East Shadow – Jirí Kylián
L’automne à Lyon est marquée par Jirí Kylián, d’abord via son installation Free Fall, ensuite avec le spectacle East Shadow. Le lien entre les deux ? L’interprète Sabine Kupferberg, aux côtés du chorégraphe depuis de si nombreuses années, qui illumine les photos comme la scène. Avec Gary Chryst, elle forme un couple tout ce qu’il y a de plus banal, et qui puise dans cette banalité une luminosité à nulle autre pareille.
Comme Free Fall n’était pas totalement une exposition, East Shadow n’est pas complètement un spectacle de danse. Sur scène, il y a un danseur et une danseuse, mais aussi une pianiste, deux chapeaux, des vidéos et un poème de Samuel Beckett. Le théâtre est restreint, la scène aussi, comme pour mieux cerner l’intimité d’un couple. East Shadow a été créé en hommage aux victimes du tsunami qui ravagea le Japon en 2011. « Deux personnes, un homme et une femme, décident d’emménager dans un appartement […]. Mais par des circonstances surréalistes, cocasses ou tragiques, ils se rendent compte que leur bonheur n’est qu’une idée illusoire […]. Finalement, ils sont emportés par un tremblement de terre et un tsunami – seuls leurs chapeaux subsistent derrière eux – et il ne reste rien d’autre, rien du tout. Ils n’étaient que des gens ordinaires« , explique le chorégraphe. Sombre, Jirí Kylián ? East Shadow dégage pourtant une sorte de sérénité, un apaisement. Comme si l’amour d’un couple, leur complicité, perduraient aussi au-delà des deux chapeaux sur scène.
En entrant sur scène, Sabine Kupferberg et Gary Chryst semblent comme vouloir trouver un abri illusoire entre les quatre murs de cette maison mouvante et surprenante. Ils sont au crépuscule de leur vie, et semblent vouloir échapper à l’inéluctable dans cette cabane. Comme si le monde au-dehors ne pouvait plus les atteindre. Pourtant, la réalité s’infiltre par la fenêtre, suinte par les planches de bois. Mais le couple fait semblant de ne pas le voir, continuant de vivre sa drôle de vie qu’ils pensent être en décalage. Pourtant, rien n’y fait, la réalité les rattrape, eux aussi sont emportés. Mais est-ce si dramatique finalement ? Voilà un couple qui fuit la banalité, mais finalement y trouve son apaisement, son bonheur. L’histoire d’une vie entière partagée à deux, et que l’on est heureux de terminer main dans la main. Tout au contraire d’être sombre, East Shadow est ainsi lumineux d’apaisement, de sourires en coin, de décalages qui n’ont l’air de rien. Sabine Kupferberg et Gary Chryst, qui ont tous les deux plus de 60 ans, ont le geste pur des gens qui sont profondément danseur et danseuse, toute leur vie, malgré les années qui partent. L’émotion naît de rien chez eux, d’un regard en l’air, d’un sourire de connivence, d’un bras qui s’élève. La proximité de la salle n’en rend cet instant de danse que plus intimiste. Comme une parenthèse qui échappe au temps.
East Shadow de Jirí Kylián aux Subsistances. Avec Sabine Kupferberg, Gary Chryst et Tomoko Mukaiyama (pianiste). Mercredi 27 septembre 2017. À voir jusqu’au 29 septembre.