Tanztheater Wuppertal de Pina Bausch – Café Müller et Le Sacre du Printemps aux Arènes de Nîmes
Café Müller et Le Sacre du Printemps sont un peu les tubes du Tanztheater Wuppertal. Deux œuvres emblématiques de Pina Bausch, deux chefs-d’oeuvres, deux pièces créées au début de la carrière de la chorégraphe, et qui disaient déjà tout. L’un est emblématique de la danse-théâtre, l’autre beaucoup plus chorégraphié (ce Sacre est d’ailleurs dansé par le Ballet de l’Opéra de Paris et repris la saison prochaine par l’English National Ballet) et rempli d’une énergie brute. Ces deux ballets sont donnés en juin dans un lieu unique : les Arènes de Nîmes. Une autre façon de redécouvrir ces pièces uniques, et qui porte avec une force spécialement extraordinaire Le Sacre du Printemps.
Mettre l’intimiste Café Müller dans la grande Arènes de Nîmes aurait pu ne pas sembler être une bonne idée. La pièce prend pourtant une autre couleur en plein air, porte encore plus la fragilité de l’être humain que dans le cadre parfois protecteur du théâtre. Avec ses chaises et ses tables noires, Café Müller est une évocation pour Pina Bausch de la brasserie que tenaient ses parents. Et de toute la comédie humaine qui pouvait s’y trouver. Une femme, en longue robe blanche, avance sans voir ce qu’il y a devant elle. Un homme lui écarte à toute vitesse chaises et tables qui pourraient se trouver sur son chemin. Mais les coups, les chutes, ne peuvent pourtant pas évité.e.s.
Un autre homme entre, une autre femme, une vieille dame… Et c’est toute l’humanité, dans ses erreurs, sa drôlerie, sa grande tendresse, son absurdité qui est étalée. Les gestes sont répétitifs, les êtres humains ont tendance à souvent reproduire les mêmes erreurs, à s’obstiner. Il y a sur scène de l’amour, de la solitude, de l’amour pour tromper sa solitude. Sommes-nous sur terre ou dans une sorte de purgatoire, déjà en enfer ? Ce Café Müller a parfois des airs de Huis Clos, avec sa si grande difficulté de vivre en harmonie avec les autres. Mais comme toujours avec Pina, la tendresse qu’elle porte sur les failles des êtres humains l’emporte sur tout.
Le spectacle ne permet pas d’utiliser les Arènes avec un public à 360 degrés. Les gradins sont sur une seule face du théâtre, la scène au milieu entourée des tours de projecteurs. La scénographie de Café Müller ne se prête peut-être pas au mieux à cette configuration, le public est vite gêné s’il n’est pas de face. Pourtant, l’extérieur donne une autre dimension à la pièce. C’est le bruit d’une moto dehors, quelques gouttes de pluie, le son du vent dans les arbres, un chat dans les gradins… Café Müller parle d’abord de la vie, et n’en paraît justement que plus vivant lorsque la pièce est entourée de vie, de ces bruits de la vie quotidienne que l’on pourrait entendre dans cette brasserie. La scène s’étend bien plus qu’à son carré de lumière, les coulisses en deviennent comme une extension, étant visibles au regard du public.
C’est toutefois avec Le Sacre du Printemps que l’idée de donner ce spectacle dans les Arènes prend toute sa dimension. Dans un théâtre, il n’y a pas de doute, nous assistons à un spectacle. Mais dans des ruines romaines, c’est autre chose. Tout démarre dans la pénombre. Le basson entame sa mélodie, les étoiles se sont allumées dans le ciel. Devant nous, une femme est allongée dans la terre. Un couple marche doucement, se tenant par la main pour se donner du courage, les longues pierres des Arènes autour d’eux. Le vent souffle et fait bouger les robes des jeunes femmes. Ce n’est pas un spectacle, c’est véritablement un sacrifice auquel on assiste, et c’est saisissant.
Il faut oublier la danse presque élégante de l’Opéra de Paris (qui a aussi sa beauté dans ce genre d’oeuvre). Le Tanztheater Wuppertal y met ses tripes, toute son énergie, toute sa folie, toute sa brutalité. La terre vole sous les étoiles, le sang semble couler entre les pierres des Arènes, la peur se fait entendre dans chaque souffle. Ce Sacre est d’une violence sans nom. Et la danse finale de l’élue, une morte lente et violente à se révolter. La pièce, pourtant créé dans un théâtre, semble prendre toute sa dimension dans ces ruines qui ont vu d’autres sacrifices. Comme une drôle d’impression de faille temporelle. Et le sentiment qu’il sera difficile de revoir ce Sacre du Printemps d’une si grande beauté dans un théâtre, sans le vent pour faire frémir la robe rouge de l’Élue.
Le Tanztheater Wuppertal de Pina Bausch aux Arènes de Nîmes. Café Müller de Pina Bausch, avec Clémentine Deluy, Helena Pikon, Scott Jennings, Nazareth Panadero, Michael Strecker, Fernando Suels Mendoza et Azusa Seyama. Le Sacre du Printemps de Pina Bausch, avec Pablo Aran Gimeno, Emma Barrowman, Rainer Behr, Andrey Berezin, Damiano Ottavio Bigi, Lea Burkart, Michael Carter, Maria Giovanna Delle Donne, Clémentine Deluy, Çağdaş Ermis, Jonathan Fredrickson, Chang-Wen Hsu, Ditta Miranda Jasjfi, Scott Jennings, Maria Hanna Klemm, Thusnelda Mercy, Safet Mistele, Jan Möllmer, Blanca Noguerol Ramírez, Breanna O´Mara, Jorge Puerta Armenta, Azusa Seyama, Julian Stierle, Michael Strecker, Fernando Suels Mendoza, Charlotte Virgile, Tsai-Wei Tien, Anna Wehsarg, Paul White, Simon Wolant, Ophelia Young, Chih-Ming Yu et Tsai-Chin Yu. Orchestre Les Siècles, direction musicale François-Xavier Roth. Mardi 7 juin 2016.