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Giselle par le Ballet de l’Opéra de Paris – Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio répandent leur douce magie blanche

Elle avait l’âme un peu trop blême, notre Giselle française. C’est sous des cieux étrangers, ou dans un passé lointain, qu’elle esquissait le mieux ses lancinantes arabesques penchées. L’évasion du réel étant devenue impérative, Giselle est réapparue – enfin… – à l’Opéra de Paris. Par un coup de grâce, Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio ont redonné vie à la lithographie vieillie sur la scène du Palais Garnier, auréolant de mille nuances le ballet le plus acclamé de l’ère romantique. Ils ont étreint Giselle d’une vaporeuse magie blanche qui s’engouffre par tous les pores de l’esprit. Qu’on le clame haut et fort : l’apatride Giselle est revenue à Paris.

Giselle - Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio

Giselle – Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio

Après les rôles de Manon et de Juliette, Dorothée Gilbert s’affirme, crescendo, en grande tragédienne de la compagnie. Sa danse gracieuse, aidée par un corps gracile, et sa compréhension fine des personnages tragiques la désignent comme l’héritière de Monique Loudières. C’est d’abord elle qui a porté le ballet des vendanges automnales au royaume spectral des Wilis, de l’amour ingénu à l’amour éperdu. A l’acte I terrestre, son héroïne resplendit d’une spontanéité un peu niaise, celle que l’on attribue à la paysanne d’un conte populaire. Ses amours badines exhalent l’insouciance d’une adolescente pleine de vie. Sa vivacité rieuse fait merveille jusqu’à la scène de la folie, qu’elle interprète hagarde, davantage comme une comédienne que comme une ballerine. Les quelques pas de danse qu’elle esquisse, avec une savante parcimonie, n’en sont que plus glaçants. Sa mort brutale, que l’on savait pourtant inéluctable, prend presque par surprise, « en proie au noir délire« .

Giselle captive par sa dualité esthétique, du diurne au nocturne, de la chair à l’esprit. Les vendanges du premier acte offrent un tableau idéalisé de la vie pastorale, en écho aux accents naïfs et sentimentaux du prologue musical qui convoque l’esprit de Bernardin de Saint-Pierre. La paysannerie joviale entraîne l’auditoire dans une farandole enjouée qui bat au rythme du coeur d’une Giselle transie. Les vendangeuses restent bien courtoises et précieuses, c’est la touche Opéra de Paris. Assuré par François Alu et Charline Giezendanner, le pas de deux des paysans s’est mué en réjouissant interlude alors qu’il vire trop souvent à l’indigence d’un divertissement scolaire. La vigueur virtuose de l’un et le charme infiniment juvénile de l’autre ont rendu savoureux ce point virgule d’ordinaire placé là par défaut. D’ailleurs, à quand une Giselle pour Charline Giezendanner ?

Giselle - Charline Giezendanner et François Alu

Giselle – Charline Giezendanner et François Alu

Dans la pénombre brumeuse de l’acte II, les nuées nocturnes des Wilis entament leur procession fantasmagorique, vêtues d’une mousseline blanche figurant un suaire. Valentine Colasante a l’autorité requise pour incarner la reine vengeresse des Wilis même si ses sauts gagneraient en illusion aérienne s’ils étaient plus hauts. Héloïse Bourdon et Fanny Gorse personnifient deux délicats fantômes diaphanes dont la sobriété et le chic honorent l’école française. Toutes les danseuses du corps de ballet sont époustouflantes d’austérité fantomatique, alliance surprenante de la pureté et d’amertume. Elles sont vouées à entraîner les hommes qu’elles croisent dans leur danse fatale ; Hilarion, campé par un ténébreux Vincent Chaillet, en a fait les malheureux frais.

Dorothée Gilbert est livide et exsangue, flottant dans les airs comme un spectre à jamais hanté par une douleur inextinguible. Nimbée d’une grâce nuageuse, elle est une vision impalpable venue sauver Albrecht du trépas. Elle effleure son partenaire, évanescente, sans jamais le saisir. Elle est déjà ailleurs, dans un au-delà opalin. Le visage n’exprime qu’une infinie mélancolie mais ses arabesques rutilent de nuances expressives. Chaque montée sur pointes redevient un moyen d’élévation fugace, réalisant l’envol de l’âme des ferventes romantiques. Par contraste, ses bras de saule-pleureur ploient irrésistiblement vers le sol où repose son enveloppe charnelle. Débarrassée de sa pesanteur terrestre, la Giselle défunte de Dorothée Gilbert est tellement désincarnée qu’elle n’est plus qu’allégorie ; celle de la rédemption par l’amour.

Giselle - Dorothée Gilbert, Mathieu Ganio et Valentine Colasante

Giselle – Dorothée Gilbert, Mathieu Ganio et Valentine Colasante

Dans ces volutes blanches, Mathieu Ganio pose un sceau ultime sur son statut de danseur noble. Prédisposé par des lignes agréables qui lui valent un concert de louanges, il jouit d’une technique irréprochable qu’il met au service d’une interprétation sans faute de goût. Ampleur et intensité l’animent. Son Albrecht est beau parleur – plus joli coeur que fier gaillard – à l’acte I. Giselle semble être une simple amourette qui le distrait de l’ennui de son milieu. Il lui conte fleurette avec malice, amusé par ses réactions prudes. Giselle secouée des spasmes de la folie, l’irresponsable baratineur ne mesure toujours pas l’étendue de son méfait. Puis au royaume de la gaze immaculée, les traits de son Albrecht deviennent ceux d’un poète maudit transfiguré par l’amour. Il danse tantôt comme un automate sous l’effet du sortilège des Wilis, tantôt comme un pécheur repenti. Exténué, brisé, Mathieu Ganio nous livre un long chant plaintif jusqu’aux cloches de l’aube.

