seung Gyu Park, Ji Eun Wang, In Ha Kang, Hae Jin Kim, Eun Sol Kim, Seeung Bin Eun, Da Eu Ko, Ye Seul Gwon. Jeudi 24 septembre 2015.