Retour à Berratham d’Angelin Preljocaj
Après un accueil mitigé dans la Cour d’honneur du Palais des papes, c’est dans une version resserrée et remaniée que Retour à Berratham d’Angelin Preljocaj investit le Théâtre National de Chaillot, pour près d’un mois. Mais malgré les changements opérés et de très beaux moments dansés, le spectacle et son mélange du texte et de la danse ne parvient toujours pas à totalement convaincre.
Dans cette pièce, Laurent Mauvignier l’auteur et Angelin Preljocaj le chorégraphe nous narrent l’après-guerre, le temps de l’occupation dans une société ravagée par la violence et les exactions. Un monde où les hommes ne sont plus que lâches ou tortionnaires et les femmes leurs premières et sempiternelles victimes. Un jeune homme, qui avait quitté la ville avant le conflit, revient à Berratham pour retrouver Katja, celle qu’il aime. Errant dans les rues où il ne reconnait rien, il ne trouve qu’une communauté criminelle et des ruines.
La scène inaugurale séduit. Tandis que les trois récitants, de leurs mots, plantent le décor, un chœur de jeunes femmes entame en ligne une danse précise, aiguisée. Et leurs gestes disent l’inexorable de la tragédie qui va être contée. Malheureusement, malgré quelques tableaux d’une grande force, la magie n’opère que peu souvent par la suite. Car texte et danse, au lieu de s’enrichir, appauvrissent mutuellement leur impact.
En commandant cette « tragédie épique » à Laurent Mauvignier, Angelin Preljocaj s’essaie à la création d’un nouveau genre. Le texte récité par trois comédiens sur scène tient du livret, servant de trame à la danse qui se déploie le plus souvent sur la musique des mots. L’expérience est tentante, surtout pour un amoureux des lettres qui n’en ai pas à son premier essai : du livret qu’il commande à Pascal Quignard pour L’Anoure, au Funambule où il dit, seul en scène, le long poème éponyme de Jean Genet, en passant par sa première collaboration avec Laurent Mauvignier pour Ce que j’appelle oubli. Mais cette fois le mariage n’est pas heureux. Car qui se laisse imprégner par la poésie des mots de l’écrivain en oublie de regarder la danse. Et qui se laisse emporter par l’émotion des gestes en oublie d’écouter la poésie des mots.
Alors bien sûr, il reste les superbes lumières de Cécile Giovansili-Vissière, la scénographie efficace bien qu’un peu convenue d’Adel Abdessemed, et surtout de magnifiques moments dansés où le vocabulaire d’Angelin Preljocaj, brillamment exécuté par ses onze interprètes, déploie toute sa force. La scène du mariage, alors que les jupettes des danseuses s’envolent, rappellent ses brillantes Noces tandis que la mariée nue qui se débat, Katja, a tout de la jeune sacrifiée du Sacre du Printemps. La nuit d’amour est bouleversante et les scènes de luttes survoltées.
Mais l’ensemble laisse une impression mêlée de surenchère et de frustration. Surenchère des mots ajoutés à la danse, qui empêchent le public de ressentir pleinement le tragique de Berratham. Surenchère dans le drame aussi, tant les viols, meurtres et rapines s’enchaînent inexorablement. Pour toucher et toucher profondément, il est souvent plus efficace de montrer l’horreur d’un seul événement. Le Grand Voyage de Jorge Semprun qui, simple récit de son trajet vers Buchenwald, contient en germe toute l’abjection de la Shoa n’est-il pas totalement bouleversant ? Frustration enfin de ne pas voir la danse d’Angelin Preljacaj, vive, nerveuse, précise, se déployer plus largement. Car on devine qu’exécutée seule, elle aurait été mieux à même de sensibiliser au funeste destin de Katja et de son jeune amoureux.
Retour à Berratham d’Angelin Preljocaj au Théâtre National de Chaillot. Chorégraphie et mise en scène d’Angelin Preljocaj. Texte de Laurent Mauvignier sur une commande d’Angelin Preljocaj. Scénographie d’Adel Abdessemed. Lumières de Cécile Giovansili-Vissière. Création sonore de 79D assisté de Didier Muntaner. Musiques additionnelles de Georg Friedrich Haendel, Fatima Miranda et Abigail Mead. Costumes de Sophie Ghellert. Avec Virginie Caussin, Laurent Cazanave, Aurélien Charrier, Fabrizio Clemente, Baptiste Coissieu, Margaux Coucharrière, Emma Gustafsson, Verity Jacobsen, Caroline Jaubert, Emilie Lalande, Barbara Sarreau, Niels Schneider, Liam Warren et Nicolas Zemmour. Mardi 29 septembre 2015.
pirouette24
Très belle critique, très bien écrite ,j’ai aimé la lire ! J’ai une relation amour haine avec Preljocalj j’hésitais donc à aller à ce spectacle…votre critique me donne paradoxalement l’envie d’aller me faire mon avis 😉
Cyril
J’ai trouvé ça vraiment mauvais. Le texte est d’une médiocrité abyssale et les comédiens horriblement nuls.
