Angelin Preljocaj fait danser New-York à Montpellier Danse
Angelin Preljocaj et sa compagnie ont ouvert le 37ème festival Montpellier Danse avec une soirée très attendue. Le chorégraphe vient ici presque en voisin (il est basé à Aix-en-Provence), il est un habitué des lieux. Mais pour ce retour après son dernier passage il y a trois ans, Angelin Preljocaj faisait un pari risqué : reprendre les deux pièces qu’il avait créées pour le New York City Ballet : La Stravanganza (1997) et Spectral Evidence (2013). Paris risqué à plus d’un titre : comment des pièces anciennes peuvent résonner devant un nouveau public et de quelle manière ses danseu-se-s peuvent-ils s’en emparer ? Angelin Preljocaj concède lui-même qu’il ne va pas de soi de faire danser à sa compagnie dont les artistes viennent de l’univers de la danse contemporaine, des pièces qu’il a spécifiquement chorégraphiées pour le New York City Ballet, le temple de la danse balanchinienne néo-classique. Un pari au final réussi.
Angelin Preljocaj est attaché à la notion de répertoire, de sa construction et de sa perpétuation. Et rien de mieux pour passer cette épreuve que de proposer le même matériau chorégraphique à des artistes d’origine et d’univers différents. Le défi est relevé : Spectral Evidence et La Stravaganza, très différentes dans leur propos, font partie des pièces importantes d’Angelin Preljocaj et il eut été dommage que seuls les new-yorkais en profitent.
Comme toujours, Angelin Preljocaj cherche son inspiration avec les danseur-se-s avec lesquels il travaille, leur culture, leurs habitudes et leurs références historiques. Pour Spectral Evidence, pièce pour quatre danseuses et quatre danseurs, le chorégraphe a nourri son travail de l’histoire tragique des Sorcières de Salem, cet épisode qui eut lieu à la fin du XVIIe siècle au Massachusetts et s’est traduit par l’exécution d’une vingtaine de femmes et jeunes filles accusées de sorcellerie. C’est le symbole même du puritanisme américain et de ses excès. Angelin Preljocaj ne raconte pas cette histoire mais il s’en sert comme tremplin et comme source d’énergie. Il met sur scène quatre danseuses en robe blanche avec une tache rouge-sang, et quatre danseurs habillés en pasteurs. Quatre mobiles font office de scénographie et deviendront tour à tour bureau du tribunal, bûcher et cercueil.
Ce que nous montre Angelin Preljocaj sur la musique de John Cage, c’est une allégorie du désir et de la peur de l’autre. Le ballet s’ouvre alors que celles les quatre « sorcières » couvrent les yeux des quatre « pasteurs » et manipulent leurs corps. La danse est comme toujours acérée, parfois brutale avec en point d’orgue un magnifique pas de deux qui n’est pas sans évoquer celui du Parc. Là aussi, il est question de désir et d’érotisme interdits. Une interprétation superbe qui ajoute à l’âpreté et à la violence de Spectral Evidence où se retrouveront sans problème celles et ceux qui connaissent le travail d’Angelin Preljocaj.
L’affaire est toute autre pour La Stravaganza. La pièce est plus ancienne et de facture bien différente. « Elle raconte aussi mon histoire » explique Angelin Preljocaj, « celle d’un jeune chorégraphe français, partie prenante de la nouvelle danse française, qui va à la rencontre de cette compagnie balanchinienne et s’interroge sur comment cette relation s’articule et se nourrit« . Sur scène, deux groupes de six danseur-s-es semblent représenter deux mondes différents dans le temps et l’espace. Le premier en costumes d’aujourd’hui est confronté à une population plus ancienne en costumes du XVIIe siècle. C’est ce dialogue entre deux mondes et deux époques qu’Angelin Preljocaj met en scène et chorégraphie. Pour accentuer cette opposition, Il mélange les styles musicaux : la tribu d’aujourd’hui – appelons-là ainsi ! – dansant principalement sur du Vivaldi et les pionniers sur des partitions contemporaines. L’effet est dédoublé par l’immense toile peinte représentant une ferme américaine du XVIIe siècle projetée en fond de scène et réalisée par Maya Schweizer.
Le style de La Stravaganza est bien différent de celui de Spectral Evidence. On y repère évidemment de longues citations balanchiennes sous forme d’arabesques, de sauts et de ports de bras si spécifiques de la compagnie new-yorkaise. Mais les deux pièces ont en commun cette recherche et cette peur de l’autre, de l’étranger et de la différence. Là aussi, Angelin Preljocaj nous gratifie d’un pas de deux d’une infinie poésie. Le chorégraphe concède que ses danseur-se-s avaient quelque crainte à aborder ce répertoire bâti pour une compagnie infiniment classique mais sa troupe se défend merveilleusement. Et pour avoir vu La Stravaganza dansée par le NYCB en 2009 (avec un certain Benjamin Millepied qui menait la distribution…), il me semble évident que les danseur-se-s d’Angelin Preljocaj ont toute légitimité pour interpréter ce répertoire.
Le public new-yorkais avait fait de cette pièce un grand succès dès sa création, les danseur.se.s du New York City Ballet ont eu beaucoup de plaisir à l’interpréter et Peter Martins, le maître de ballet du NYCB, l’a régulièrement remise à l’affiche. La critique fut plus sévère mais aucun chorégraphe français ne trouve grâce à ses yeux dès lors que l’on s’éloigne par trop d’un standard néo-classique rigoureux. Il reste qu’Angelin Preljocaj est le seul chorégraphe français invité à deux reprises par cette compagnie prestigieuse. Il eut été dommage que le public français en soit privé. Espérons qu’après l’accueil chaleureux du public de Montpellier Danse, les pièces new-yorkaises séduiront les programmateurs français.
Les pièces de New York d’Angelin Preljocaj par le Ballet Preljocaj à l’Opéra Berlioz/Le Corum. Spectal Evidence avec Vérity Jacobsen, Emilie Lalande, Céline Marié, Nuriya Nagimova, Baptiste Coissieu, Jean-charles Jousni, Victor Martinez Caliz et Simon Ripert ; La Stravaganza avec Vérity Jacobsen, Emilie Lalande, Céline Marié, Nuriya Nagimova, Baptiste Coissieu, Jean-charles Jousni, Victor Martinez Caliz, Simon Ripert, Margaux Coucharrière, Anna Tatarova, Redi Shtylla et Aaron Smeding. Vendredi 23 Juin 2017. Spectacle présenté dans le cadre de Montpellier Danse, qui continue jusqu’au 7 juillet.