Shostakovich Trilogy d’Alexeï Ratmansky – Het Nationale Ballet
DALP vous avait parlé l’année dernière du superbe Shostakovich Trilogy d’Alexeï Ratmansky, dansé par l’American Ballet Theatre. Les trois parties de cette oeuvre peuvent se danser séparément, le public français avait ainsi pu en voir une lors de la tournée du San Francisco Ballet aux Étés de la Danse. Mais le ballet dans son intégralité n’avait encore jamais été dansé en Europe. C’est désormais chose faite avec le Het Nationale Ballet, qui a terminé sa saison avec l’entrée à son répertoire de ce Shostakovich Trilogy – avant de partir à Montpellier Danse. Un choix naturel pour Alexeï Ratmansky, la troupe néerlandaise dansant régulièrement ses oeuvres, et, formée par Hans van Manen, se prêtant avec bonheur à ce langage néo-classique d’une vraie inventivité et musicalité.
Avec Shostakovich Trilogy, Alexeï Ratmansky évoque tout en finesse la vie du compositeur russe. Pas d’histoire, pas de personnages, mais trois ambiances au fil des trois pièces qui structurent le ballet : une première partie dans une certaine insouciance de l’après-guerre, une deuxième beaucoup plus sombre sur les deuils et doutes du compositeur, une troisième empreinte de nostalgie tout en allant de l’avant. Le présenter en trois parties distinctes – avec distributions différentes, saluts et entractes entre chaque – a quelque chose de déstabilisant, tant l’oeuvre frappe par sa cohérence. Costumes et décors font partie de l’effet bien sûr. Surtout, tout semble faire sens, avec des réminiscences de-ci delà des différents morceaux. Parle-ton du compositeur ? De sa musique aux si multiples visages ? De la vie même d’Alexeï Ratmansky ? L’abstraction de Shostakovich Trilogy laisse la porte ouverte à l’interprétation, sans pour autant que le public ne s’y perde. La danse fait le liant, complexe (elle s’appuie sur toutes les possibilités de la technique classique), musicale, laissant de l’espace pour que chaque interprète puisse y trouver une certaine liberté, devenant ainsi bien plus qu’une simple pièce jolie à regarder, ce à quoi le répertoire néo-classique est si souvent ramené en France.
Ce langage ne peut que convenir au Het Nationale Ballet. la compagnie, fondé par Hans van Manen, le maître du néo-classique européen, sait justement comment se glisser dans cette danse large qui fait sens avec la musique, comment faire une histoire et créer des sentiments alors que le ballet semble abstrait. Les différents interprètes du ballet, et notamment le premier rôle masculin de chaque partie, prennent d’ailleurs un parti-pris assez différent. Jozef Varga (Symphony #9, la première partie) et Vito Mazzeo (Piano Concerto #1, la troisième) prennent une certaine distance avec l’oeuvre, tandis que James Stout (Chamber Symphony, la deuxième) choisit volontairement un angle bien plus dramatique et réaliste. Il crée un personnage anguleux, tiraillé de tous côté, pris à ses propres démons comme par les arcanes d’un pouvoir étouffant, petit à petit brisé. Un personnage aux multiples visages que l’on aurait aimé suivre pour la suite.
Car tel est le paradoxe de cette Shostakovich Trilogy par le Het Nationale Ballet. La troupe a compris toute la complexité de l’oeuvre. Elle a compris aussi sa cohésion, sa vision d’ensemble. Et la rend tellement bien qu’il en devient presque gênant de changer de distribution en cours de route. Shostakovich Trilogy a-t-il vocation à devenir une seule et même pièce, dansée comme telle ? L’interprétation de la compagnie d’Amsterdam a en tout cas choisi son camp. Malgré ces quelques frustrations, la richesse du ballet ne s’en laisse pas ternir. Voilà une oeuvre forte, qui peut se voir comme se danser encore et encore, tant sa danse laisse place à de multiples facettes à explorer. Une superbe soirée pour terminer l’année, et l’envie décidément de revenir voir de plus près le Het Nationale Ballet, à la fraîcheur et l’explosivité charmeuse. La troupe revient d’ailleurs vers Alexeï Ratmansky la saison prochaine, avec son Don Quichotte. L’occasion de découvrir comment la compagnie s’approprie un autre travail du chorégraphe, plus ancré dans le répertoire.
Shostakovich Trilogy d’Alexeï Ratmansky par le Het Nationale Ballet à l’Opéra d’Amsterdam. Avec Wen Ting Guan, Jozef Varga, Suzanna Kaic, Edo Wijnen et Young Gyu Choi (Symphony #9), James Stout, Aya Okumara, Emanouela Merdjanova et Anna Oi (Chamber Symphony), Floor Eimers, Vito Mazzeo, Riho Sakamoto et Joseph Massarelli (Piano Concerto #1). Vendredi 23 juin 2017.