Espæce d’Aurélien Bory – Dialogue dans l’espace avec Georges Pérec
Créée au Festival d’Avignon l’été dernier, la nouvelle pièce d’Aurélien Bory a fait escale pour quelques jours au 104, qui accueille cette année le Théâtre de la Ville hors les murs. Espæce est son titre, un mot valise compacté d’espace et espèce, référence revendiquée à Georges Pérec, grand magicien des mots devant l’Éternel. Et qui, plus que tout autre écrivain contemporain, a joué avec la langue pour la tordre en libérant son imagination. Son livre Espèces d’espaces a ainsi guidé l’inspiration d’Aurélien Bory. « Vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner », écrivait Georges Pérec dans un superbe aphorisme. Et c’est cette invitation à passer en douceur d’un espace à un autre qui construit le spectacle.
Ils sont cinq interprètes et deux techniciens à s’emparer de ce qui est le personnage central : un grand mur noir sur roulettes qui peut se plier, se déplier en tout sens et former à chaque mouvement un nouvel espace à investir et une frontière à franchir. Tout débute avec le livre, ou plutôt les livres, dans lesquels semblent plonger les artistes. Ils vont alors utiliser ces livres pour former des lettres et construire des mots. Prologue très drôle avant de se lancer à l’assaut des espaces. Les artistes vont durant tout le spectacle beaucoup marcher et franchir les portes de ce mur infernal qui ne cesse de se déformer.
Les corps vont devoir s’y plier au sens propre du terme pour en suivre la trajectoire, passer en dessous ou grimper à son sommet. Le mur se retourne et laisse découvrir une bibliothèque inachevée où sont posés des livres si blancs qu’ils semblent encore à écrire. Il y a comme toujours chez Aurélien Bory ce jeu avec l’équilibre et la pesanteur et la volonté de s’en libérer.
Les interprètes déploient une agilité sans faille pour déjouer les pièges de ce mur-parvavent en mouvement perpétuel et s’installer provisoirement dans ces espaces éphémères toujours en clair-obscur. Aurélien Bory est familier de l’œuvre de Georges Pérec et ce spectacle a germé dans la proximité qu’il entretient avec l’auteur de La vie mode d’emploi. Nul n’est besoin cela dit d’avoir lu ses livres pour apprécier cette mise en espace/espèces. Le propos n’est pas dénotatif ou didactique. De Georges Perec, Aurélien Bory a retenu ce questionnement permanent sur les mots et cette invitation au jeu.
Il y a même un clown blanc qui au beau milieu du spectacle investit la scène avec une logorrhée fantastique, prononcée dans un allemand improbable, un dialogue avec sa mère où il joue tous les rôles. Il y est question d’un départ urgent et l’on suppose de quelle urgence il peut s’agir. Mais ni Aurélien Bory, ni Georges Pérec n’ont le goût du drame et c’est le rire qui l’emporte.
Depuis sa création en Avignon, Espæce continue à investir les théâtres devant des salles combles pour un moment de bonheur partagé. Aurélien Bory s’y entend comme personne pour créer ces scénographies simples et merveilleusement éclairées qui, subitement, se mettent à vivre et à dialoguer avec les artistes. Cette fois-ci, il y ajoute les mots. L’on en ressort en ayant l’envie tenace de relire Georges Pérec. Ce dernier aurait sans aucun doute adoré ce spectacle, monument de poésie.
Espæce d’Aurélien Bory au 104 (Théâtre de la Ville hors les murs). Avec Guilhem Benoit, Mathieu Desseigne Ravel, Katell Le Brenn, Claire Lefilliâtre et Olivier Martin-Salvan. Vendredi 8 décembre 2017. En tournée jusqu’en juin 2018.