Steve Paxton et Jurij Konjar – Bound
Au Théâtre des Abbesses, Jurij Konjar danse Bound de Steve Paxton, pièce de 1982. Steve Paxton, chorégraphe postmodern majeur, cofondateur du Judson Dance Theater et inventeur du contact improvisation, a transmis à Jurij Konjar cette pièce dont toutes les séquences dansées sont improvisées, et qu’il avait d’abord créée sur lui-même. Accessoires et décors bricolés au parfum d’absurde, son grésillant et saynètes hétéroclites : Bound est une pièce étonnante, que Jurij Konjar porte magnifiquement par l’ample résonance de ses gestes.
Le danseur apparaît en scène affublé d’un short militaire par dessus son pantalon rouge, d’un bonnet de bain et de lunettes de soleil ! Pour ne cesser de se métamorphoser, et avec lui le plateau. Tout est de bric et de broc dans cette scénographie, de la valise en carton au vidéoprojecteur sur roulettes que Jurij Konjar fait aller et venir. Sur fond d’une toile militaire, il crée ainsi d’étranges mais frappantes images. Steve Paxton a choisi le titre de son spectacle pour son ambiguïté : Bound peut signifier le bond, mais aussi la limite, ou encore le lien. Et ce sont des liens que ne cesse d’installer brièvement Jurij Konjar par sa danse, toujours à la limite du théâtre mimé ou de la performance. En projetant un plafond d’église de la Renaissance italienne sur la toile militaire, en restant un long moment assis entre le basculement d’un rocking chair et celui d’un vieux berceau, il fait surgir des questions fondamentales. Sur le lien entre culture et barbarie, sur le rapport de l’individu au temps – temps de la vie, temps de l’histoire.
Mais rien de trop cérébral dans cette pièce, qui fascine d’emblée par son intensité, fait rire bien souvent, et convie progressivement au mouvement pur. Tout au long de Bound, on en vient à se passionner pour d’insignifiants détails, et l’improvisation prend sens dans l’échec d’un geste, d’une intention. Ainsi quand Jurij Konjar joue un peu maladroitement avec des planches de bois, comme avec un mikado géant. Dans la deuxième partie du spectacle, les yeux fermés, sobrement vêtu de blanc sur une scène vide, il semble s’offrir à un mouvement qui, tout en émanant de lui, le transcende. Bound entremêle avec une étroitesse rare danse et philosophie, pour un spectacle qui questionne autant qu’il captive, et permet de découvrir en Jurij Konjar un formidable interprète.
Bound de Steve Paxtonau Théâtre des Abbesses. Avec Jurij Konjar. Jeudi 22 octobre 2015.