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Le Lac des cygnes par le Ballet de l’Opéra de Paris – Myriam Ould-Braham, Mathias Heymann et Karl Paquette

Le Ballet de l’Opéra de Paris commencerait-il à connaître un certain apaisement ? Après une saison passée chaotique, une rentrée en dents de scie entre la superbe création de Crystal Pite et une soirée George Balanchine gentiment ennuyeuse, voilà en décembre ce que l’on n’attendait pas forcément : un Lac des cygnes de Rudolf Noureev au sommet de son art. Pour cette représentation, il y avait tout : un trio engagé d’Étoiles brillantes – Myriam Ould-Braham, Mathias Heymann et Karl Paquette – qui s’entendent particulièrement bien, une grande richesse dans les nombreux seconds rôles, un corps de ballet qui sait être à l’unisson sans se transformer en automate, et cette pointe de magie qui fait que tout fonctionne. Une grande version d’un grand ballet dansé par l’une des plus grandes compagnies : ce soir-là, cette phrase n’était pas usurpée. 

Le Lac des cygnes – Myriam Ould-Braham et Mathias Heymann

Le Lac des cygnes avait été repris il y a moins de deux ans, et cela se sent : tout est encore frais dans les corps et dans les têtes. Le corps de ballet ne semble pas crispé à l’idée de découvrir sa partition, les danses de caractère sont joyeuses et enlevées (et non poussives comme lors de la dernière reprise), les personnages ont eu le temps de s’affiner et de mûrir sans s’oublier. Il y a à tous les grades l’expérience qui porte les quelques nouvelles têtes pour un bel équilibre, et qui permet de dévoiler au mieux cette superbe et complexe version de Rudolf Noureev. Ici, Le Lac des cygnes laisse une porte ouverte à l’imagination du public. Sommes-nous dans un conte, dans un rêve, dans un mythe ? Les austères décors, s’ils ne sont pas clinquants, permettent de se laisser porter par ses propres envies. 

Surtout, ce Lac des cygnes met en avant non pas un, mais trois personnages. Au premier acte, bien plus que par la belle valse, l’histoire est portée par la relation qui se noue entre le prince et son précepteur. Mathias Heymann en Siegfried, et plus encore Karl Paquette en Wolfgang, ont l’expérience de leur rôle. Mathias Heymann dresse les contours d’un prince rêveur et mélancolique qui n’appartient qu’à lui. Tantôt rieur avec ses ami.e.s, tantôt perdu dans une variation lente qui vrille le coeur. Il est le prince idéal, à la danse fabuleusement moelleuse et élégante et à la tête pleine de tourments. Loin de jouer un précepteur vicieux, Karl Paquette donne aussi de la profondeur à un personnage qu’il est facile de caricaturer. D’abord bienveillant envers son élève, soucieux qu’il socialise avec des jeunes gens de son âge, son attirance – qui semble inavouée au début – pour son élève prend petit à petit le dessus. Si, contrairement à Siegfried, le Wolfgang de Karl Paquette a compris son homosexualité, il ne semble pas forcément l’accepter. Leur pas de deux entre les deux actes en devint troublant. C’est une lutte entre eux deux, aussi une lutte de Wolfgang envers lui-même pour des sentiments qu’il essaye de renier.

Le Lac des cygnes – Mathias Heymann et Karl Paquette

Le deuxième acte est celui des cygnes, véritable décor mouvant et fantomatique nous plongeant dans un monde irréel. Myriam Ould-Braham découvre ce personnage Odette/Odile pour cette série, mais son Cygne blanc a déjà dans son esprit une maturité accomplie. Peut-être parce que chez cette ballerine, rien n’est vain. Chaque geste veut dire quelque chose, chaque mouvement n’est pas là par hasard. Ses doigts le long de ses joues sont des larmes, ses ronds de jambe sont des envols, ses bras sont des appels à l’aide. Son Odette n’est pas une petite chose fragile mais une créature romantique, prise au piège (qui peut parfois rappeler sa Giselle dans son acceptation du sort). Si ses gestes plus animal se cherchent encore, Myriam Ould-Braham compense un personnage neuf par une profonde entente avec ses deux partenaires plus expérimentés du ballet. Et tout comme lors du deuxième acte de Giselle (décidément), il se crée lors du pas de deux une complicité particulière entre Myriam Ould-Braham et Mathias Heymann. Ensemble, ces deux Étoiles ont la capacité de créer un instant véritablement intime en scène, d’une grande et véritable tendresse qui fait fondre l’âme. Et pendant leur long pas de deux, pas un toussotement dans la salle, pas un enfant qui gigote sur son siège. Seulement un profond silence presque recueilli, porté aussi par un corps de ballet au diapason.

