Still Life de Dimitris Papaioannou
Présentée au Théâtre de la Ville, la pièce Still Life permet de découvrir pour la première fois en France le travail du chorégraphe Dimitris Papaioannou. C’est l’occasion d’entrevoir un univers singulier, pictural, où inventivité, absurde et beauté règnent en maître. Une réussite !
Pionnier de la danse contemporaine grecque, Dimitris Papaioannou jouit d’une très forte notoriété dans son pays. C’est lui qui, en 2004, met en scène les cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques d’Athènes. Diplômé de l’école des Beaux-Arts de la même ville, élève du peintre Yannis Tsarouchis, il découvre la danse par hasard. Avec elle, il réalise qu’il peut, après avoir publié des bandes dessinées, « raconter ses histoires visuelles avec des corps vivants« .
Et de fait, la danse de Dimitris Papaioannou est extrêmement marquée par les arts plastiques. Still life, sa dernière pièce, offre au public une succession d’images d’une beauté et d’une étrangeté saisissantes. Son ciel de blancs nuages mouvants, emprisonnés dans un immense globe presque terrestre, ne serait pas renié par Magritte. Ses danseurs, qu’ils soient assis pensifs sur une chaise imaginaire ou qu’ils sortent, habillés de costumes noirs, d’un bloc de pierre brute, paraissent avoir été sculptés par la main de Rodin. Quand la lumière comme les vêtements ne laissent voir qu’une partie d’un corps qui se contorsionne, on retrouve alors toute la bizarrerie de Bacon. Quant à ses danseuses, vêtues de longues et fluides robes couleur chair, elles évoquent tour à tour la Vénus et les Trois grâces peintes par Botticelli ou l’Arachné dessinée par Gustave Doré pour illustrer la Divine Comédie de Dante.
Pour Still life, Dimitris Papaioannou convoque la mythologie. Il réinvente l’histoire de Sisyphe, le créateur de Corinthe qui, parce qu’il a voulu échapper à la mort et défier Thanatos, est condamné à faire rouler à jamais un rocher, qui toujours en retombe, au sommet d’une colline. Comme Albert Camus le faisait dans son essai philosophique, Le mythe de Sisyphe, il pointe avec Still Life l’absurdité et la beauté d’une vie humaine : « Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile, ni fertile. Chacune des graines de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme, il faut imaginer Sisyphe heureux. »
Ses danseurs et danseuses trainent sur leur dos, à tour de rôle, lentement et péniblement, un large bloc de pierre crayeuse qui s’effrite. Ils portent des amas de cailloux poussiéreux qui leur cachent la vue, s’aident d’une pèle ou d’une échelle pour marcher. Ils bravent le vent qui se déchaine (Sisyphe n’est-il pas le fils d’Eole ?) et tentent de faire remonter la voute céleste, à moins quelle soit terrestre, qui peu à peu plonge sur eux.
Still Life peut se lire comme une photographie de la Grèce actuelle, ployant sous le poids de la dette et dont les habitant-e-s, dans la poussière des gravas, se retroussent inlassablement les manches pour tenter de trouver une issue à la crise. Mais il est aussi une ingénieuse métaphore du geste créatif. Car si la répétition, dans son sens habituel, est pénible et fastidieuse, elle est aussi essentielle au travail de l’artiste. C’est par elle que nait une œuvre. En répétant leurs gestes, Dimitris Papaionanou et ses interprètes inventent à chaque fois de nouvelles formes, de nouvelles images, étranges, absurdes ou d’une étonnante beauté.
« Au moment où la Grèce entrait dans une crise profonde, j’ai décidé d’explorer à nouveau la possibilité de créer une certaine magie théâtrale dans une grande économie de moyens » déclare Dimitris Papaioannou. Et c’est ce qu’il réussit avec brio. Espérons que cette première française n’est que le début d’une très longue série.
Still Life de Dimitris Papaioannou au Théâtre de la Ville. Concept visuel, mise en scène, costumes et lumières de Dimitris Papaioannou. Composition sonore de Giwrgos Poulios. Avec la collaboration pour le décor de Dimitris Theodaropoulos et Sofia Dona. Adapté pour la tournée par Thanassis Demiris. Sculpture et peinture de Nectarios Dionysatos. Avec la collaboration pour les costumes de Vassilia Rozana. Producteur créatif et assistant à la mise en scène, Tina Papanikolaou. Assistante à la mise en scène et directrice des répétitions, Pavlina Andriopoulou. Avec Prokopis Agathokleous, Drossos Skotis, Michalis Theophanous, Costas Chrysafidis, Christos Strinopoulos, Kalliopi Simou, Pavlina Andriopoulou et Dimitris Papaioannou. Mardi 13 octobre 2015.
Propos recueillis par Jean-Marc Adolphe.