Soirée Millepied/Béjart – Ballet de l’Opéra de Paris
Le Ballet de l’Opéra de Paris présente à l’Opéra Bastille un programme de reprises luxueuses : Daphnis et Chloé, pièce créée en 2014 par Benjamin Millepied qui s’apprêtait alors à prendre les rênes de la compagnie, et l’inusable Boléro de Maurice Béjart, tube chorégraphique qui depuis 57 ans, remplit les salles et offre au public ce qui est probablement le plus grand moment de catharsis dans l’histoire du ballet. Le premier souffre d’une interprétation un peu trop sage, si ce n’est la tornade François Alu. Le Boléro reste le mythe qu’il est, porté pour cette reprise par Marie-Agnès Gillot qui va au bout de sa fatigue.
Curieux attelage ! Rien ne rapproche en effet Benjamin Millepied et Maurice Béjart. Le premier a été biberonné à l’école des maitres du New York City Ballet, George Balanchine et surtout Jerome Robbins. Le second a révolutionné la vision de la danse avec le souci constant d’en faire un art populaire, de la sortir des institutions et de l’offrir au plus grand nombre. Tout les oppose d’un point de vue stylistique. Benjamin Millepied s’inscrit résolument dans la tradition néo-classique de l’école américaine. Maurice Béjart n’a pour sa part cessé d’inventer et de réinventer son vocabulaire tout au long d’une carrière qui a laissé quelques pièces majeures.
Ce qui relie en revanche les deux chorégraphes français, c’est le goût et la connaissance de la musique qui constitue le catalyseur de leur travail. Ils sont l’un et l’autre des musiciens accomplis, capables d’analyser en détail une partition pour en rendre les nuances et les traduire dans leur chorégraphie. C’est donc Maurice Ravel qui est le fil rouge de cette soirée sous la baguette somptueuse de Maxime Pascal, qui fait résonner merveilleusement l’orchestre de l’Opéra de Paris dans ce répertoire français. Et cela suffirait presque pour signer la réussite de ces représentations.
Il n’est jamais aisé de reprendre un ballet qui de surcroit avait suscité de fortes attentes. Daphnis et Chloé, dont la première eut lieu le 10 mai 2014, marquait l’arrivée tant attendue de Benjamin Millepied à la direction de la compagnie et dessinait une ambition. Presque un siècle après sa création, le chorégraphe revisitait un ballet russe commandé par Diaghilev selon une formule qui fit recette : réunir un compositeur, un chorégraphe et un artiste plasticien. C’est Daniel Buren en l’occurrence qui dessinait ses premiers décors pour le ballet. On y retrouvait ses fameuses lignes banches et noires, celles des colonnes du jardin du Palais Royal et ces formes géométriques de couleur. Cette scénographie qui a beaucoup d’allure reste aujourd’hui très séduisante.
Le ballet en lui-même résiste moins à cette reprise. Sa composition se révèle inégale, beaucoup plus inspirée dans les pas de deux et les solos que dans les ensembles qui paraissent bien fades. Mathieu Ganio et Dorothée Gilbert dans les rôles-titres sont parmi les danseurs et les danseuses les plus élégants de la compagnie : lignes superbes, technique éprouvée, partenariat impeccable. Mais on regrette quelque chose de trop lisse qui nuit à l’incarnation des personnages. Daphnis et Chloé n’est pas à proprement parler un ballet narratif ; l’argument qui raconte une initiation sentimentale tient en quelques lignes. Mais les deux protagonistes semblent comme distanciés de leur personnage. Il manque cette musicalité exceptionnelle de la création. Benjamin Millepied n’est pas revenu à Paris pour régler ce ballet et son absence se fait cruellement sentir.
Dans le reste de la distribution, Eleonora Abbagnato est tout à fait piquante dans le rôle de Lycénion, offrant un contrepoint bienvenu. Mais c’est François Alu qui casse la baraque, en chef de pirates Bryaxis, ce rôle cousu main qu’il avait créé. Il débarque sur la scène de l’Opéra Bastille comme une tornade. Sauts, tours, manèges s’enchainent à un rythme endiablé. Quelle présence, quel charisme sur scène ! Dès qu’il entre, on ne voit plus que lui, ce qui est la définition par excellence d’une Étoile. Puis arrive aux saluts ce moment gênant où à l’applaudimètre, le Premier danseur vole la vedette à tout le monde. Le public se renouvelle tous les soirs, preuve que cette ferveur ne se cantonne pas au cercle réduit des balletomanes. Après des défections pour blessures, François Alu assure la totalité des représentations et c’est une bonne raison pour arracher une place, les occasions de voir ce danseur n’étant pas si nombreuses. Retarder la carrière de François Alu et ne pas le distribuer dans des rôles qui étaient faits pour lui était une erreur. S’obstiner dans cette voix serait une faute.