Changement d’ambiance au troisième acte. Et véritable défi pour Myriam Ould-Braham que l’on n’imagine pas spontanément en Cygne noir. La danseuse l’a pris comme à son habitude : en y mettant du sens. Pourquoi le prince se fait avoir par cette princesse si différente de son rêve blanc ? Parce que justement, elle n’est pas si différente. L’Odile de Myriam Ould-Braham n’est pas carnassière, à peine une vamp. Mais elle est troublante. Elle ressemble à Odette, mais avec une féminité plus aboutie, avec une assurance plus explicite. Comme si l’adolescente Odette s’était transformée en femme. Lors du pas de trois, elle prend de multiples facettes. Son regard se fait Odette dans les bras de Siegfried, puis plus piquant dans ceux de Rothbart, jouant à montrer un double visage à travers la cape du sorcier dans un magnifique et hypnotisant pas de trois. Il y a dans ses gestes des réminiscences d’Odette tout comme des mouvements propres à Odile, perdant Siegfried dans un rêve insensé. Ses fouettés, ultime tour de sorcellerie pour embarquer le Prince, ne jouent pas à double ou à triple, mais fascinent par leur régularité et leur précision. Dommage que la danseuse ait flanché juste à la fin, l’effet en a été un peu gâché. 

Le Lac des cygnes – Myriam Ould-Braham

Le dernier acte appartient presque plus au corps de ballet. Sa longue marche de désespoir est peut-être l’un des moments ls plus inspirés du chorégraphe Rudolf Noureev. Les cygnes y sont moins académiques, plus humains aussi, la nuque ployée par le poids de la tromperie mais toujours prêtes à entourer leur princesse. Rothbart et Odette s’envolent, les cygnes frémissent et Siegfried reste seul. Etait-ce un rêve ou un conte ? Au public donc d’en décider. 

Un mot enfin pour les petits rôles à ne pas négliger, et qui sont devenus de vrais moments de vie lors de cette soirée. Sae Eun Park, Fabien Révillion et Séverine Westermann ont offert un pas de trois brillant et soigné au premier acte, véritable exercice de style et loin du passage scolaire qu’il devient parfois. Les quatre petits Cygnes (Séverine Westermann, Alice Catonnet, Aubane Philbert et Jennifer Visocchi) furent cette apparition délicieuse qui charme à chaque fois le public. Les grands cygnes furent de luxe, avec entre autres Héloïse Bourdon et Sae Eun Park, qui ont déjà dansé le rôle principal. Enfin entre la danse absolument délicieuse d’Éléonore Guérineau dans la Napolitaine ou la présence d’Axel Ibot dans l’Espagnole, les danses de caractère du troisième acte ont retrouvé tout leur allant, portées à chaque fois par des solistes investi.e.s malgré une courte apparition en scène. 

Le Lac des cygnes – Myriam Ould-Braham, Mathias Heymann et le corps de ballet de l’Opéra de Paris

 

Le Lac des cygnes de Rudolf Noureev par le Ballet de l’Opéra de Paris à l’Opéra Bastille. Avec Myriam Ould-Braham (Odette/Odile), Mathias Heymann (Siegfried), Karl Paquette (Wolfgang/Rothbart), Sarah Kora Dayanova (la Reine), Sae Eun Park, Séverine Westermann et Fabien Revillion (le pas de trois), Séverine Westermann, Alice Catonnet, Aubane Philbert et Jennifer Visocchi (quatre petits Cygnes), Héloïse Bourdon, Fanny Gorse, Sae Eun Park et Ida Viikinkoski (quatre grands Cygnes), Léonore Baulac et François Alu (Czardas), Stéphanie Romberg, Fanny Gorse, Yannick Bittencourt et Axel Ibot (danse espagnole) et Éléonore Guérineau et Emmanuel Thibault (danse napolitaine). Samedi 10 décembre 2016. À voir jusqu’au 31 décembre

 

Comments (10)

  • Sweety

    Un splendide compte rendu qui me rend vraiment impatiente d’aller voir ce ballet !

