42nd Street – Théâtre du Châtelet
Avant de quitter la direction du Théâtre du Châtelet, et voir ce dernier fermer plusieurs mois pour travaux, Jean-Luc Choplin voulait frapper fort. C’est lui qui a fait découvrir au public français les grandes comédies musicals américaines et anglaises, dans leur version originale et toujours avec des troupes de grande qualité. West Side Story, Into the Woods, Carousel… Pris par le virus et le succès public, Jean-Luc Choplin a même proposé une création mondiale, Un Américain à Paris, qui fut montré pour la première fois au Théâtre du Châtelet. Son spectacle d’adieux, sur scène pour les Fêtes, est 42nd Street. Un spectacle dans la plus pure tradition de Broadway, notamment en ce qui concerne les claquettes, joyeux et parfait pour vaincre la morosité ambiante, même si la richesse de l’oeuvre n’atteint pas celle des précédentes nommées.
La musique qui prend parfois des accents jazzy, les personnages gentiment stéréotypés, les paillettes, les claquettes, les décors de New York en carton-pâte… Tout fait ici penser à une pièce des années 1930, venant tout droit de l’âge d’or des comédies musicales. Pourtant, pas tout à fait. Le film 42nd Street date bien de cette époque, mais le musical qui s’en est inspiré n’a été créé qu’en 1980. Il y avait donc dans l’idée de « faire à la manière de » dès le début, de jouer sur une certaine nostalgie d’un temps révolu, ce qui se ressent sur scène. Tous les clichés sont là parce qu’il fallait qu’ils y soient pour faire plaisir au public. Plaisir qu’il serait mesquin de bouder, parce que 42nd Street fonctionne. Pendant deux heures de show, l’on est pris par le rythme irrésistible des chorégraphies, les situations cocasses et cousues de fil blanc, l’énergie endiablée de toute une troupe qui est là pour une chose : faire le spectacle.
42nd Street est d’ailleurs un musical sur le spectacle, se servant du procédé bien connu du théâtre dans le théâtre, souvent utilisé à Broadway dans les années 1930. Nous sommes juste après la crise de 1929. Julian Marsh, grand producteur, tente le tout pour le tout pour se remettre en selle avec son nouveau show. Parmi les girls recrutées, la ravissante jeune Peggy, aussi ingénue que douée. Le spectacle suit la construction du spectacle, des premières auditions à la première… Où l’actrice principale se blesse. Mais par qui va-t-elle être remplacée ? Par la jeune Peggy bien sûr ! Qui en deviendra une star. Ce à quoi se mélangent des intrigues amoureuses qui toutes se terminent bien. Question livret, 42nd Street ne va pas chercher plus fort, tout comme les personnages qui restent bien clichés. On est ainsi loin de la truculence de Kiss me, Kate, qui fonctionnait sur le même principe. Musicalement, les airs sont efficaces sans qu’une mélodie vraiment marquante ne ressorte spécialement. Scéniquement, on n’échappe pas au baiser forcé du producteur sur la jeune ingénue, agression sexuelle qui fait toujours rire le public mais dont on pourrait franchement se passer en 2016.
Les défauts de 42nd Street se voient d’autant plus que Jean-Luc Choplin nous a habitué.e.s à du très haut niveau. Pourtant, comme dit plus haut, il est difficile de résister au bonheur simple de ce musical. Peut-être parce que 42nd Street évoque aussi des temps difficiles. En 1930, les spectacles ont du mal à se monter et les artistes vivotent. Pourtant, le public se rue sur ces productions, avide de prendre du bon temps, de rire, de s’évader. Le nom « 42nd Street » fait d’ailleurs référence à une rue sombre de Broadway, où se croisent chaque nuit derrière les théâtres les plus étranges créatures de New York. 42nd Street nous fait le même effet en 2016, à l’heure d’une époque troublée où aller au théâtre devient presque un acte de résistance. Alors on se met aussi à taper du pied sur les chansons entraînantes, à avoir les yeux qui brillent face à ces formidables numéros de claquettes, à applaudir à tout rompre cette excellente troupe qui donne tout chaque soir pour une petite échappatoire du quotidien. 42nd Street se déguste comme elle est. Pour plus de profondeur, il faudra aller à la Seine musicale en novembre 2017 pour le retour de West Side Story. Une nouvelle salle dirigée par… Jean-Luc Choplin.
42nd Street de Harry Warren (Musique), Al Dubin (chanson) et Michael Stewart et Mark Bramble (livret) au Théâtre du Châtelet. Avec Alexander Hanson (Julian Marsh), Ria Jones (Dorothy Brock), Monique Young (Peggy Sawyer), Dan Burton (Billy Lawlor), Jennie Dale (Maggie Jones), Carl Sanderson (Bert Barry), Emma Kate Nelson (Ann Reilly), Stephane Anelli (Andy Lee), Matthew McKenna (Pat Denning), Teddy Kempner (Abner Dillon), Chantel Bellew (Phyllis Dale), Charlie Allen (Lorraine Flemming), Emily Goodenough (Diane Lorimer), Jessica Keable (Ethel), Barnaby Thompson (Oscar) et Scott Emerson (Mac, Doctor, Thug 1). Dimanche 20 novembre 2016. À voir jusqu’au 8 janvier 2017.