Marie-Agnès Gillot a connu ces revers de fortune qui subitement vous éclipsent de l’affiche. À quelques jours de ses adieux, elle remontait pour une dernière série sur la table rouge du Boléro. Elle se devait d’avoir les honneurs de la première. Marie-Agnès Gillot est la seule à avoir collaboré avec Maurice Béjart qui vouait une admiration à cette danseuse complète, complexe, singulière. Elle fera défaut grandement à la compagnie qui ne compte pas dans ses rangs d’artiste aussi accompli. Ses ultimes saluts le 31 mars seront empreints d’une énorme émotion.
On pouvait déjà en prendre la mesure lors de la première de cette reprise du Boléro. Même si Marie-Agnès Gillot paraissait presque pétrifiée par le trac, passant à côté de l’oeuvre. Mais les représentations suivantes ont rectifié le tir. Avec courage, l’Étoile est allée au bout de ses fatigues pour danser ce Boléro. C’est dans les dix premières minutes qu’elle se révèle la plus fascinante, lorsque la chorégraphie de Maurice Béjart joue essentiellement avec le haut du corps. Certes, les parties plus techniques de la fin ne sont pas irréprochables, les sauts sont à peine esquissés mais l’essentiel est ailleurs : Marie-Agnès Gillot va au bout d’elle-même sans tricher avec une générosité sans faille. C’est la marque des grandes. Elle va nous manquer.
Soirée Millepied/Béjart par le Ballet de l’Opéra de Paris à l’Opéra Bastille. Daphnis et Chloé de Benjamin Millepied, avec Dorothée Gilbert (Chloé), Mathieu Ganio (Daphnis), Eléonora Abbagnato (Lycénion), Alessio Carbone (Dorcion) et François Alu (Bryaxis). Le Boléro de Maurice Béjart avec Marie-Agnès Gillot (soliste) Audric Bezard et Vincent Chaillet. Samedi 24 février et jeudi 8 mars 2018. À voir jusqu’au 24 mars.
Sarah
Quelqu’un a-t-il vu les performances de Mathias Heymann ou Amandine Albisson ?
anni
j ai vu mathias et francois alu torse nu dans le boléro….il y a un petit coup de chaud
Josépha
Ne pouvant assister à sa dernière soirée, j’ai fait mes adieux à Marie-Agnès Gillot lors de la première du Boléro, qui était comme vous l’avez dit «pétrifiée par le trac». Mais je ne dirais pas qu’elle est passée à côté de l’oeuvre, le Boléro avait une toute autre émotion : la force émanait des danseurs qui semblaient soutenir la fébrilité de Gillot et leur échange en devenait très émouvant.
Isabelle
Oui, la première fois que j’ai vu Francois Alu, dans un second rôle, être plus applaudi que le danseur étoile qui tenait le premier rôle, j’ai été stupéfaite et un peu gênée (Mathias Heymann très bon dans Roméo et Juliette, du reste…)
N’y a-t-il personne pour rappeler à l’actuelle Directrice de la Danse que c’est le public qui finance l’Opéra, par l’achat de ses places et par ses impôts ?
Léa
Il est établi depuis longtemps que Aurélie Dupont ne nommera pas Alu étoile, pour des raisons qui restent un peu mystérieuses. C’est sans doute une faute, mais il va falloir faire avec. Alu semble « tout donner » histoire de se nourrir des applaudissements (puisqu’il ne lui reste que cela), ou espérant encore que cela changera quelque chose? Mais le public ne vote pas, même par applaudimètre, contrairement aux télé-crochets… Les étoiles qui « subissent » cela savent sans doute mieux que nous à quoi s’en tenir, espérons au moins qu’elles ne le font pas payer à Alu…
Heymann est extraordinaire dans le Boléro, et Amandine Albisson s’y révèle également complètement à sa place. Belle série donc, pour une nouvelle génération dans ce Boléro.
Côté Daphnis et Chloé, c’est la nouvelle étoile Valentine Colasante qui ramène vie et dynamisme dans l’oeuvre, et côté messieurs Marc Moreau, qui, il est vrai, faisait partie des Millepied-boys, se fait remarquer.
Jean Frédéric
Je ne pense pas qu’il soit établi comme vous dites que François Alu ne sera pas nommé Étoile par l’actuelle direction de la danse. Il a 24 ans et tout est encore possible.
Habanita
J’ai du mal à saisir pourquoi « il est établi depuis longtemps qu’Aurélie Dupont ne nommera pas François Alu étoile ». Il est en effet de la même année que Germain Louvet et Hugo Marchand donc encore jeune. Par contre il est effectivement très peu distribué, même si très fortement applaudi par le public quand il a quelque chose à danser. J’ai du mal à croire qu’Alu puisse rester à Paris s’il est définitivement bloqué, si Mathilde Froustey est partie, tout comme Eléonore Guérineau, Vincent Chaillet et d’autres, François Alu n’aura pas trop de mal je pense à se faire recruter ailleurs… ou si?