Umwelt de Maguy Marin au Théâtre de la Ville – Un monde en mille morceaux
Créée en 2004, Umwelt de Maguy Marin est de retour au Théâtre de la Ville en décembre 2015. Cette pièce n’épargne pas le.a spectateur.rice. Mais, déconcertante à première vue, elle ne tarde pas à fasciner et à emporter dans son récit visuel d’une histoire très ordinaire, celle du quotidien humain.
Pour toute musique, le bruit assourdissant d’une soufflerie et les accords dissonants de trois guitares électriques posées au sol, dont « joue » un fil déroulé par deux bobines mécaniques – un fil dont la longueur égale celle du spectacle. Pour toute « danse », l’agencement et la répétition aléatoires de dix séquences de quelques secondes, exécutées entre de grands miroirs un peu mats, qui dissimulent les coulisses et leurs étagères de costumes et accessoires en tout genre. Entre les miroirs, les interprètes (cinq hommes et quatre femmes) surgissent et s’enfoncent en quelques secondes, faisant à deux, trois ou quatre le même geste, la même tâche.
Prestidigitateur.rice.s de l’ordinaire, les voici qui mangent une pomme, enfilent un bleu de travail, brandissent un bébé-poupée, s’engueulent, enfilent une couronne de galette des rois, boivent un café, s’embrassent, prennent des photos, s’agressent… Ils.elles créent le chaos en un rien de temps, salissent l’avant-scène de leurs déchets, pour disparaître aussitôt, et reparaître complètement changé.e.s, leurs actions interchangées par le hasard. L’insignifiant, l’atroce, le sublime sont mis sur le même plan, le banal et l’extraordinaire se succèdent indifféremment, dans cette allégorie visuelle de la vie humaine. Toujours, ou presque, les séquences sont exécutées à plusieur.e.s, ce qui donne à la scène des allures de kaléidoscope : dupliquer l’espace pour rendre compte du caractère cyclique du temps. Umwelt rappelle le mythe de Sisyphe, considéré par Albert Camus comme l’allégorie tragique de la condition humaine.
Mais au sein de ces cycles, des moments s’arrachent. Certaines séquences frappent ainsi plus que d’autres. Par leur incongruité : ces personnages énigmatiques couverts de longs tissus, portant un sac sur l’épaule. Par leur beauté : ces étreintes qui s’arrachent à la terre, comme dans le sublime Eden ; ces femmes nues portées sur les épaules d’hommes. Par leur violence : ces affreuses courses poursuites qui rappellent Bit, pièce créée en 2014, où Maguy Marin traite notamment du viol.
Umwelt est une pièce aussi tragique qu’émouvante. Ses interprètes sont formidables. De tous âges, toutes morphologies (mais tou.te.s blanc.he.s…), parfois nu.e.s, ils.elles donnent à ce spectacle une profonde humanité, celle qu’on peut aussi trouver par exemple dans les spectacles de Pina Bausch. Et la chorégraphe est présente dans Umwelt, à travers ces hommes et femmes en longues robes de soirée multicolores, à travers cette terre ocre jetée sur le plateau. La répétition des séquences, dans l’espace et dans le temps, les fixe dans l’imaginaire, et fait apparaître leur beauté. Une beauté nécessairement éphémère, si ce n’est dans la mémoire, mais peut-être salvatrice.
À intervalles réguliers, un.e interprète sort du dispositif de miroirs et lance un long regard vers le public. A la fin, tou.te.s se rassemblent en pleine lumière, et nous dévisagent : ils.elles nous renvoient au monde, à notre vie, après les avoir enrichis de ce spectacle, d’une si grande richesse qu’il pourrait être revu encore et encore.
Umwelt de Maguy Marin au Théâtre de la Ville, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Avec Ulises Alvarez, Charlie Aubry, Kais Chouibi, Estelle Clément Bealem, Laura Frigato, Cathy Polo/Louise Mariotte, Agnès Potié, Marcelo Sepulveda Rossel et Ennio Sammarco. Vendredi 4 décemnre 2015. À voir jusqu’au 8 décembre puis en tournée en France et en Europe.