Les Beaux dormants de Hélène Blackburn – Ballet du Rhin
Qui a dit que les spectacles dits « jeune public » devaient être au rabais ? Le Ballet du Rhin veut au contraire proposer des projets ambitieux pour les plus jeunes. Cette année, place donc à une création, Les Beaux dormants, signée de Hélène Blackburn, une relecture comme son titre l’indique du conte La Belle au bois dormant. Ici, pas une seule belle endormie, mais une douzaine d’interprètes joyeusement perdu.e.s dans les tourments de la puberté, au milieu d’un décor joliment mystérieux qui joue à cache-cache. Si les plus jeunes peuvent être décontenancés, le pari est réussi pour les adolescents et les plus grands, avec cette production ambitieuse mettant en avant aussi bien la virtuosité que la théâtralité de ses interprètes, notamment masculins.
La Belle au bois dormant, comme tous les contes de notre enfance, véhicule un certain nombre de clichés de genre. Preuve en est avec l’introduction des Beaux dormants, soit une vidéo d’une dizaine d’enfants racontant face caméras ce que leur inspirent les mots « Princes » et « Princesses ». « Intelligent » pour le premier, « douce » et « à la peau claire » pour la seconde, même si ces petites têtes blondes ne sont pas dupes sur ces idées reçues. Alors oui, Les Beaux dormants démarre bien par un « Il était une fois », mais le ton est toutefois donné : on ne sera pas dans les clichés.
Le titre donne d’ailleurs l’idée. Le conte original aime endormir une jeune fille pendant sa puberté. Dans l’imaginaire de Hélène Blackburn, adolescents comme adolescentes ont droit à leur période de flottement, d’errances et d’erreurs, d’hormones en ébullition qui figent ou peuvent donner des ailes. Un vrai « rite de passage douloureux« , comme l’explique la chorégraphe. De fait, les premiers échanges amoureux sont difficiles : filles et garçons se cherchent sans se trouver, se trompent de chemins dans ce décors changeants, partent de travers, à l’aveugle. Mais petit à petit, les corps se trouvent cependant, tentent des pas de deux romantiques ou virtuoses, s’échangent, s’essayent le sexe opposé (ou non). Happy end comme un vrai conte de fées ? Chacun ne trouve pas forcément sa moitié, mais la souffrance a laissé place au joyeux sentiment de l’amour, les peurs se sont envolées comme les complexes. Les Beaux et Belles au bois dormant se sont tous et toutes réveillé.e.s. La vraie vie n’est pas comme dans les contes pour enfants, elle n’en reste pas moins irrésistiblement festive, et forcément drôle.
Quant au geste, il met à l’honneur la belle danse néo-classiques et aux pointes. Hélène Blackburn travaille beaucoup sur l’improvisation. Elle guide et dirige les interprètes, choisit au final ce qui lui plaît, mais tout part du geste du.de la danseur.se. Les artistes du Ballet du Rhin ont ainsi su saisir la danse qui les met en valeur, notamment les interprètes masculins, qui se démarquent par leur théâtralité, leur humour comme leur virtuosité. Reste enfin la question de la catégorie de cette création, « jeune public » (puisque c’est bien ainsi qu’elle est présentée). Pas sûr en fait que le jeune public (soit les moins de 12 ans) s’y retrouvent vraiment face à une pièce abstraite où il faut se laisser guider sans attendre une histoire. Les ados apprécieront beaucoup plus, tout comme tout simplement le public adulte, car Les Beaux dormants est aussi une pièce mature et construite avec finesse. Une création qui ne rougirait pas, d’ailleurs, d’une reprise lors d’une soirée mixte « tout public » les prochaines saisons.
Les Beaux dormants de Hélène Blackburn par le Ballet du Rhin au Théâtre de la Sinne à Mulhouse. Jeudi 22 février 2018. À voir du 4 au 6 mai à l’Auditorium de la Cité de la Musique et de la Danse de Strasbourg.