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Soirée Bel/Millepied/Robbins – Ballet de l’Opéra de Paris

La nouvelle soirée mixte du Ballet de l’Opéra de Paris, un programme Jérôme Bel/Benjamin Millepied/Jerome Robbins, s’est ouvert dans des circonstances particulières. La veille de la première, le Directeur de la Danse annonçait son départ (voulu ?). Sur scène il présente une nouvelle création, La Nuit s’achève, sur l’Appassionata de Beethoven. Avant vient la création-concept Tombe de Jérôme Bel qui réveille les décors de Giselle. Après est donné Les Variations Goldberg de Jerome Robbins, pièce aussi longue que superbe sur la musique de Bach. Trois pièces qui n’ont pas grand-chose à voir (c’est décidément une rengaine dans les soirées mixtes conçues par Benjamin Millepied), si ce n’est de montrer l’étendue du répertoire de la compagnie. Et c’est bien dans le plus classique qu’elle brille le plus.

Les Variations Goldberg de Jerome Robbins

Les Variations Goldberg de Jerome Robbins

Jérôme Bel est plus un concepteur qu’un chorégraphe. On ne danse pas dans ses pièces, ce qui n’empêche pas de parler de danse. Son idée dans Tombe : réunir sur scène trois duos, composé d’un danseur de l’Opéra et d’une personne qui, en d’autres circonstances, n’aurait jamais mis les pieds sur le plateau de Garnier. Grégory Gaillard a fait appel à Henda Traore, la caissière de son supermarché (même si, au début, il voulait faire venir Christiane Taubira). Il lui présente les décors de Giselle, le régisseur, la salle. C’est sympathique. Benjamin Pech a voulu faire venir Sylviane Milley, spectatrice de danse depuis plus de 50 ans. Mais sa santé défaillante l’a empêchée de venir. À la place, l’Étoile présente une vidéo tournée pendant une répétition. C’est là encore une étude autour de Giselle. Le prince tourne de la spectatrice, la fait monter sur scène. Voilà une vieille dame qui réalise enfin son rêve. Forcément, c’est émouvant.

C’est sympathique, c’est émouvant, et c’est à peu près tout. Le concept de Jérôme Bel a en fait du mal à aller au-delà du vain. Ça discute en scène, ça éclaire les décors, et après ? Ce n’est pas dérangeant, ce n’est pas choquant, mais on n’y voit pas trop l’intérêt. Véronique Doisneau, première création de Jérôme Bel en 2004, avait au moins le mérite de questionner profondément une danseuse, ses aspirations et ses malaises. Tombe pose aussi la question des amateur.rice.s dans la danse professionnelle. Les projets avec des amateur.rice.s sont souvent de sympathiques idées donnant lieu à de belles rencontres humaines. Cela veut-il dire qu’il faut montrer ses projets sur une scène professionnelle ? Personne n’aurait l’idée de faire jouer un amateur dans un orchestre professionnel, de faire monter une amatrice sur la scène du Français. Car c’est par là nier l’idée même que l’art se fonde sur une technique, qu’il faut apprendre. Pourquoi la danse fait-elle exception, a-t-elle tellement de mal à assumer sa technique ? Comme si la technique était la négation de l’art, son contraire.

Tombe de Jérôme Bel - Benjamin Pech et Sylviane

Tombe de Jérôme Bel – Benjamin Pech et Sylviane Milley

Le deuxième duo est toutefois tout autre. Sébastien Bertaud a fait venir Sandra Escudé, unijambiste. Plutôt que de discuter, ils rejouent Giselle, l’entrée d’Albrecht au deuxième acte. Ils sont en costumes, il y a les décors, les costumes, la tombe. Tout est là. Et c’est une étrange chorégraphie qui se met en place, entre un homme et une Willi en fauteuil roulant qui s’échappe à toute allure de la scène. Sandra Escudé semble avoir dansé. Elle a des bras qui respirent, une allure et une interprétation de Giselle à proposer. Quand les deux finissent par se rencontrer, un pas de deux démarre. Elle tend sa pointe, quitte son fauteuil, se tient en équilibre. Il la porte, montrant sa jambe en moins sous son long tutu (ce qui ne se voyait pas forcément lorsqu’elle était assise). La question du corps se pose, la question d’une Giselle d’aujourd’hui, la question de comment reprendre ces grands classiques différemment, la question des corps différents. Jérôme Bel a plein de pistes devant lui, mais il les laisse de côté, préférant la parlotte sympathique.

