La Belle au bois dormant de Jean-Guillaume Bart – Yacobson Ballet
Oublié pendant des années, le Yacobson Ballet de Saint-Pétersbourg reprend vie depuis quelques années, sous la direction d’Andrian Fadeev. Le dernier défi de la compagnie : remonter un Belle au bois dormant de qualité, un sacré pari pour une troupe d’une soixantaine d’artistes seulement. Le projet a été confié à Jean-Guillaume Bart, Étoile de l’Opéra de Paris et amoureux de la danse classique qui sait rester juste. Loin de se lancer dans une grosse production qui n’aurait pas été possible pour la compagnie, le chorégraphe propose une Belle au bois dormant qui se soucie d’abord de la cohérence de la danse comme des personnages, tout en jouant sur l’univers du conte. Cela donne un charmant ballet, dénué de tout ennuie malgré trois heures de danse (en cela, La Belle au bois dormant ne peut pas tricher, ça passe ou ça casse), porté par une production soignée et une troupe investie. À découvrir en tournée en France cet hiver.
Au fil de ses presque 150 ans d’existence, La Belle au bois dormant est souvent devenu uniquement un ballet de démonstration technique, oubliant la vie de ses personnages. Jean-Guillaume Bart s’y repenche justement dans sa version. La technique oui, mais toujours au service de quelque chose, d’une histoire, d’un rôle, d’une ambiance. Même s’il n’a pas accroché à la version d’Alexeï Ratmansky, le chorégraphe français s’en rapproche néanmoins dans son état d’esprit : redonner vie à des personnages de chair et de sang. Chacun est là pour une raison, chaque geste a son importance. Cela donne des Fées qui ont chacune leur caractère, un Catabutte drôle et burlesque, Carabosse qui a véritables raisons d’en vouloir au roi (le pré-prologue sur l’introduction musicale la montre se faisant chasser de ses terres). Cette dernière est d’ailleurs différentes des autres Carabosse. Glamour et sur pointes, elle fait penser aux grandes sorcières des dessins animés de Walt Disney, en contrepointe parfait à la douce et lyrique Fée Lilas, et mettant en avant un univers de conte de fées assumé.
Pour la chorégraphie, Jean-Guillaume Bart garde le canevas habituel et rend hommage à l’école française en jouant sur la subtilité du bas de jambe. La troupe russe du Yacobson Ballet s’y essaye encore. La compagnie est très investie, mais le travail demandé est encore en apprentissage, en recherche de naturel. Il sera intéressant d’ailleurs de suivre l’évolution de cette troupe sur ce ballet au fil des années. Les danseurs et danseuses rattrapent le tout par un haut du corps vivant et musical et un véritable investissement. À aucun moment la pantomime ne paraît lourde. Tous les personnages sont sincères et vivants, donnant à cette Belle au bois dormant un charme indéniable. Les ensembles, s’ils ne sont pas forcément fournis, ont une joie de danser et une musicalité qui comblent la scène. La production a su aussi mettre les moyens. Les décors sont simplement des toiles peintes mais très joliment réalisés et bien éclairées, évoquant avec goût la campagne française une après-midi de printemps. Les tutus alternent le rose tendre ou le bleu, à l’unisson également, réalisés sans clinquant mais avec soin et élégance.
L’Aurore du soir, Alla Bocharova, est brillante en princesse éveillée au troisième acte. Il lui manque cependant une certaine évolution dans son rôle, comm un réserve au première acte où elle est censée être une jeun fille encore innocente. Pour cette représentation, c’est d’ailleurs la Fée Lilas, Daria Elmakova, qui a porté le spectacle. Danseuse lyrique, musicienne, ne tombant jamais dans la virtuosité pour la virtuosité, elle mène chaque personnage à don destin avec une grâce charmante. Le deuxième acte et sa rencontre avec Désiré – Andrey Sorokin, Prince idéal – reste l’un des plus jolis moments du ballet. Le couple princier propose toutefois un beau grand pas de deux, bel hommage à la danse académique et se finissant en beauté par l’apothéose qui fait toujours son petit effet. Auparavant, les danses des personnages de conte de fées ont apporté humour et rythme à un dernier acte qui ne souffre d’aucun temps mort, un pur divertissement classique dans le grand sens du terme.
Au final, Jean-Guillaume Bart propose une Belle au bois dormant sans prétention, mais charmante, cohérente et très vivante, qui a su mette un minimum de moyens pour ses ambitions. À l’heure où la danse classique est réduite à portion congrue en France, voir cette Belle tourner en province, et proposer ainsi à un large public de découvrir ce grand ballet dans de bonnes conditions, est une initiative à louer. En espérant qu’elle donne des idées aux troupes françaises en mal de nouveaux ballets classiques.
La Belle au bois dormant de Jean-Guillaume Bart par le Yacobson Ballet à l’Opéra de Massy. Avec Alla Bocharova (Princesse Aurore), Andrey Sorokin (Prince Désiré), Daria Elmakova (Fée Lilas), Svetlana Golovkina (Fée Carabosse), Sergey Davydov (l roi Florestan) et Angelina Grigoreva (la Reine). Vendredi 9 décembre 2016. À voir en tournée en France et en Suisse jusqu’au 28 janvier.