YÀTRÀ de Kader Attou et Andrés Marin – Au confluent des traditions et de la modernité
Après une première collaboration en 2013, Kader Attou, chorégraphe hip hop majeur et directeur du CCN de La Rochelle, et Andrés Marin, grand artiste flamenco, se sont retrouvés en 2015 pour créer YÀTRÀ dans le cadre de la Biennale de flamenco de Hollande. Mais la rencontre entre les styles ne s’arrête pas là : elle croise avec bonheur le chemin de l’Ensemble de musiciens Divana, venu du Rajasthan, et du compositeur de musique électronique Régis Baillet. YÀTRÀ (« voyage » en sanskrit) est un spectacle très réussi, qui enthousiasme par sa belle simplicité et son humour communicatif.
Les spectacles qui font dialoguer les styles ne sont pas rares. Récemment, transe soufie et street art se rencontraient pour le très beau White Spirit, et Torobaka réunissait (mais en peinant à convaincre) danse indienne et flamenco. Dans chacun de ces spectacles, les traditions montraient leur capacité à irriguer le présent. Tel est aussi l’enjeu de YÀTRÀ : « Montrer que la tradition n’est pas un réduit, un rempart contre la modernité, mais qu’au contraire, revisitée, elle est le moteur même de cette modernité dont elle reste la colonne vertébrale. »
Tout dans ce spectacle, de la scénographie à la chorégraphie, est épuré, comme pour aller droit à l’essence des styles et laisser à tous le même espace d’expression. En fond de scène, les musiciens de l’Ensemble Divana, en longues robes blanches et turbans chamarrés, sont assis à même le sol. Voix puissante, percussions et cordes se mêlent à la composition électronique de Régis Baillet, pour porter avec force les solos, duos et trios des danseurs. Sobres également sont les costumes noirs des danseurs, mettant en valeur leurs différences morphologiques et stylistiques. Kader Attou n’est pas sur scène, mais a transmis sa chorégraphie à deux excellents danseurs de sa Compagnie Accrorap, Mehdi Ouacheck et Florent Gosserez.
Dans un espace structuré par des raies ou carrés de lumière, se succèdent des séquences de quelques minutes, autant d’agencements de dialogues possibles, autant de mises en valeur de chaque interprète, qu’il soit danseur, chanteur ou musicien. On pourrait reprocher au spectacle son aspect décousu, mais il semble assumer sa composition fragmentaire. Ce qu’il en reste, ce sont les magnifiques images que ces séquences créent, et sur lesquelles elles finissent souvent en apothéose : Mehdi Ouacheck traçant un cercle glissé-tombé autour d’Andrés Marin, ou le portant, dressé vers le ciel, avec Florent Gosserez ; tous dansant sous une scène étoilée de lampions…
Plus virtuoses les uns que les autres, ces artistes dialoguent avec fierté, parfois s’affrontent. Tous sont des hommes, et il est intéressant de comparer ces modèles si différents de masculinité, voire de virilité. De multiples ponts se tissent entre les styles : de la musique percussive produite par la danse flamenca d’Andrés Marin, à la danse qui se met à animer les musiciens de l’Ensemble Divina dès qu’ils touchent leurs instruments ; du chant indien au chant flamenco ; du battle des danseurs hip hop à l’affrontement au chant d’Andrés Marin et Anwar Khan Manghanyiar…
Un des moments les plus réussis de YÀTRÀ en est peut-être le tout début, lorsqu’Andrés Marin et Mehdi Ouacheck dansent en miroir, dans deux carrés de lumière. Que devient un même mouvement lorsqu’il passe au filtre du flamenco, ou du hip hop ? Gestuelle serpentine, toute de cambrure et de bras ailés pour l’un ; féline, bondissante et près du sol pour l’autre : deux superbes interprètes dont le style émane d’une technique parfaitement maîtrisée, d’un art tellement fait leur qu’il les ancre, chacun à sa manière, dans le monde.
YÀTRÀ d’Andrés Marin et Kader Attouà la MAC de Créteil. Avec Andrés Marin, Mehdi Ouacheck, Florent Gosserez, l’Ensemble Divana et Dani Suarez (Percussion). Vendredi 20 mai 2016. Le 24 mai à L’Onde de Vélizy-Villacoublay.