George Balanchine, Jerome Robbins et Sidi Larbi Cherkaoui au plaisir de Ravel – Ballet de l’Opéra de Paris
Pour le dernier programme mixte de la saison, Benjamin Millepied avait choisi d’associer son mentor Jerome Robbins avec En Sol et La Valse du père fondateur du New York City Ballet George Balanchine, en les confrontant au Boléro du belge Sidi Larbi Cherkaoui. Un curieux dialogue entre les maitres du ballet néo-classique américain et le chorégraphe contemporain avec pour point commun la musique de Maurice Ravel, compositeur des trois partitions de ces ballets.
Et il eut été plus juste de nommer ce programme Soirée Ravel tant la musique est ce qui peut mettre tout le monde d’accord. La Valse (1920) et les Valses Nobles et Sentimentales (1912), le Boléro (1928) et le Concerto pour piano en sol majeur (1932) sont toutes des œuvres majeures du compositeur français. On oublie trop souvent à l’Opéra de Paris que la musique est première dans le ballet, avec trop de partitions enregistrées ou de soirées mal fichues où l’orchestre semble en dessous du minimum syndical. À l’inverse, le jeune chef français Maxime Pascal est réjouissant : son dynamisme et son engagement font résonner la fosse à son meilleur. Et il convient de saluer aussi le pianiste Emmanuel Strosser impeccable dans l’interprétation du Concerto en sol.
Cette forme éblouissante de l’orchestre s’entend dés l’entame de La Valse. Voilà l’un des chefs-d’œuvres de George Balanchine qui pour une raison que l’on ne s’explique pas, entra au répertoire de l’Opéra de Paris en 1975… pour en ressortir aussitôt. Ce retour en grâce est plus que bienvenu car les artistes de la compagnie parisienne semblent faits pour cette pièce. Loin du George Balanchine abstrait, La Valse appartient au registre semi-narratif qu’affectionnait aussi le fondateur du New York City Ballet. Pas d’histoire à proprement dit mais des personnages qui semblent évoluer et danser dans une salle de bal, et la Mort incarnée par un danseur, Florent Magnenet en l’occurrence. George Balanchine s’est inspiré de l’épigramme de la partition de Ravel « Nous dansons sur un volcan » pour construire son ballet comme une métaphore d’un monde décadent qui se termine par la mort de l’héroïne ou peut-être son suicide.
Le public est toujours maintenu dans l’entre-deux sans jamais savoir si ce sont des personnages réels qui sont sur scène ou leurs fantômes durant les 35 minutes de valses successives, la mère de toutes les danses de salon. Univers familier mais toujours en décalage, pas de tutus bien sûr mais les fameuses robes vaporeuses de Karinska, la collaboratrice de George Balanchine. Pas de chignons pour les femmes mais une même queue de cheval.
Et la distribution est sans faute, les quatre couples sont tous épatants. Comme toujours, Emmanuel Thibaut est un partenaire idéal pour sa partenaire Muriel Zusperreguy. On a bien du mal à ne pas quitter des yeux ce danseur magnifique qui fera des adieux discrets cet été dans La Sylphide et à qui l’Opéra n’a pas offert la carrière qu’il méritait. Sa danse est tout en raffinement et élégance. Il es déjà regretté. Hannah O’Neill, dont il n’y a pas de doute qu’elle sera très bientôt Étoile, est parfaite dans un registre qui nécessite humour et légèreté. Et que dire de Hugo Marchand si ce n’est qu’il fut excellent : il est le valseur noble par excellence. Ce sont Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio qui interprétaient le couple principal. Ils sont l’un et l’autre aujourd’hui au sommet de leur art et de dignes représentants du style français qui convient si bien à cette œuvre de George Balanchine. Pas le moindre signe de nervosité qui parfois altère quelque peu la danse de Dorothée Gilbert. Elle est ici souveraine, droite sur ses pointes avec des épaulements minutieusement calculés. Voilà de la belle ouvrage comme on n’en voit pas à toutes les représentations à l’Opéra de Paris. Il ne faut que souhaiter que La Valse revienne très vite à l’affiche et ne soit pas enterrée pour 40 ans !
