Le Lac des Cygnes d’Alexeï Ratmansky par la Scala de Milan – Une reconstruction résolument moderne
Dans la pléthore des Lac des Cygnes qui déferlent sur les scènes parisiennes cette saison, s’il fallait n’en voir qu’un, ce serait sans conteste la version d’Alexeï Ratmansky dansée par le ballet du théâtre de la Scala de Milan au Palais des Congrès de Paris. Co-produit par le Ballet de Zurich où il fut créé au printemps dernier, ce Lac des Cygnes du chorégraphe américano-russe propose, sinon une reconstruction fidèle, du moins un retour aux sources d’un ballet iconique. Et ce prisme lui donne paradoxalement une nouvelle jeunesse.
C’est une expérience à la fois troublante et singulière pour le.la balletomane de découvrir ce Lac des Cygne, écartelé.e entre deux sensations contraires : tout y est et chacun.e reconnaitra la trame du ballet et la succession de ses variations (pas de deux ou de trois, solos ou danses de caractères). La partition, qui est sans doute le plus grand tube de l’histoire de la danse, impose aussi un territoire familier. Mais tout est pourtant autre.
La musique justement, est jouée à un tempo jamais entendu. Cela va vite, très vite parfois et ce parti-pris redonne un élan et une dynamique que l’on a souvent perdus dans les autres productions. Il y a aussi tout ce travail minutieux d’Alexeï Ramtansky déjà entrevu à Paris avec La Belle au Bois Dormant par l’American Ballet Theatre. Pour ces 2deux chef-d’œuvres du couple Petipa/Tchaïkovski, le chorégraphe est allé étudier dans le détail les fameuses notations de Vladimir Stepanov : ce danseur du Ballet Impérial de Saint-Pétersbourg avait mis au point un système pour recenser les chorégraphies. Et c’est à partir de ces documents uniques qu’Alexeï Ratmansky a bâti son Lac des Cygnes.
On y retrouve donc cette technique et ce style de l’époque de la création : moins virtuose assurément mais plus dynamique avec des arabesques à 90° maximum, des portés moins hauts, des déboulés et des manèges sur demi-pointes, des attitudes plus brèves. Pas de jambes à l’oreille, ni de sauts pyrotechniques car le propos premier du chorégraphe est bien de raconter une histoire, toute l’histoire.
Et son outil premier, c’est la pantomime, omniprésente alors qu’elle est souvent écourtée dans la plupart des productions. Alexeï Ratmansky y met un soin tout particulier et le résultat est enthousiasmant. C’est un véritable dialogue du début à la fin entre tous les acteurs et actrices du drame. Le récit est limpide de bout en bout, fidèle en tout point au livret. Le chorégraphe ne se soucie guère d’interpréter l’histoire, d’en extraire le sous-texte ou de la transformer. De ce point de vue, c’est un Lac des Cygnes littéral qui se traduit dans les décors de Jérôme Kaplan. Le scénographe français avait pensé situer l’histoire à la fin du XIXe siècle, autrement dit à l’époque de la création du ballet. Mais Alexeï Ratmansky lui a donné pour consigne de s’en tenir à la lettre du ballet. « C’est un conte du Moyen-Âge et c’est cela qu’il faut voir » fut la seule indication du chorégraphe au décorateur.
Le résultat, quelque peu kitsch parfois, peut surprendre un public d’aujourd’hui. Mais il y a dans le travail de Jérôme Kaplan un souci constant d’élégance que l’on retrouve dans les costumes et en particulier les tutus inspirés des documents d’époques : plus longs, ils couvrent davantage les jambes des danseuses, ce que l’on peut regretter, mais correspondent à l’esprit de la fin du XIX siècle.
Et les interprètes dans tout cela ? Disons tout d’abord que la troupe de la Scala avait déjà travaillé ce style puisque elle a à son répertoire La Belle au Bois Dormant d’Alexeï Ratmansky, coproduite par l’ABT. Le corps de ballet et les solistes paraissent donc relativement à l’aise avec cette technique très exigeante physiquement. C’est particulièrement vrai dans l’acte 2, celui qui fut originellement chorégraphié par Lev Ivanov et qui est en soi l’incarnation parfaite de l’acte blanc : cygnes alignés, bras à l’unisson, rapidité des déplacements. Le Ballet de la Scala avait pour habitude d’inviter de manière quasi permanente des Étoiles des compagnies russes. Ce fut la politique constante menée par Makhar Vaziev qui dirigea la compagnie ces huit dernières années avant de rejoindre le Bolchoï. Venu du Mariinsky, il avait fait la part belle au danseuses et danseurs de Saint-Pétersbourg et de Moscou. Cette époque semble aujourd’hui révolue. En tout cas, cette tournée parisienne est aussi l’occasion de découvrir des distributions exclusivement Scala.
Première découverte : Nicoletta Manni dans le double rôle d’Odette/Odile. Cette toute jeune ballerine entrée dans le corps de ballet de la Scala au printemps 2013, a acquis en trois ans une maturité étonnante. Très à l’aise sur scène, elle maitrise parfaitement le langage imposé par Alexeï Ratmansky et respecte la consigne d’incarner Odette comme une femme et non comme un cygne. Pas de bras qui s’agitent de haut en bas dans sa première variation, c’est par la pantomime et un jeu de mouvements de bras tout en nuances qu’elle joue son personnage. Il y a beaucoup de raffinement dans sa danse où toutes les difficultés techniques sont maitrisées ce qui lui permet une grande liberté pour interpréter son personnage.
On ne peut pas en dire autant de son partenaire Timofej Andrijashenko. Ce tout jeune danseur du corps de ballet a certes le physique qui convient pour ce rôle de Siegfried. Mais trop concentré pour dépasser les difficultés techniques, il peine à imposer un personnage crédible. Il lui manque un charisme scénique et son Siegfried est quelque peu fade, écrasé par la personnalité délicate mais affirmée de Nicoletta Manni. Dés le premier acte, il se fait voler la vedette par le personnage de Benno, l’ami du Prince qui est un rôle important dans cette production. Christian Fagetti se révèle excellent, aussi bien dans ses solos que dans le pas de trois avec ses partenaires Virna Toppi et Alessandra Vassalo. On le retrouve – et c’est plus étonnant ! – dans le fameux adage de l’acte blanc où le pas de deux devient un pas de trois entre Odile, Siefgried et Benno.
À l’instar de sa Belle au Bois Dormant, Le Lac version Ratmasnky mérite d’être revu pour en apprécier le cachet tant il bouleverse nos habitudes. On peut aussi regretter le cadre abominable du Palais des Congrès qui fait tant penser à l’affreux Palais du Kremlin où se produisait le Bolchoï durant les travaux de rénovation. La salle est immense mais la scène trop petite, obligeant à réduire le nombre de cygnes. On pouvait espérer écrin plus adapté pour le Ballet de la Scala de Milan. Reste un spectacle unique qui fait redécouvrir un ballet que l’on croyait connaître par cœur. Ce n’est pas le moindre paradoxe du travail magistral d’Alexeï Ratmansky.
Le Lac des Cygnes d’Alexeï Ratmansky par le Ballet de la Scala de Milan au Palais des Congrès de Paris. Avec Nicoletta Manni (Odette/Odile), Timofej Andrijashenko (Siegfried), Mick Zeni (Rothbart), Christian Fagetti (Benno, l’ami du Prince). Samedi 5 novembre 2016. À voir jusqu’au 13 novembre.