La Bayadère – Amandine Albisson, Josua Hoffalt et Valentine Colasante
La Bayadère est décidément l’une des productions de Rudolf Noureev qui résiste le mieux au temps. Repris au Ballet de l’Opéra de Paris pour les Fêtes 2015, le spectacle est toujours aussi fastueux (comme peu de compagnies dans le monde peuvent se le permettre), avec des décors et costumes sublimes évoquant l’Inde fantasmée du XIXe siècle. La Bayadère, c’est une histoire triste (la bayadère Nikiya et le guerrier Solor s’aiment. Mais il est promis à la princesse Gamzatti, qu’il finit par épouser. Nikiya meurt d’une piqure de serpent et de chagrin. Il faut le rêve de Solor alimenté d’opium pour qu’ils se retrouvent dans un autre monde). Pourtant, La Bayadère est un ballet-qui-fait-du-bien. C’est un ballet de conte, d’un monde rêvé qui éblouit, c’est la beauté du 3e acte de Marius Petipa. Public comme artistes avaient un peu la tête ailleurs, mais le spectacle a finalement tenu bon. Et bien porté par un trio convaincant, composé d’Amandine Albisson, Josua Hoffalt et Valentine Colasante.
La première avait été difficile. À vrai dire, toutes les grandes premières du Ballet de l’Opéra de Paris sont souvent difficiles depuis quelques années, mais il y a des circonstances atténuantes cette année (qui n’a pas eu du mal à retourner travailler ? Qui ne connaît pas quelqu’un qui était sur les lieux des attentats, ou pas loin, ou qui aurait pu ?). Ce spectacle était la deuxième représentation, et a aussi commencé en ronronnant (pas aidé par un orchestre assez lent). Le premier acte a du mal à se lancer, les rôles de caractère ne sont pas assez percutants, l’histoire semble se traîner, les ensembles sont brouillons. Et puis le deuxième acte arrive, celui du mariage et de la fête, l’acte de divertissement. Et que s’est-il passé, mais tout à coup, pendant la danse des hommes, tout s’envole. Comme si tout le monde sur scène avait poussé un grand « Ouf !« . Le spectacle prend un nouvel élan, et l’acte 2 devient un régal. Tout semble plus vif. Pierre-Arthur Raveau danse une Idole dorée raffinée, plus près de la représentation du Dieu que de la statue, assez intellectualisée finalement. Charline Giezendanner est une Manou irrésistible et drôle, tandis que Fanny Gorse et Jérémy-Loup Quer débordent d’énergie dans la danse indienne.
L’acte 3 joue les contrastes, tutus blancs académiques contre saris colorés. Acte blanc du monde des rêves, il démarre avec la vertigineuse descente des Ombres. Les 32 danseuses du corps de ballet ne font plus qu’une, décor mouvant et habité. La descente en soi semble encore crispée, mais une fois à terre, tout le monde est au mieux. Les trois Ombres sont de luxe (Marion Barbeau, Éléonore Guérineau et Héloïse Bourdon), montrant ces variations comme ce qu’elles sont : de véritables petits bijoux chorégraphiques. Cet acte des Ombres n’en finit pas de fasciner par sa perfection, où aucun mouvement n’est de trop. Magique et rassérénant.
La Bayadère est un ballet de troupe, qui sait mettre toute sa hiérarchie en valeur. Dont ses solistes, avec trois rôles principaux forts et contrastés. Nikiya, la Bayadère du temple sacrée, aussi femme amoureuse ; Solor, guerrier tout aussi amoureux mais prisonnier des règles sociales ; Gamzatti, princesse qui tient à le rester. Le trio de ce soir, Amandine Albisson, Josua Hoffalt et Valentine Colasante, a su se montrer convaincant, sachant fonctionner ensemble.