Tombe de Jérôme Bel - Sébastien Bertaud et Sandra Escudé

Tombe de Jérôme Bel – Sébastien Bertaud et Sandra Escudé

La Nuit s’achève de Benjamin Millepied est un peu à l’image de ses autres pièces : c’est beau, fluide, l’espace est bien occupé. Le geste semble vouloir toucher à la perfection. C’en est en fait tellement parfait que le regard cherche désespérément quelque chose à quoi se raccrocher. Un contre-point, une surprise, n’importe quoi de surprenant. Mais tout reste lisse et fluide, esthétique, pas désagréable en soi mais rien qui ne tienne véritablement en haleine. Benjamin Millepied suit merveilleusement bien la musique, mais il ne fait que l’illustrer. Son premier mouvement ressemble à du Robbins (trois couples se retrouvent dans la nuit), son deuxième au Parc (nuisette blanche, baiser et tourbillon). Le troisième se veut plus agressif, plus dynamique dans les gestes. Mais la danse n’arrive pas à se mettre aux superbes envolées de la musique (magnifiquement jouée par Alain Planès, voilà qui m’a redonné goût aux concerts), elle reste un peu trop sage. Les interprètes de ce soir sont aussi plus en retrait, se contentant souvent de suivre leur partition. Seul Hugo Marchand, et surtout Léonore Baulac, racontent une histoire et créent leur univers.

La Nuit s'achève de Benjamin Millepied

La Nuit s’achève de Benjamin Millepied

La dernière pièce, Les Variations Goldberg de Jerome Robbins, est définitivement le morceau consistant de la soirée, qui aurait presque pu se suffire à lui-même. Le chorégraphe invente un exercice de style sur les 32 variations (jouées par Simone Dinnerstein, moins d’inspiration que dans le Beethoven). Il part de la danse baroque, ses positions et ses révérences, passe par un cours de danse classique en s’inspirant d’exercices, arrive jusqu’à la danse néo-classique, sème quelques pas de danse folklorique, d’accent jazz, et mixe le tout. Les costumes vont d’ailleurs au baroque à la tunique de danse. Le Ballet de l’Opéra de Paris se sent spécialement à l’aise dans cette danse de représentation, et n’en oublie pas pour autant la musique. Car la chorégraphie est peut-être facile, mais il faut l’habiter, la respirer. Et c’est ce qui se passe en scène.

Alors oui, 1h20 d’exercice de style, c’est parfois long, c’est parfois aride, c’est parfois pensum. Mais la beauté surgit à de nombreux moments. Il a des surprises, des changements d’atmosphères, et l’impression que chaque artiste se sent libre sur cette partition. Myriam Ould-Braham semble porter le tout de sa délicieuse poésie. Avec Mathias Heymann, elle forme un couple d’abord enfantin, puis lyrique, enfin meneur de troupe. Mathieu Ganio y déploie toute sa si intelligente élégance, Laura Hecquet son chic à la française. Pierre-Arthur Raveau et Germain Louvet illuminent toute la première partie avec leur danse généreuse. Le tout jeune Paul Marque est une révélation. Pour son premier solo, il semble avoir fait ça toute sa vie, avec une aisance en scène et déjà une intelligence du mouvement qui séduit.

Les Variations Goldberg de Jerome Robbins - Laura Hecquet et Mathieu Ganio

Les Variations Goldberg de Jerome Robbins – Laura Hecquet et Mathieu Ganio

Malgré le temps qui parfois s’étire (la première partie se répète et l’on finit par attendre les Étoiles), Les Variations Golberg font partie des oeuvres qui nourrissent. Le geste est là, inventif, puissant malgré sa simplicité, ne se contentant pas de suivre la musique mais de créer autour un univers. Une oeuvre qui montre aussi que la compagnie peut être absolument dans l’École française tout en étant musicale, loin d’être un papier-peint. Peut-être trouve-elle dans Jerome Robbins la liberté qu’elle cherche encore dans les Ombres.

