Made in Amsterdam II – Het Nationale Ballet
Tout comme Made in Amsterdam I, Made in Amsterdam II du Het Nationale Ballet présente des pièces récentes créées spécialement pour la compagnie. Mais le ton du programme est tout différent. Pas vraiment dans la façon d’aborder le geste – les pièces présentaient là encore une danse néo-classique sur pointes et en extensions – mais dans les contrastes, bien plus présents, et donnant donc une soirée plus percutante. Les chorégraphes venaient aussi d’horizons un peu plus différents, étaient plus expérimentés, Christopher Wheldon ou Alexeï Ratmansky en tête. Le point commun néanmoins entre ces deux programmes : donner à bien danser aux nombreuses personnalités qui composent la troupe, et la rendre en seulement deux programmes très attachante.
Pas facile de se démarquer au milieu de tous ces ballets néo-classiques abstraits qui déboulent sur les scènes du monde entier. Pourquoi Christopher Wheldon y arrive-t-il ? Pas forcément dans sa recherche du geste, efficace mais pas franchement originale, mais dans son talent à raconter une histoire. Que ce soit dans un ballet en plusieurs actes ou une pièce courte, comme c’est le cas ici avec Concerto Concordia. L’inspiration principale ici est, en bon élève de George Balanchine, la musique, celle de Poulenc plus précisément. Mais le chorégraphe ne se contente pas de suivre la partition. Il invente tout un monde entre les huit couples en scène, des tensions, des personnages, un climax même. Les deux couples principaux se font échos, rejoints par six autres duos qui arrivent en contre-point. Peut-être sont-ils des souvenirs, ou ce qu’auraient pu être ces couples en prenant d’autres chemins. Alexeï Ratmansky se place dans ce même état d’esprit avec Souvenir d’un lieu cher. Le chorégraphe ne prétend pas réinventer la danse avec ses ballets. Mais il offre à ses interprètes des personnages, un moment de vie, et toute la place pour qu’ils s’expriment et y impriment leur personnalité. Dans un grand élan romantique, un couple se retrouve, et semble comme se remémorer une vie ensemble. En suivant sa chère musique de Tchaïkovski, Alexeï Ratmansky crée en 12 minutes une mini-tragédie, qui prend là encore sa place avec peu d’effets mais une danse qui dit beaucoup.
Entre ces deux pièces est venu Citizen Nowhere de David Dawson, artiste associé de la compagnie, un curieux solo spécialement conçu pour le jeune Premier danseur Edo Wijnen. Comme aime le faire le chorégraphe, il mélange dans cette œuvre danse et vidéo. Un livre géant tient lieu de décor, projetant le texte du Petit prince de Saint-Exupéry qui se déforme et se transforme pour devenir une forme abstraite. En simple caleçon chair, le danseur propose une mise à nu, semblant comme improviser devant ce décor un peu écrasant. Le propos comme la musique paraissent un peu légers – pas loin de la prétention même – et tient plus lieu de la performance personnelle pour Edo Wijnen qui tient la scène seul – et d’une puissante manière – pendant 20 minutes.
Krzysztof Pastor, chorégraphe associé du Het Nationale Ballet, termine d’une belle façon ce programme tout en contrastes. Made in Amsterdam veut interroger la façon dont la compagnie appréhende le futur du ballet à sa façon. Et quoi de mieux pour cette réflexion que d’interroger le passé ? Le chorégraphe s’inspire ainsi du chef-d’oeuvre de Hans van Manen Situation pour inventer Moving Rooms (la pièce a d’ailleurs été créée en 2008, où sept chorégraphes réinterprétaient cette même oeuvre). En reprenant la façon dont Hans van Manen pouvait utiliser l’espace et les corps, Krzysztof Pastor une œuvre percutante, à la fois hommage au maître et furieusement moderne. Il met en scène onze danseurs et danseuses, structurant l’espace avec des lumières crues, s’éteignant et se rallumant pour dessiner la scène. La danse est vive, remplie d’énergie, se servant de ces espaces pour mieux rebondir et dialoguer avec eux. Le procédé est déjà vu, mais Krzysztof Pastor sait se jouer de l’efficacité, mettre en valeur les interprètes et créer une dynamique séduisante et enthousiasmante. En arrivant à créer une sorte d’arc dramatique (la tension monte, justement dosée au tout long de la pièce), le chorégraphe arrive au point d’équilibre où la danse permet à chacun de se mettre en avant grâce à l’énergie du groupe. Et dessine le portrait d’une compagnie les deux pieds bien ancrés au XXIe siècle.
Made in Amsterdam II par le Het Nationale Ballet à l’Opéra d’Amsterdam. Concerto Concordia de Christopher Wheeldon ; Citizen Nowhere de David Dawson avec Edo Wijnen ; Souvenir d’un lieu cher d’Alexeï Ratmansky ; Moving Rooms de Krzysztof Pastor. Dimanche 12 février 2017. À voir jusqu’au 3 mars.