Amandine Albisson a souvent l’image d’une danseuse technique mais froide. Rien de ça dans sa Nikiya. Elle est une femme amoureuse très attachante et touchante, profondément aimante, profondément blessée, profondément chagrinée. Pour sa prise de rôle, il n’y a pas encore chez Amandine Albisson cette vision sacrée du personnage, ni des bras encore très travaillés qui devraient rappeler les danses indiennes. Mais elle sait où elle va, son regard ne se perd pas, elle sait créer une véritable empathie entre son personnage et le public. Le pas de deux du premier acte est ainsi un grand moment de tendresse amoureuse, réveillant un acte 1 endormi (d’autant plus que la ballerine a parfois eu l’habitude de danser en oubliant ses partenaires, ce n’est pas le cas ce soir). Sa variation du deuxième acte est un chagrin, les accents de ses bras et de son dos sont comme des larmes.
Josua Hoffalt joue un Solor assez renfermé, mais présent. Pourtant la chorégraphie de Rudolf Noureev ne le montre pas à son avantage, alors qu’il est un danseur brillant. Il s’arrange aussi de la chorégraphie (les fans du manège de doubles assemblées vont être déçus). Josua Hoffalt brille finalement plus dans le jeu et dans le partenariat. Il sait à la fois assurer sa ballerine, la mettre en valeur sans s’oublier. La confiance est là, c’est aussi ce qui permet à ce pas de deux du premier acte de s’épanouir, comme à celui du troisième de s’élever.
Quant à Valentine Colasante, elle n’est pas la ballerine qui fait rêver, mais elle fait bien le job. Sa grande variation manque ainsi de ce brio éclatant, mais la danse est là. Surtout, la danseuse propose un personnage construit. La Bayadère, ce n’est pas un duo, c’est un trio, où trois personnes se répondent. Femme altière (loin de la biatch qu’est parfois la Gamzatti des jeunes danseuses) dès son entrée en scène, Valentine Colasante joue plus une princesse qui connaît ses droits qu’une femme amoureuse bafouée. Solor n’est d’ailleurs pas son prince charmant. Dès que leurs regards se croisent, l’on comprend tout de suite que ça ne va pas être la folle passion amoureuse. Mais Gamzatti sait ses devoirs en tant que princesse, un mariage est aussi le moyen de montrer qu’elle est en haut de la hiérarchie.
La Bayadère, c’est finalement plus un ballet sur la lutte des classes que sur la rivalité amoureuse. Ce qui heurte Gamzatti, c’est de savoir qu’une bayadère, si inférieure à elle socialement, peut être sa rivale. Ce trio prend toute sa force à la fin du deuxième acte. Il faut suivre les regards – de rebelle de Nikiya, condescendants de Gamzatti, plus honteux que peureux de Solor – les gestes des mains, les coups de tête. Tout un drame pendant la fête.
La distribution de la première proposait un tout autre trio, composé de Dorothée Gilbert (Nikiya), Mathias Heymann (Solor) et Hannah O’Neill (Gamzatti). Chacun.e était plus brillant individuellement, mais l’ensemble ne fonctionnait pas du tout. Dorothée Gilbert est une Nikiya somptueuse (à ne pas manquer !), au magnifique travail de bras et de dos, au sommet de son art. Technicienne accomplie, elle met tout son savoir au service de son interprétation mûrie. Mathias Heymann est formidablement brillant et attachant. Mais les deux n’ont rien à se dire. Et plus que leur pas de deux, c’est bien Hugo Vigliotti en formidable fakir qui porte tout le premier acte. Hannah O’Neill tombe dans le piège de la Gamzatti-Biatch, mais sa grande variation est magistrale et son personnage se tient au premier acte. Le partenariat avec Mathias Heymann ne fonctionne pas mieux, même si ici le problème est plus technique qu’artistique. Tant pis pour les adages, le sommet du deuxième acte restera François Alu est sa magistrale Idole Dorée. Plus que ses sauts, c’est sa précision qui laisse admiratif.ve, la précision de ses gestes, de ses mains, de sa tête, de ses attitudes. Une statue qui prend vie, c’est exactement ça. Du grand art.