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  • Lili

    Merci pour ce beau compte-rendu d’une prodigieuse soirée, qui restera dans les mémoires. Dommage qu’elle n’ait pas été choisie pour la captation télé. (et bien que la version Albisson/Ganio/Alu soit aussi très belle, dans un autre style).

    C’est un privilège et une grande joie que d’avoir pu être là pour une telle représentation, et un grand bonheur de retrouver l’Opéra à un niveau exceptionnel.

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  • Lili

    Merci pour ce très beau compte-rendu de cette magnifique, extraordinaire soirée. Tout, tous, y étaient parfaits. L’interprétation, l’émotion, étaient là. Mathias Heymann est un magicien, le trio était en harmonie complète et le corps de ballet à couper le souffle. Cela restera un souvenir très fort.

    La soirée retransmise a la télé était aussi très belle, Mathieu Ganio particulièrement émouvant lui aussi, dans un style différent -qui montre aussi la richesse de la troupe- mais j’ai été profondément touchée par l’interprétation et le trio de samedi.

    C’est une grande joie que de voir le ballet de l’Opéra nous donner, nous redonner, des soirées aussi belles, revenu à la sérénité et au sommet. Et c’est un privilège que d’être assis dans la salle, dans ces moments-là.

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  • Cyril

    100% d’accord! Et même réflexion à la sortie : comment le prince se ferait avoir si elle était très différente? Myriam OB a trouvé la juste interprétation.
    Vraiment une excellente soirée.

    Héloïse Bourdon crevait la scène, il faut le mentionner. On ne voyait qu’elle au milieu des autres. Ça doit être dur, pour elle, cette période.

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  • Canada dry

    C’est vrai que Heloise Bourdon tout comme François Alu ont une présence extraordinaire en scène . Non seulement on ne voit qu’eux mais on les cherche sans arrêt .Ils illuminent le spectacle alors qu’on dirait qu’on veut les planquer . Imaginez un lac avec ces deux la ce serait la folie

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    • Lili

      Je suis vraiment une admiratrice mais là j’ai préféré Paquette (bon je suis aussi une méga fan de Karl Paquette 😉 ), Alu évidemment pour la danse c’est autre chose mais pour l’interprétation, à la fin, au 4e acte, il en fait trop. Même en admettant sans problème qu’il fasse un autre choix de caractérisation qui lui correspond mieux et qui est plus adapté au trio qu’il forme avec Ganio et Albisson. Je pense que F. Alu est suffisamment doué et travailleur pour devenir subtil. Ceci dit on est d’accord qu’il y a au moins un an que lui et H. Bourdon auraient du passer à la catégorie supérieure…

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  • quercy

    Sublime production, c’est vrai! Mathias H est très impressionnant, c’est surtout lui que je retiens pour ma part.
    En marge de ces commentaires sur le Lac, je voudrais signaler le live -chat avec Josua Hoffalt, en ligne depuis jeudi dernier sur le site de l’ONP dans le Magazine (il me semble ne pas avoir encore vu de recension de cet entretien, que ce soit ici ou sur d’autres sites) : c’est vraiment intéressant et Josua y explique notamment pourquoi il a dû renoncer à Siegfried.

    Quercy

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  • Canada dry

    Sublime ce soir, Myriam Ould Braham a rejoint dans mon cœur l’iconique Heloise Bourdon au panthéon des Cygnes immortels

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  • Sweety

    J’ai finalement eu la chance de voir cette distribution hier soir et je suis 100% d’accord avec cet article, j’ai rarement été aussi émue par un ballet à l’Opéra de Paris.

    Si individuellement Mathias Heyman et Myriam Ould-Braham sont déjà impressionnants, leur duo est juste merveilleux, ils ont une telle complicité dans leur façon de jouer et de danser ensemble, et je vous rejoins sur la beauté de leur pas de deux dans le 2ème acte.

    Mention spéciale aussi à Karl Paquette qui s’associe très bien à ces deux danseurs, au point de m’avoir converti à cette version du Lac de Noureev, qui peut être complexe à apprécier.

    Seul petit bémol s’il faut en trouver un : le corps de ballet qui commence à être fatigué (ce qui se voyait un peu dans les deux premiers actes aussi bien dans les danses de groupe que dans certains petits rôles), cela dit, rien de bien dramatique, le niveau restant très bon. Toutes les danses du 3ème acte étaient d’ailleurs très plaisantes à regarder.

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