Ces derniers temps, la programmation du Ballet de l’Opéra de Paris avait freiné les ardeurs poétiques du public. La représentation qui a fait danser Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio ensemble a apaisé l’attente insoutenable du retour du romantisme lunaire sur scène. L’éternelle Giselle, emportée par ses passions, morte d’avoir trop dansé devient la parabole d’un répertoire classique à l’agonie. Mais avec de telles résurgences, l’espoir est de nouveau permis.

Giselle - Mathieu Ganio

Giselle – Mathieu Ganio

 

Giselle de Jean Coralli et Jules Perrot) par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Avec Dorothée Gilbert (Giselle), Mathieu Ganio (Albrecht), Vincent Chaillet (Hilarion), Valentine Colasante (Myrtha), Charline Giezendanner et François Alu (pas de deux des paysans), Fanny Gorse et Héloïse Bourdon (deux Wilis). Mardi Le 31 mai 2016. À voir jusqu’au 14 juin.

 

Commentaires (5)

  • Sarah

    Merci pour cette belle chronique qui m’a fait replonger dans cette magnifique soirée ! Je vous rejoins sur tout ce que vous avez dit au sujet de cette distribution, à l’exception peut-être de Valentine Colasante qui ne m’a guère impressionnée en reine des Willis, je l’ai trouvé « lourde » au sein de ce cortège d’esprits. Héloïse Bourdon aurait à mon sens mieux incarné ce rôle. Cela n’a tout de même pas suffi à entamer mon enthousiasme tant tous les autres (Dorothée Gilbert en tête) m’ont charmé et bouleversé.

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  • Marcelin

    J’ai vu la représentation du 31 mai. Pour ce qui est de Dorothée Gilbert je suis absolument d’accord cette danseuse est en train de devenir une grande Etoile son deuxième acte a des moments de pur grâce avec des arabesques sur pointes magique un climat presque religieux par moment, de grande beauté, un premier acte pas encore maitrisé (théatralement j’entends) mais déjà de grande envergure, par contre, et là je sens que je vais recevoir les foudres de tout le fan club mais Mathieu Ganio en Albrecht ne m’a pas du tout convaincu, certes il a l’élégance, le style mais il ne faisait pas corps avec sa partenaire manquant singulièrement de présence dans le 2ème acte alors que sa partenaire proposait des choses de grandes qualités émotionnelles et technique une sorte de caricature de danseur noble condamné à ne danser que ce genre de rôle et qui ne sait pas évoluer, oui Mathieu Ganio est beau, oui Mathieu Ganio a une plastique superbe mais on est loin d’un Hilaire ou d’un Le Riche dans ce rôle qui en plus d’une danse impeccable proposaient un Albrecht vivant, théâtral,émouvant, intelligent, construit mais laissons le temps à Mathieu Ganio d’aimer ce rôle, en tout cas qu’est ce que c’est beau « Giselle » quel chef-d’oeuvre!

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  • aro

    Pour ma part j’ai vu la distribution Albisson/Bullion et grosse grosse déception. Pour ce qui est d’Amandine Albisson, je crois qu’il y’a une malédiction qui pèse sur elle. A chaque fois que je vais la voir, il y a un problème dans sa danse et l’exécution de la chorégraphie ( que ce soit des fouettés ratés ou un déséquilibre flagrant, on dirait qu’elle ne tient pas sur ses pointes ). La complicité dans le couple formé avec Bullion ( que j’adore) pas étincelante non plus, peu d’émotions, etc. Par contre Hannah O’Neil en Myrtha était sublime. Elle fait partie, à mon sens, de la future génération  » star » de l’ODP.
    Pour finir, merci pour ces merveilleux articles que je ne me lasse pas de lire depuis pas mal de temps déjà !

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  • claire

    Représentation du samedi 4 juin :
    une distribution épatante dont : Dorothée Gilbert, Mathieu Ganio, François Alu, Héloïse Boudon…

    Dorothée Gilbert est une merveilleuse Gisele : fragile et souriante comme elle doit l’être au 1er acte, légère et grave au 2ème acte. Quelle belle prestation.
    Le couple avec Matheiu Ganio a été exceptionnel : une belle complicité.
    Des entrechats de Mathieu Ganio époustouflants de prouesse et de légèreté.

    Quand à Héloïse Bourdon, toujours reconnaissable dès qu’elle entre sur scène.
    François Alu, la star montante : une belle technique et toujours un plaisir à danser avec ce petit sourire qui le quitte rarement. Dommage qu’il ne soit revenu recueillir des applaudissements (mérités) en fin de spectacle.

    De l’avis des habitués, et de ceux qui avaient déjà vu plusieurs représentations : une des meilleures représentations.

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  • Casimir

    Comment ne pas regretter d’être loin de Paris après avoir lu une telle chronique qui fait frisonner. L’impression de voir Dorothée Gilbert devant moi à chaque variation évoquée. Le duo Dorothée Gilbert-Mathieu Ganio m’a toujours paru évident sur scène, et sur cette série de Giselle, il semble une fois de plus fait l’unanimité.

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