 

Soirée Bel/Millepied/Robbins par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Tombe de Jérôme Bel, avec Grégory Gaillard, Henda Traore, Benjamin Pech, Sylviane Milley, Sébastien Bertaud et Sandra Escudé ; La Nuit s’achève de Benjamin Millepied, avec Léonore Baulac, Aurélia Bellet, Aubane Philbert, Florian Magnenet, Hugo Marchand et Florent Mélac ; Les Variations Goldberg de Jerome Robbins, avec Katherine Higgings, Cyril Chokroun, Valentine Colasante, Pierre-Arthur Raveau, Mickaël Lafon, Muriel Zusperreguy, Germain Louvet, Paul Marque, Myriam Ould-Braham, Mathias Heymann, Laura Hecquet, Mathieu Ganio, Amandine Albisson et Audric Bezard. Lundi 8 février 2016. 

 

Comments (7)

  • Juliett Socrate

    Et bien, avec un simple regard de spectatrice, je suis totalement en désaccord avec cette chronique…
    Certes le concept de J. Bel est au début un peu décontenançant… Un peu cliché me suis- je dis une sorte de danse avec les stars version Opéra de Paris (Une black, une vieille, une handicapée..) .Et puis c’est beau, c’est émouvant, c’est la force unique de la danse, de cette rencontre des êtres si différents soient ils avec leurs atouts, leurs faiblesses, leurs particularités, leur émotions, leurs univers, leurs corps…une ode à l’humanité dansée, à ce que la danse offre de plus symbolique dans l’expression de chacun en tant qu’être unique en mouvement avec soi et avec l’autre…

    La nuit s’achève et la magie n’arrête pas d’opérer en moi… Ce tourbillon voluptueux des couples, tour à tour étourdissant, sensuel, fragile, poétique, baigné de lumière douce et passion, de costumes et de matières fiévreuses et lumineuses ou simple et intimes. L’émotion m’a submergée devant tant de magnificence des corps interprétés au plus juste de la passion amoureuse, de l’étreinte forte et fébrile de la rencontre d’un homme et d’une femme. J’ai pleuré de vivre un moment si fort, un de ces moments qui font de l’existence un état de grâce…

    Robbins. Au début je me suis dis tiens une parodie, c’est une bonne idée ça va être marrant. Puis je me suis dis tiens oui ils parodient la chiantise extrême et ridicule d’une école classique et de ses codes, oh ils font bien les danseurs qui dansent mal dans leur costumes moches…Puis je me suis dis que ça allait surement commencr à un moment ou a un autre…Au bout d’une heure, l’idée de me pendre m’est venue, je n’en pouvais plus…coincée là à l’opéra, ne pouvant faire autre chose qu’écouter et regarder des danseurs si faibles techniquement sur une musique assommante, j’essayais de me raccrocher à quelquechose , c’était insupportable…je n’ai pas osé sortir mon téléphone pour passer le temps…Voyant que cela commençait à entacher l’émotion vertigineuse et splendide du ballet d’avant, je suis partie en plein milieu, soulagée. J’ai alors croisée une femme qui venait de faire la même chose nous avons éclatées de rire, de ce rire nerveux, nous n’en croyions pas nos yeux. « Vous pensez qu’ils voulaient tester nos limites ? » me demanda t’elle. Elle ajouta : »ça n’en finissait plus… » . c’est ça il aurait fallu contrairement au ballet précédent que quelque chose s’achève avant qu’on ait envie d’achever quelq’un…

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  • Emmanuelle

    C’est exactement ce que j’ai vécu juliettà venue pour le Robbins et craintive face au bel, finalement je me suis laissée prendre au jeu de bel, j’ai été surprise et émue. La nuit s’achève dont je n’attendais rien de particulier m’a emportée, fascinée, costumes, interprétation, piano tout était en harmonie. Et patatras le Robbins, je n’en pouvais plus d’attendre qu’il se passe quelque chose. Je suis restée jusqu’au bout, malgré le piano poussif et la chorégraphie académique et répétitive. Seul moment intéressant, le couple marchand -gillot. Le pauvre heyman était réduit au rôle de faire valoir d’ould-braham dont les chaussons crissaient fortement (representatio mn du dimanche 7). Vraiment dommage.