Jerome Robbins succède à George Balanchine pour En Sol créé à l’Opéra de Paris en 1975, en même temps que La Valse d’ailleurs, mais qui y connut plus de bonheur. Ce ballet est repris régulièrement et c’est là encore heureux car voilà une pièce solaire et drôle comme les affectionnait Jerome Robbins. Sur une décor de bateau et de mer et en costumes marins, le tout dessiné par Erté, cette pièce pour douze danseur-s-es et un couple est une ode aux bains de mers et aux loisirs balnéaires, un éloge de la joie de vivre sur la partition aux accents jazzy du Concerto en Sol.
Mais c’est là que commencent les difficultés ! La musique de Ravel est tout sauf simple. Il faut entendre les différents pupitres qui se répondent les uns les autres et les multiples contrepoints. Les deux nouvelles Étoiles, Léonore Baulac et Germain Louvet, sont techniquement irréprochables mais ils n’ont pas fait preuve ce soir-là d’une musicalité à toute épreuve. C’est un peu comme si la scène était déconnectée de la fosse. Et j’aurais aimé plus d’abandon et de lyrisme dans ce long adage qu’est le deuxième mouvement, et d’une manière générale plus d’humour et de légèreté dans l’interprétation. Ces défauts n’entachent pas cela dit l’impression générale et le bonheur de revoir ce ballet que Jerome Robbins était venu récréer et adapter en 1975, quelques mois après sa création par le NYCB. Il considérait l’Opéra de Paris comme sa seconde maison. Il faut espérer que cette dernière lui rendra l’hommage qui convient pour le centenaire de sa naissance le 11 octobre 1918.
Difficile de conclure un programme après deux œuvres majeures de deux chorégraphes qui comptent parmi les meilleurs de l’histoire de la danse du XXe siècle. Benjamin Millepied avait décidé de reprendre la version du Boléro réalisée en 2013 par Sidi Larbi Cherkaoui assisté de Damien Jalet sur une scénographie de Marina Abramovic. Difficile aussi de relever le défi du Boléro, tube musical classique absolu et chef-d’œuvre chorégraphique de Maurice Béjart. Hélas ! L’addition de talents et de signatures prestigieuses ne garantit jamais un résultat à la hauteur de l’investissement.
Le premier défaut n’est autre que la scénographie, constituée d’un miroir incliné en fond de scène et de vidéos, qui phagocyte le spectacle. Les onze danseur-es-s ne semblent que des faire-valoir pour le travail de Marina Abramovic. D’abord revêtus d’une cape qui une fois enlevée révèlera un costume dessinant un squelette, les danseur-es-s entament une interminable série de tours sur eux-mêmes façon derviches tourneurs qui se répètent ad libitum. Le propos chorégraphique est inepte, pour ainsi dire inexistant et pas au niveau de Sidi Larbi Cherkaoui qui a signé de très belles réussites. Là où Maurice Béjart travaillait sur la verticalité et parvient à enrichir son propos à chaque répétition du thème et du rythme du Boléro, suivant à merveille le lent crescendo de la partition, Sidi Larbi Cherkaoui fait le pari de l’horizontalité avec ces mouvements perpétuels dans une semi-pénombre qui ne disent rien. Heureusement qu’il est possible suivre la direction de Maxime Pascal, qui à lui seul écrit de ses mains un ballet bien plus passionnant. Pourtant la salle exulte et fait un triomphe à ce Boléro. Je doute un instant de moi mais il faut savoir assumer d’être pour un soir dans une minorité agissante !
Soirée Maurice Ravel par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. La Valse de George Balanchine avec Muriel Zusperreguy, Emmanuel Thibaut, Hannah O’Neill, Hugo Marchand, Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio ; En Sol de Jerome Robbins avec Léonore Baulac et Germain Louvet ; Boléro de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet. Samedi 6 mai 2017. À voir jusqu’au 27 mai.
MASSUELLE
Savez vous ce que devient Laura Hecquet ? Il me semble qu’elle n’a pas été distribuée depuis fort longtemps !
Même question concernant François Alu, Héloïse Bourdon et Émilie Cozette
Merci !
Jean-Frédéric Saumont
Poor Emilie Cozette, un heureux événement expliqué son absence. François Alu a dansé les 1ères représentations de Herman Schmerman et doit encore danser ce ballet le 13 mai. En revanche, il n’est plus dans les distributions du Boléro.