La Belle au bois dormant d’Alexeï Ratmansky – American Ballet Theatre
La rentrée 2016 à l’Opéra de Paris se fait avec une compagnie invitée, l’American Ballet Theatre. Et qui est venue avec un ballet qui a de quoi interpeller : La Belle au bois dormant remonté par Alexeï Ratmansky selon la notation Stepanov, qui a mis sur papier (220 pages !) la production de Marius Petipa de 1890. L’idée n’est pas de prétendre montrer la version originale telle quelle était, puisque la notation Stepanov se travaille aussi sur l’interprétation et qu’elle est dansée par des artistes du XXIe siècle. Le but est plutôt de redécouvrir ce qu’avait pu être, dans son esprit, La Belle au bois dormant. Le résultat est déroutant à plus d’un titre. Mais son parfum si particulier, son charme presque intimiste (si si, malgré les décors Grand siècle) et la profondeur du travail d’Alexeï Ratmansky séduisent indéniablement. `
À quoi pensons-nous lorsque nous évoquons le ballet La Belle au bois dormant ? Un long ballet où l’histoire ultra-mince sert surtout à montrer la virtuosité des danseur.se.s pendant 2h30, une ambiance Louis XIV à grand renfort de décors surchargés et de paillettes. La Belle au bois dormant d’Alexeï Ratmansky est – presque – l’inverse. Certes, il est toujours question d’une évocation de la cour du Roi-Soleil (magnifiquement représentée par l’Apothéose finale, mystérieusement laissée de côté par Rudolf Noureev). Les décors sont imposants. Mais il règne pourtant sur scène un parfum d’intimité. Cela naît des costumes (pas de tutus à paillettes mais des jupons aux genoux plutôt jolis), surtout d’une certaine simplicité dans la façon de se tenir en scène. Si nous sommes bien dans un conte et le merveilleux, les personnages sont pourtant tout ce qu’il y a de plus humains, avec leurs drôleries, leurs peurs, leurs joies.
L’histoire ainsi reprend sa vraie place. La pantomime est largement présente, ce sont souvent ces passages qui déroutent tant l’on en a plus l’habitude dans ce ballet. Mais c’est toute la danse qui est là pour raconter une histoire. Les Fées du prologue ne sont pas là que pour aligner des variations : elles offrent un don à Aurore, cela se voit dans leurs pas. Les pas de deux ou l’adage à la rose perdent leur dimension de moments suprêmes pour devenir des parties intégrantes de la trame. Ce mélange de réel et de contes de fées – un couple d’adolescents qui découvrent l’amour vs le chat botté qui cabotine à leur mariage – fait une grande partie du charme de cette version.
La différence technique est bien sûr ce qui saute aux yeux au premier coup d’oeil. Forcément, on ne danse plus aujourd’hui comme en 1890, que ce soit dans l’association des pas que dans la technique pure. Sur ce premier point, le travail d’Alexeï Ratmansky permet de voir une autre forme de virtuosité oubliée aujourd’hui. Les variations ne sont pas construites autour d’un climax (une diagonale finale ou un manège par exemple) dans une ambiance de brio assumé. Les interprétations ne portent pas à accentuer le brillant dans l’attitude en scène, mais à être précis.e et musical.e. La difficulté est pour autant réellement présente. Tout se travaille dans le bas de jambe, le travail de pointes mélangé à de nombreux épaulements précis, le tout avec une très grande rapidité d’exécution (les tempi de la partition sont d’ailleurs plus rapides que ce que l’on a l’habitude d’entendre). Marius Petipa était en Russie depuis de nombreuses années au moment de la création de La Belle au bois dormant, il n’en restait pas moins très école française dans sa chorégraphie. L’on voit ainsi des enchaînements de pas que l’on n’a plus l’habitude de voir, ou des pas oubliés. Le travail des diagonales sur pointes, des menés, des ballonnés est particulièrement attrayant. Sans être lyrique, les bras accentuent ce style tout en finesse avec de nombreux épaulements.