La Bayadère de Rudolf Noureev par le Ballet de l’Opéra de Paris, à l’Opéra Bastille. Avec Amandine Albisson (Nikiya), Josua Hoffalt (Solor), Valentine Colasante (Gamzatti), Pierre-Arthur Raveau (l’Idole dorée), Florian Magnenet (l’Esclave), Charline Giezendanner (Manou), Antonin Monié (le Fakir), Bruno Bouché (le Rajah), Yann Chailloux (le Grand Brahmane), Fanny Gorse et Jérémy-Loup Quer (les solistes indien.ne.s), Marion Barbeau, Éléonore Guérineau et Héloïse Bourdon (les trois Ombres). Jeudi 19 novembre 2015. À voir jusqu’au 31 décembre.
pirouette24
Je sors tout juste de la représentation Heyman-Gilbert-Oneil et je n’ai qu’un mot à dire: Mathias.Il a été extraordinaire, vraiment. Il semblait beaucoup plus confiant que d’autres fois où je l’ai vu et à littéralement explosé la scène, et à même eu doit à des applaudissement juste après le manège de doubles cabrioles de sa variation! C’était tellemnt incroyable de ballon, de légèreté , de précision! Après pour l’interprétaion en elle même du guerrier Solor ça n’était la plus aboutie que j’ai vu mais franchement, à ce niveau là, on s’en moque.
Du coup ses deux partenaires m’ont fait un effet plutôt mitigé. Hannah O’neil était peut être en petite forme ,mais je n’ai rien vu du personnage de Gamzatti (ok, j’ai Victoria Tereshkina en référence , mais bon) et malheureusement elle chuté plusieurs fois de ces pointes pendant ses variations. Dorothée Gilbert m’a plu et je lui ai trouvé de tès beaux bras, sans non plus être transcendée.
Enfin un mot pour le magnifique troisième acte, qui m’a beaucoup ému, un corps de ballet au cordeau et trois très belles ombres (Guérineau surtout, quel bijou!)
Gwen
« La Bayadère », ce sont des décors et des costumes somptueux et pour moi c’est l’image d’une Isabelle Guérin au sommet de la grâce et d’une Aurélie Dupont aux bras de déesse grecque. Vendredi 20 novembre, avec le trio Heyman-Gilbert-O’ Neill, j’ai regretté plusieurs choses :
– l’approximation technique d’une Gamzatti au minois charmant et attachant mais au charisme peu princier,
– le manque d’alchimie entre Nikiya et Solor et le fait que Nikiya soit plus grande que son partenaire (même sans les pointes) donne un rendu étrange, comme si elle dansait non avec son amant mais plutôt avec son petit frère,
Je ne découvre le travail et le talent de Dorothée Gilbert que depuis un an, étant auparavant très focalisée sur Aurélie Dupont et sa présence incomparable, donc mon avis semblera peut-être un peu trop subjectif mais j’ai trouvé que Nikiya semblait plus amoureuse d’elle-même que de Solor. Au-delà de la performance technique indéniable, j’ai trouvé dans le jeu de Dorothée Gilbert une note de narcissisme qui m’a gênée et qui ne m’a pas rendu attachant ce superbe personnage de Nikiya.
Dans l’ensemble, une belle soirée pour un grand ballet, une idole dorée à couper le souffle, des sauvages déchaînés, un fakir génial, un Solor en solo magistral et émouvant mais des couples sans âme et sans amour, un comble.
Road
Vivement les spectacles avec la Bourdon qu’on se réveille un peu de ces trios bizarres et parfois un peu soporifiques
Lili
Bonsoir,
J’ai des places pour le 18 décembre, donc ce sera la découverte de danseurs qui ne sont pas de l’Opéra… Dommage car j’emmène des néophytes… Je pense que ce style de ballet devrait leur plaire. Cependant il y aurait un garçon de 9 ans dans le groupe, je pose la question aux spécialistes de ce site : est-ce adapté, notamment en termes de … longueur de soirée?