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  • Francois

    et bien je suis tout a fait d accord BeL passionnant Millepied haletant et très beau et Robbins ..ca vieillit pas si bien que ça . surtout quand il manque la légèreté et l humour .

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  • Sweety

    Je vais être en désaccord avec les autres commentaires, mais je me suis personnellement ennuyée à mourir devant la création de Millepied, la musique est très belle mais les danseurs, bien que très talentueux techniquement, ne transmettaient aucune émotion, et je n’ai pas trouvé la chorégraphie bien emballante pour être honnête.

    En revanche, sur la création de Bel où je m’attendais à être déçue, j’avoue que ce côté décalé de ce premier duo Grégory-Henda et toute les réflexions causées par les deux autres duos, sans oublier l’émotion provoqué par ce pas de deux à la fois particulier et tellement évident, m’ont vraiment fait passer un bon moment (cela dit, cela ne semble pas avoir le cas de tous, si l’on en croit les huées à la fin).

    Enfin, j’ai juste trouvée l’oeuvre de Robbins splendide, c’est très agréable de voir des danseurs s’amuser autant en scène et partager leur amour de la danse avec nous de façon aussi évidente. Ces alternances de prouesses techniques et de petits moments plus inattendus sont le meilleur moyen de faire apprécier la danse à un néophyte à mon avis. Je suis d’accord sur le fait que la première partie traîne un peu en longueur mais la seconde partie était juste magnifique. Mention spéciale au couple Léonore Baulac – Karl Paquette et MAG- Hugo Larchand et ce final également ! C’était la première fois que je voyais l’une de ses œuvres mais je suis définitivement conquise, je retournerais certainement voir d’autres de ses créations.

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  • Lili

    Plutôt d’accord avec vous pour ma part. Sinon que j’ai vraiment aimé Bel. Le 1er couple moyennement, mais les deux suivants vraiment. Plus que la question des amateurs, c’est la question du rapport technique/interprétation qui m’a touché. Bertaud et Escudé racontent très bien l’histoire de la Willi et du Prince, et pourtant la Willi ne marche ni ne vole. Pech et Mme Milley sont touchants (surtout Benjamin Pech, mais son départ imminent a contribué à mon sentiment), en raison de la tendresse et de la joie qui émane de lui, de son regard et son sourire extraordinaires. Qui nous montre que la danse, c’est (aussi) une histoire de relation, et quant la technique n’est pas là, il reste cela, et ça peut suffire. Même si la brave dame semble trop « éteinte » pour exprimer sa part de relation, ce qui est dommage. Mais il y a ces 30 ans d’un lien à la fois solide et basé sur peu de choses, et tout est là…

    Touchée, embarquée (malgré quelques longueurs) par les Variations Goldberg, et pourtant le choix musical est risqué !! Les étoiles étaient en forme, le corps de ballet aussi, ensembles quasi parfaits, chorégraphie magnifique, public chaleureux mais pas aussi enthousiaste qu’on aurait pu le penser, sauf pour Benjamin Millepied, dont c’était la dernière de son oeuvre. Peut-être est-ce pour ça, la date a trainé les fans? J’ai moyennement accroché malgré ma sympathie pour cet homme dont je regrette malgré tout le départ. Il est comme de juste venu sur scène, pas d’émotion débordante pour une dernière avec sa dream team de jeunes très talentueux (et un peu fatigués sur le dernier mouvement). Mais il a une démarche unique, il danse quand il marche. C’est un détail mais ça me saute aux yeux à chaque fois, à la télé ou sur scène.

    Bref, c’était une très belle soirée.

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