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Betroffenheit de Crystal Pite et Jonathon Young – Kidd Pivot / Electric Company Theatre

Ce spectacle à est voir du 29 mai au 2 juin au Théâtre de la Colline à ParisLe public français a découvert Crystal Pite il y a quelques mois avec sa création The Seasons’ Canon par le Ballet de l’Opéra de Paris. La chorégraphe revient en France avec sa propre compagnie, le Kidd Pivot associé à l’Electric Company Theatre de Jonathon Young, pour Betroffenheit. Radicalement différente de ce qu’elle a proposé au Palais Garnier, mais non moins forte et percutante, la pièce explore le théâtre dansé. Loin d’être une copie de Pina Bausch, voilà une oeuvre absolument actuelle et personnelle, coup de poing sur un drame absolu (la perte d’un enfant) sans à aucun moment tomber dans le pathos – allant même parfois tirer sur un humour grinçant. Crystal Pite la surdouée n’en finit plus de surprendre. 

Betroffenheit de Crystal Pite et Jonathon Young

Betroffenheit signifie être percuté par un choc immense. Dans ce cas présent, la pièce raconte le « betroffenheit » de l’acteur canadien Jonathon Young, qui a vu sa fille adolescente et deux de ses cousin.e.s mourir dans un incendie. Crystal Pite a voulu mettre des mots sur l’indicible à quatre mains avec le comédien. Pour un peu de rédemption ?  On ne sait pas vraiment s’il y en a à la fin de la pièce. Mais en tout cas pour tenter d’exprimer par son art une douleur profondément humaine, et de partir d’un fait biographique pour toucher à quelque chose d’universel. Qu’importe, finalement, de connaître l’histoire personnelle de Jonathon Young pour se plonger dans la pièce. La salle glauque mal éclairée du début, et le personnage central complètement perdu, peuvent s’interpréter de différentes façons. Cela peut être le narrateur apprenant la nouvelle, un blessé sur un lit d’hôpital, un homme enfermé dans sa propre tête. Et les voix qu’il entend ses proches ou ses fantasmes. Il y a l’urgence du corps cassé et toutes ses sirènes intérieurs allumées comme un instinct de survie – sentiment du corps malmené par un choc violent que l’on pouvait d’ailleurs ressentir dans L’Été de The Seasons’ Canon

Petit à petit, le monde de l’homme perdu se peuple de personnages. Ils sont changeants, grimaçants, burlesques ou brutaux. Ils le titillent, le harcèlent, le poussent à ses démons ou le mettent mentalement à nu dans cette salle mal éclairée. Le dialogue se fait haché, rapide, ne laissant à aucun moment la possibilité à l’homme de cesser de se questionner, de reprendre son calme. Tout comme le public. Les corps ne dansent pas à proprement parler, ils portent pourtant le sentiment d’une façon entière – le poids du betroffenheit pour lui, une palette de la douleur au cynisme pour eux. Peut-être d’ailleurs que l’homme les retient et les rappelle pour ne pas se retrouver seul face à lui-même. Ce qu’il finit tout de même par être, enfermé dans sa propre boîte. 

Betroffenheit de Crystal Pite et Jonathon Young

Après cette heure qui laisse sonné.e comme un coup de poing, la deuxième partie de Betroffenheit se fait plus dansée. Plus de décor si ce n’est un noir blafard et une scène à nu. Les six artistes se lancent dans une danse aussi virtuose qu’organique, profondément humaine. La danse peut-elle calmer les âmes ? Elle n’apparaît pas ici comme un baume, plutôt comme un catalyseur, permettant de vivre la douleur sans se faire trop de mal. Et puis petit à petit les voix reviennent, les personnages burlesques aussi. Il n’y a pas vraiment de happy end, pas de larmoiement non plus – à aucun moment la pièce ne sombre d’ailleurs dans le pathos, véritable défi au vu du sujet. Juste la vie qui continue malgré tout. Du grand art. 

 

Betroffenheit de Crystal Pite et Jonathon Young par le Kidd Pivot et l’Electric Company Theatre à la Maison de la Danse de Lyon. Avec Bryan Arias, David Raymond, Cindy Salgado, Jermaine Spivey, Tiffany Tregarthen, Jonathon Young et Haley Heckethorn. Mercredi 10 mai. À voir jusqu’au 11 mai à la Maison de la Danse de Lyon, le 17 mai à Châlons-en-Champagne, le 23 mai à  Saint-Brieuc et du 29 mai au 2 juin au Théâtre de la Colline à Paris

 

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