Cats d’Andrew Lloyd Webber – Théâtre Mogador
Ça miaule au Théâtre Mogador ! L’arrivée de la comédie musicale anglaise Cats pousse au jeu de mots facile sur le chat. Mais à raison. Ce gros succès du West End depuis sa reprise en 2014 n’est pas le meilleur musical du siècle, mais a pour lui un univers bien particulier et un savoir-faire du spectacle hors pair. Huitième production de Stage France (qui fête d’ailleurs ses 10 ans), la pièce d’Andrew Lloyd Webber dans sa version française n’a pas à rougir de sa collègue anglaise. Un rythme efficace, une superbe production et une troupe au niveau, Cats séduit dans son ensemble et fait oublier ses irrégularités. Largement, pour le public, de quoi ronronner de plaisir (dernier jeu de mots de l’article, c’est promis).
Pour qui ne connaît pas Cats, la comédie musicale a de quoi déstabiliser. Il n’y a pas vraiment de scénario, de personnage principal ou de tension dramatique. Le spectacle est en fait une adaptation d’un recueil de poèmes pour enfants de TS Eliot, publié en 1939. Chaque année, les Jellicles Cats se retrouvent dans leur décharge un soir de pleine lune. Leur chef, le vieux Deutéronome, choisira au matin qui aura le droit d’avoir une deuxième vie. La pièce consiste donc à chaque chat de se présenter, lui et son univers. Bon, au deuxième acte, il y a un semblant d’action avec l’enlèvement du Deutéronome. Mais rassurez-vous, il rentre sain et sauf au bercail et choisit Grizabella à la résurrection. Grizabella, c’est la star déchue qui chante le tube Memory, Ma vie en français. Oui, c’est du spoil, mais tout le monde devine dès son apparition sur scène qu’elle sera l’heureuse élue. Et de toute façon, la tension dramatique n’est pas vraiment ce que l’on retient de Cats.
Le spectacle dure pourtant 2h30. Tenir tout ce temps sans véritable scénario, mission impossible ? Pas du tout ! Le rythme, au contraire, tient parfaitement la route. Car plus que sur l’histoire, Cats marche sur un univers. Tout un monde a été inventé : des magnifiques costumes, des maquillages élaborés, un décor de décharge qui déborde dans les fauteuils. Surtout une vingtaine de personnages tous différents, avec des personnalités distinctes, et tous mis en valeur à un moment ou à un autre. Il y a la chatte blanche et un peu naïve, le magicien virtuose, un vieux chat Pouffi, un chat qui squatte les trains, deux chattes sexy à la voix groovy, un duo de chats-voleurs mais si sympathiques… Une vingtaine de chats et chattes attachant-e-s et drôles, que l’on se plaît à découvrir au fil de la pièce.
Les caractères sont aussi bien rendus par la troupe, excellente. Si l’on ne peut pas comparer avec le niveau du West End, dont ses artistes possèdent un sens théâtral unique au monde, les interprètes français-ses n’ont pas à rougir de leur prestation. Cats, c’est un mélange de chorégraphies très techniques et d’une partition pas facile (à défaut d’être véritablement intéressante). Le casting a été long, mais le final tient vraiment la route. Plusieurs artistes ont été formés à l’Opéra de Paris ou à la Royal Ballet School, le niveau est là. Les chorégraphies sont endiablées et réglées au cordeau, sans néanmoins de fausse note dans la voix ou mettant en retrait l’aspect vocal des personnages. Et la musique, très typée années 1980, finit même par passer. C’est pourtant ce qu’il y a de moins réussi dans cette comédie musicale (au passage, il est toujours surprenant de voir que Stage, depuis quelques années, porte son choix sur des spectacles à la partition vraiment faible).
Cats fonctionne aussi avec la certaine poésie de ses chansons, bien rendue par la traduction française. On imagine assez bien l’esprit particulier que doit avoir la version anglaise. Cela pose d’ailleurs la question de la traduction. Stage tient à ce que son public comprenne les paroles. Mais dans ce cas précis, où la pièce tient plus sur la poésie des textes plus que sur la tension dramatique, la légitimité d’une traduction est à débattre. L’équipe française a cependant fait un formidable travail, même si certaines chansons ne peuvent sonner aussi bien que leur version anglaise. L’essentiel est là cependant, une traduction pas franchement littérale mais qui s’applique à une certaine poésie.
Le mélange de tout ça fait que sur scène, il y a indéniablement un parfum particulier, un univers à part. Et que le spectacle se tient, sans ennui, sans temps mort pendant 2h30. Tant pis pour le non-scénario et la partition faible, la magie du spectacle fonctionne, et c’est bien là le principal.
Cats d’Andrew Lloyd Webber au Théâtre Mogador. Avec Axel Alvarez ( Mistofelees), Vanessa Caihol (Rumpleteazer), Federica Cappra (Cassandra), Cédric Chuplin (Munkustrap), William Da Silva Pedro (Pouncival), Prisca Demarez (Grizabella), Pierre-Yves Duchesne (le vieux Deutéronome), Alexandrea Girard (Tantomile), Grégory Gonel (Alonzo), Yoan Grosjean (Bill Batley), Emmanuelle Guelin (Victoria), Oonagh Jacobs (Jemima), Katharina Lochmann (Jennychatoyante), Sylvain Mathis (Skimbleshanks), Emmanuelle N’Zuzi (Demeter), Lucas Radziejewski (Coricopat), Leonie Thoms (Jellylorum), Nicolas Turconi (Macavity), Wim Van Den Driessche (Bustopher Jones), Rachael Ward (Bombalurina), Golan Yosef (Rum Tum Tugger) et Stoyan Zmarzlik (Mungojerrie). Mercredi 30 septembre 2015.