Merci
Gwen
Je ne trouve pas le ballet long, en fait, j’ai emmené le 20/11 une amatrice et un néophyte et nous avons tous les trois trouvé que c’était passé vite. Chaque acte fait 45 minutes, avec les deux entractes, ça va vite, presque un goût de trop peu ou de reviens-y 🙂
Falco
Mis a part les ombres et en particulier Barbeau
Bourdon magnifiques et dans l’esprit Noureev pur
le reste est dénaturé Je ne reconnais pas la Bayadère, c’est pauvre et triste.Rien il ne se passe rien
MUC
Je pense que cela devrait lui plaire, surtout les 2 premiers actes, le 3eme acte
étant très différent des 2 autres ou il sera subjugé… ou il s´endormira !!! mais je ne crois pas, voir un spectacle « en vrai » est a mon avis toujours prenante. Bonne
soirée
a.
@ Lili, je pense que l’enfant de 9 ans sera le plus enthousiaste de tous! 🙂 mes enfants n’ont jamais souffert de la longueur d’un ballet (à la différence de la longueur d’un concert par ex.) et je les emmène depuis qu’elles ont 4 ans… vous serez à mon avis surprise de sa capacité à « entrer » dans le ballet.
Pauline
J’ai vu la distribution Albisson/Colasante/Hoffalt cet après-midi.
J’y allais avec une certaine réserve au vu des commentaires mitigés que l’on voit partout là-dessus. J’en ressort avec une certaine réserve, comme si l’alchimie n’était pas au RV, malgré des personnalités intéressantes.
J. Hoffalt a été très bien individuellement, plutôt brillant techniquement (réceptions nettes des sauts et pirouettes, virtuosité, j’aurais voulu un peu plus d’envol sur les grands jetés), mais manquant de passion avec ses partenaires. A. Albisson un peu fébrile sur l’acte 1, a fait un acte 2 et 3 très fort et poignant. Enfin V.Colasante m’a agréablement surprise, piquante et cruelle à souhait, et virtuose, avec des fouettés sans accroc, bravo !
Des belles variations de Barbeau, Hurel et Bourdon dans les ombres, et globalement des demi solistes bien présents dans les différents rôles (même si PA Raveau m’a semblé trop hésitant dans l’idole doré)
C’est le corps de ballet qui m’a un peu déçu : beaucoup de désynchronisation dans les tableaux, une des membres de la 1ère ligne des ombres qui n’est pas arrivé à tenir un simple développé en seconde (je suis danseuse amateur j’y arrive …). Dommage car ça gâche un peu l’impression d’ensemble et le travail vraiment intéressant de tous les rôles.
Lili
Merci pour vos avis qui sont donc rassurants !! (ça le changera du foot 🙂 ) Je vous raconterai ça…
laure
bonjour,
est-ce que Ida Vikinkovski dansé? si oui quelqu’un peut-il m’en dire quelque chose??
merci
Minis
oui Ida a dansé et très agréablement et avec l’autorité qui convient au rôle. Elle dansait Gamzatti Samedi soir avec le couple formidable Bourdon Hernandez devant un salle enthousiaste. La scène du couteau avec Ida et Heloise géniale . Ida a exécuté une variation parfaite et inspirée . La Nikiya de Bourdon inoubliable et sans aucune comparaison avec les précédentes interprétations des autres danseuses et le Solor de Hernandez une pure merveille. oui Ida a fait une très belle prise de rôle et s’est jouée des difficultés techniques .
laure
merci minis de ton compte rendu , je suis contente pour Ida car sa montée en flèche dans le corps de ballet m’interrogeait sur ses capacités si jeune et si jeune danseuse à tenir un tel rôle, me voilà rassurée!!