Sandrine
assez déstabilisant le texte et la danse, si on écoute le texte on ne voit plus les mouvements des danseurs, si on regarde les danseurs nous n’entendons pas totalement le texte.
Alors j’ai décidé de regarder les danseurs, les moments de danses sont vraiment tres beau.
Et puis petit à petit, j’ai pu profiter aussi du texte….
C’est un sujet difficile, lourd : la guerre civile.
Le texte n’est pas joué mais simplement dit.
C’est surprenant et déstabilisant mais merci M.Preljocaj pour cette chorégraphie.
Delphine Baffour
@pirouette24 Merci pour le compliment. Cette pièce divise le public autant que les critiques, le mieux est donc en effet de la voir pour forger son propre avis. N’hésitez pas à nous dire ce que vous en aurez pensé !
@Cyril @Sandrine Angelin Preljocaj a coutume de citer les mots de Marcel Duchamp : « C’est le regardeur qui fait l’œuvre ». Vous en donnez ici un bel exemple. Quand certains sont rebutés par le texte et le phrasé volontairement déclamatoire des comédiens, d’autres, portés par la danse, se laissent séduire. Merci pour vos avis en tous les cas.
Trixi
Je me retrouve plutôt dans l’expérience de @Sandrine. J’ai moi aussi privilégié la danse et fait abstraction du texte. Ce que nous voyions était suffisamment fort pour ne pas avoir besoin de rajouter ce texte, qui de par sa tonalité monocorde, me faisait perdre l’attention des danseurs quand je faisait l’effort d’entendre les mots. Donc à partir du moment où j’ai annulé ma compréhension du texte, le spectacle m’a paru excellent, fort, très bien dansé, belle lumières qui donnaient l’ambiance aussi bien que le texte. Un très bon Preljocaj.
Un petit mot sur la soirée de samedi et l’hommage aux 30 ans du ballet: NUL, RIDICULE, un défilé de « chacun vient vendre sa soupe », ces « artistes » qui sortent de la générosité des subventions diverses et variées mais qui n’ont rien à voir avec ce que représente le ballet Preljocaj depuis tant d’années. Depuis le temps que je viens à Chaillot, ma première vraie déception. Je suis parti, avec beaucoup d’autres, moins d’une heure après le début de ce qui devait être un hommage.
Delphine Baffour
@Trixi J’étais également à la soirée d’anniversaire des 30 ans du Ballet Preljocaj, (CR à venir sur DALP) qui était conçue non comme un hommage mais plutôt comme une fête partagée avec le public, les amis et les collaborateurs actuels ou passés de la compagnie. Je ne vous trouve pas juste lorsque vous écrivez que ces artistes étaient venus vendre leur soupe et n’avaient rien à voir avec le Ballet Preljocaj. Michel Kelemenis (qui était danseur chez Dominique Bagouet avec Angelin) et Georges Appaix (que le ballet accompagne depuis fort longtemps) présentaient une pièce remontée ou un moment conçu pour l’occasion, qui n’ont donc pas vocation à tourner ou à être vendues. Peut-être avez-vous été choqué par la performance de Steven Cohen, et si c’est le cas vous n’êtes en effet pas le seul à avoir quitté Chaillot à ce moment-là. Mais c’est dommage, Natacha Atlas (qui à participé à la création des Nuits) a chanté ensuite un joli Happy birthday to you, Kaori Ito (ancienne danseuse du ballet) nous a offert un très joli solo, et Oliver Dubois (lui aussi ancien danseur d’Angelin Preljocaj) a exécuté de mémoire, avec un certain brio et beaucoup d’humour, quelques pas de chorégraphies emblématiques. Il a même été rejoint dans sa danse par d’anciens interprètes qui trépignaient sur scène lorsqu’il en est arrivé à Roméo et Juliette. Peut-être auriez-vous mieux apprécié ces moments plus tardifs.