Don Quichotte au zénith par le Ballet National de Cuba
Après Giselle, voilà donc le Balle National de Cuba dans un tout autre registre avec Don Quichotte. Tout n’est pas parfait, il s’en faut. Il y a d’abord la musique enregistrée, quasiment insupportable pour un ballet en trois actes avec des conséquences néfastes sur les interprètes : difficile d’exprimer sa musicalité quand la danse se doit de respecter un tempo mécanique censé convenir à toutes et tous. Certes, la partition de Minkus n’est pas un chef d’oeuvre du répertoire classique mais elle est ciselée pour le ballet. Et puis il y a les décors de toiles peintes, usées jusqu’à la corde et dont on redoute qu’elles tombent en lambeaux devant nous. Les costumes hors d’âge aux couleurs passées à force d’avoir été portés. Le.la balletomane parisien.ne, habitué.e à la luxuriance de la production Noureev de l’Opéra de Paris a de quoi être décontenancé. Et pourtant, quelle soirée ce fut ! Que le Ballet National de Cuba ait réussi à surmonter tous ces handicaps et à emporter dans un élan commun le public de la Salle Pleyel montre le niveau exceptionnel de cette compagnie de légende aux faibles moyens.
Pourquoi va-t-on encore et encore voir et revoir Don Quichotte ? Ballet paradoxal au répertoire de toute compagnie classique et naturellement du Ballet National de Cuba. C’est le seul ballet que Marius Petipa, maître au Mariinsky, a créé pour le théâtre Bolchoï de Moscou et pour cause : c’est un des rares ballets du maître qui soit une comédie, œuvre de pur divertissement, ode à la bravoure et la virtuosité où l’on trouve tout le lexique du ballet classique. Ne nous fions pas aux apparences ! Il n’y a rien d’espagnol dans Don Quichotte, titre usurpé tant le livret n’a rien à voir avec le chef d’œuvre de Miguel Cervantès. Les-amours-contrariées-mais-pas-tant-que-ça-de-Kitri-et-Basilio serait un titre plus juste et fidèle à l’histoire.
C’est donc une Espagne fantasmée que nous livre Marius Petipa. N’allons pourtant pas croire que les cubain.e.s, parce que ce sont des latins et que l’espagnol est leur langue maternelle, seraient nécessairement les meilleurs interprètes du ballet. Et pourtant ! Depuis des générations, Alicia Alonso teste ses danseur-se-s sur ce ballet qui ne pardonne rien et exige une technique à toute épreuve et un sens de la comédie qui ne soit pas factice. Il ne suffit pas d’agiter nerveusement son éventail pour être Kitri.
Avant de s’attarder sur les solistes, quelques mots sur le corps de ballet, jamais pris en faute et dansant dans une belle cohésion qui cache aussi la faiblesse des effectifs sur scène, car il faudrait dans l’idéal beaucoup plus de danseur-se-s. pour camper une foule colorée. On a ainsi un peu de mal à se figurer l’effervescence d’une place espagnole. Mais il y a toujours quelque chose de rassurant et de familier avec Don Quichotte quelle que soit la production. C’est un ballet qui ne se prête pas à une relecture. Tout y est très premier degré et c’est ce qu’on aime : retrouver d’une version à l’autre ces variations et des pas de deux qui font le génie de ce ballet. Et du coup, le plaisir est toujours de voir comment les danseur-se-s du jour vont s’y prendre.
Que dire des solistes du soir ? Yolanda Correa en Kitri fait une entrée explosive. Droite sur ses pointes, arabesques tenues, grands jetés supersoniques : le niveau technique est impressionnant et ne se dément pas tout au long des trois actes. Son partenaire, Yoel Carreno est de la même trempe : partenaire de luxe, il effectue ces fameux portés à une main avec une aisance déconcertante. Ces deux là ont l’habitude de danser ensemble : depuis 2010, ils ont rejoint le Ballet de Norvège. Comme beaucoup de cubains, ils s’expatrient pour jouir de meilleures conditions de travail mais Alicia Alonso fait appel à tous les danseur-se-s qu’elle a formés lors de ces grandes tournées internationales. Ils ne sont pas là d’ailleurs comme invités mais on sent qu’ils sont partie prenante de la troupe.
Les seconds rôles ne sont pas des rôles secondaires dans Don Quichotte ! Ils participent à la réussite de l’entreprise. La découverte de la soirée s’appelle Rafael Quenedit, 21 ans, splendide toréador. Il est d’ailleurs distribué un soir en Basilio. C’est un nom que l’on peut retenir car on pourrait le revoir sur d’autres scènes en Europe. Claudia Garcia dans le rôle de son amante Mercedes, était sa partenaire, précise dans la redoutable variation des poignards plantés sur le sol. L’acte deux et la scène des Dryades n’est pas la plus réussie de la chorégraphie d’Alicia Alonso, trop triviale et pas assez éthérée. Mais c’est là encore la danse qui sauve la mise : Ginett Moncho se tire ainsi fort bien de l’archi-connue variation de la Reine des Dryades.
Puis vint le Grand Pas ! On n’userait trop de superlatifs pour décrire ce moment qui est le climax du ballet. Yolanda Correa et Yoel Carreno semblent se défier l’un l’autre en rivalisant de virtuosité. Yolanda Correa tient des équilibres interminables et je renonce à compter le nombre des fouettés au delà de 35. Manèges à toute allure, sauts pyrotechniques, toute la salle est bouché bée. Puis, subitement, alors que se termine le Grand Pas, Yolanda Correa trébuche ! Nous voilà presque rassurés. Finalement, ils sont humains ces Cubains…
Don Quichotte d’Alicia Alonso d’après Marius Petipa par le Ballet National de Cuba, à la Salle Pleyel. Avec Yolanda Correa (Kitri), Yoel Carreno (Basilio), Rafael Quenedit (Espada), Claudia Garcia ( Mercedes) et Ginett Moncho (La Reine des Dryades). Samedi 15 Juillet 2017 à 20h. À voir jusqu’au 20 juillet.
Agripaume
J’aime beaucoup vos compte-rendu !