Three – Enthousiasmante Batsheva Dance Company au Palais Garnier
La Batsheva Dance Company présente pour la rentrée 2016 au Palais Garnier sa pièce Three, triptyque créé en 2005 par son directeur Ohad Naharin. Un spectacle qui enthousiasme par son inventivité gestuelle et la formidable énergie de ses interprètes.
« Bellus » (beau), « Humus » (terre), « Secus » (autrement) : les trois tableaux de Three se succèdent sur les musiques les plus variées, mais dans la même simplicité de mise en scène. Pour seul décor, des murs noirs sur les côtés, découpant des entrées pour les danseur.se.s. Pour seuls costumes, des habits de ville vivement colorés (débardeurs et pantalons trois-quarts pour les femmes, t-shirts de coton et pantalons pour les hommes), mettant en valeur la sensualité athlétique de leur danse. Entre les tableaux, un danseur entre en scène, un vieil écran d’ordinateur drôlement calé sous le bras. Sur l’écran, son visage filmé de très près décrit la composition temporelle et spatiale du tableau suivant : entre décalage humoristique avec la virtuosité du mouvement, et jeu avec la présence du public, voici l’une des nombreuses trouvailles scénographiques de Three.
Mais c’est surtout le mouvement qui ne cesse de surprendre. Inventeur de la méthode Gaga, fondée sur la libération de l’énergie, Ohad Naharin se dit « intrigué par les frontières incertaines qui existent entre ce qui est pur et ce qui est perverti, entre ce qui est complètement attendu et ce qui surprend« . Son travail est une exploration constante de ce qui impulse le geste, et du plaisir pris à « bouger grand ». La danse de Three mêle les influences, de la virtuosité classique à la technique du release de Martha Graham (première directrice de la Batsheva Dance Company). Mais toutes ces techniques sont habitées par une même façon, pour les interprètes, de nourrir le geste de leur avidité à danser, et de leur intimité.
Le premier tableau, sur les variations Goldberg de Bach magnifiquement interprétées par Glenn Gould, est une succession de soli et pas de deux d’emblée explosifs. Caractéristique du langage d’Ohad Naharin, la grande lisibilité des gestes, rendue possible par la justesse de l’énergie qui les impulse. Souples, dynamiques, mais aussi parfois spasmodiques et frénétiques comme peuvent l’être les gestes d’un enfant découvrant les possibles de son corps, les mouvements des danseur.se.s emplissent avec joie tout l’espace. C’est bien d’une énergie intérieure que tout part, avec une extraordinaire économie de moyens. Comme chez Trisha Brown, le principe du mouvement d’Ohad Naharin semble être : aller au plus grand, au plus inattendu, à ce qui paraissait impossible, avec le minimum d’efforts.
Pour le deuxième tableau, place à la musique hypnotique de Brian Eno, et à une chorégraphie exclusivement féminine. Et que l’on pourrait dire féministe, en ce qu’elle met en scène une appropriation par les femmes de leur corps et de leur sexualité. Les mouvements rappellent parfois Martha Graham et sa « danse pelvienne », parfois le Faune de Nijinski, ces pionnier.e.s de l’exploration par la danse d’une énergie charnelle et animale.
Avec le troisième tableau, Three atteint sa plus grande intensité. Les musiques électroniques et pop se mêlent pour une ode explosive au mouvement et à la joie de danser ensemble. Dans des configurations spatiales toujours mouvantes, les danseur.se.s s’offrent les un.e.s aux autres comme ils et elles s’offrent au public, mains tendues, regard planté dans les yeux des spectateur.rice.s, peau, et même sexe, dénudés. Le spectacle gagne ici en émotion, déployant tout l’humanisme qu’on connaît aux chorégraphies d’Ohad Naharin. Certains passages se détachent encore par leur particulière beauté, comme ce pas de deux amoureux entre deux hommes.
La représentation avait commencé avec une demi-heure de retard, à cause de mesures de sécurité renforcées. La veille, des militant.e.s pro-palestinien.ne.s avaient condamné la présence à Paris de cette compagnie israëlienne et appelé au boycott. Interrogé sur ces revendications politiques, Ohad Naharin rappelle qu’il a lui-même souvent exprimé son profond désaccord avec la politique d’Israël envers les Palestinien.ne.s. À sa danse, il donne parfois une portée politique explicite. Mais toujours, son engagement artistique est indissociable de son humanisme pacifiste. Three est un spectacle qui donne à voir une compagnie soudée, prenant plaisir à créer ensemble, et laissant libre cours au plein déploiement de l’individualité des danseur.se.s.
Three, de Ohad Nahrin, par la Batsheva Dance Company. Avec Olivia Ancona, William Barry, Mario Bermudez, Gil, Omri Drumlevich, Bret Easterling, Iyar Elezra, Hsin-Yi Hsiang, Rani Lebzelter, Or Moshe, Ofri Rachael Osborme, Shamel Pitts, Oscar Ramos, Nitzan Ressier, Ian Robinson, Or Meir Schraiber, Maayan Sheinfeld, Zina Zinchenko et Adi Zlatin. Mercredi 6 janvier 2016. À voir jusqu’au 9 janvier.