Quant à la façon de faire les pas, là aussi, c’est d’époque : les déboulés se font les genoux un peu pliés et sur demi-pointes, ainsi que de nombreux pas de liaison. Les arabesques se rapprochent de l’attitude, avec là-encore le genou un peu plié (le travail sur ces arabesques-attitudes est peut-être ce qui m’a le plus charmée dans la chorégraphie). Les jambes ne se lèvent pas plus que 90 degrés, même à la seconde. Alexeï Ratmansky n’est pas là pour dire qu’il faut retourner à ce genre de technique. Mais remonter La Belle au bois dormant selon les notes de Marius Petipa n’aurait pas eu de sens sans respecter cette technique. Ces genoux pliés sont peut-être ce qui choque le plus le regard, mais c’est aussi ce qui fait que cette version propose une grande cohérence.
Cette technique de virtuosité du bas de jambe n’est pas forcément innée chez les danseurs et danseuses de l’American Ballet Theatre. Mais toute la troupe s’est regroupé autour de ce projet, et montre constamment une vraie cohésion en scène. Stella Abrera, l’Aurore du soir, était dans le ton avec une interprétation portée par une certaine simplicité, je dirai même une certaine modestie. Il lui manque ce brio final d’une grande Étoile, mais il y a dans sa danse une grande intelligence, une véritable poésie et une musicalité qui s’exprime avec le plus grand naturel. Alexandre Hammoudi, le Français de la troupe, reste lui aussi dans un certain retrait, et se soucie avant tout de mettre sa princesse en avant.
Les danseuses ont offert en général les plus beaux passages. La danse des Fées du prologue était un pur régal, la scène de la Vision d’une grande poésie – avec presque un certain lyrisme, les Pierres précieuses du mariage étaient tout simplement délicieuses. En parfait contre-point, Marcelo Gomes a été une vraie Carabosse des contes de fées, de celles que les enfants s’amusent à avoir peur. Au milieu du mariage grandiose, le Chat botté, le Petit chaperon rouge ou le séduisant pas de deux de l’Oiseau bleu rappellent que nous sommes bien dans le Merveilleux, malgré l’arrivée du Roi-Soleil.
Cette Belle au bois dormant se savoure comme un tableau que l’on aurait débarrassé de plusieurs couches de vernis, et se découvre telle que Marius Petipa l’avait imaginée au XIXe siècle. Aec ce travail de reconstruction, Alexeï Ratmansky ne dit pas cependant qu’il faut revenir en arrière. La danse avance, évolue et les ballets ont traversé le temps parce qu’ils ont bougé avec leur époque. Il est d’ailleurs passionnant de voir des petits bouts de chorégraphie (comme le début du grand pas de deux) qui sont restés les mêmes au fil des siècles. Mais il fait parfois du bien de revenir à la base, revenir aux fondamentaux, justement pour mieux repartir de l’avant. Il faut prendre le temps de savourer ce ballet, d’habituer son regard et son esprit à quelque chose qui est finalement nouveau pour eux. L’intelligence du travail de Ratmansky, et la très grande cohérence du résultat final, font le reste.
La Belle au bois dormant d’Alexeï Ratmansky par American Ballet Theatre à l’Opéra Bastille. Avec Stella Abrera (Aurore), Alexandre Hammoudi (Désiré), Veronika Part (La Fée des Lilas), Marcelo Gomes (Carabosse), Devon Teuscher (Fée Diamant), Jeffrey Cirio (L’Oiseau bleu) et Sarah Lane (La Princesse Florine). Mardi 6 septembre 2016.
Marion Raynal
Je suis une inconditionnelle de Ballet, cet univers me transporte. J’ai assisté à plusieurs représentations du Lac des Cygnes qui est mon ballet préféré. Tchaikovsky est le compositeur qui suscite en moi le plus d’émotions, j’ai donc déjà vu une représentation de La Belle au Bois Dormant. A chaque fois il s’agissait de troupes Russes, non pas que cela me gêne, au contraire ils étaient excellents. Mais l’American Ballet Theatre fait partie des plus réputés, et j’aimerai un jour avoir la chance d’assister à une de leurs représentations. Pas devant ma télé, mais devant eux, ce doit être magique…Tu as de la chance de pouvoir assister à tant de spectacle ! Profites de chacun d’eux. Bisous, Marion, Chronicles of Marion.