Focus austral au Théâtre de Chaillot – La belle Sydney Dance Company
Après Dancenorth et The New Zealand Dance Company, le second programme du Focus Austral du Théâtre de Chaillot était entièrement consacré la Sydney Dance Company. La troupe présentait trois pièces de trois chorégraphes différent.e.s : l’australienne Gabrielle Nankivell, le taïwanais Cheng Tsung-lung et l’espagnol Rafael Bonachela, directeur de la troupe. Un panorama d’excellence qui révèle les qualités extraordinaires de la compagnie australienne.
Et ce fut un choc frontal ! Un déluge de sensations que produisent les danseuses et danseurs de la Sydney Dance Company. Toutes et tous ont été choisis par Rafael Bonachela en poste depuis 2009. Sélectionné.e.s minutieusement pour leurs qualités athlétiques et artistiques, et capables d’interpréter des chorégraphies exigeantes techniquement qui vont à 1.000 à l’heure. Ils ne sont pourtant pas formatés et viennent d’horizons différents, mais ces artistes ont en commun une soif inextinguible de danser.
Gabrielle Nankivell qui ouvre la soirée, avait participé aux ateliers chorégraphiques que Rafael Bonachela met en place chaque année pour dénicher des chorégraphes australien.ne.s. Enthousiasmé par son travail, il décida de mettre sa pièce au répertoire de la compagnie. Comme une histoire qui se répète puisque la Rambert Company à Londres avait aussitôt mis sur la scène du Sadler’s Wells la première pièce chorégraphiée par Rafael Bonachela lorsqu’il avait 21 ans.
Wildebeest – le gnou en anglais ! – est construit pour huit danseuses et huit danseurs. Et tout d’abord un danseur seul sur scène, à terre et complètement désarticulé comme l’image de cet animal africain qui évoque une créature imaginaire. Il est rejoint très vite par la troupe dans une lumière clair-obscur et une danse composée de roulades, d’arabesques extrêmes, de sauts périlleux. Les ensembles sont dessinés avec un degré de sophistication qui n’est pas sans évoquer le travail de Crystal Pite. La séquence centrale, où se déploie un travail de bras agités frénétiquement mais selon une géométrie implacable, est une parfaite réussite. Wildebeest dégage une énergie majuscule, servie par une troupe dont on pressent qu’elle est capable d’interpréter tous les styles.
Le taïwanais Cheng Tsung-lung propose pour sa part un jeu sur la lumière, celle artificielle de la ville qui « occupe les interstices de mon champ de vision et de mon émotion » écrit-il et celle de la lune, « symbole de la beauté nocturne ». Chorégraphié pour cinq danseuses et trois danseurs, tous singularisés par un costume différent, Full Moon est bâti sur un langage stylistique classique, une scénographie épurée et la musique électronique de son compatriote Lim Giong. Entamée dans la pénombre, la chorégraphie finit en pleine lumière avec un cadre géant descendu des cintres. Encore une fois, la compagnie bluffe par sa perfection technique et son engagement physique.
Mais tout cela n’était finalement qu’un prélude à Lux Tenebris, signé par le directeur de la Sydney Dance Company Rafael Bonachela. Soit 40 minutes de danse non-stop où toute la compagnie est sollicitée pour un ballet qui laisse KO. Sur la partition de l’australien Nick Wales, qui mélange habilement musiques classique et électronique, les 17 danseur.se.s occupent en permanence la scène du Théâtre de Chaillot de cour à jardin. Courses, cavalcades, solos, duos, ensembles : Rafael Bonachela explore sans temps mort toutes les combinaisons. On pressent qu’il a beaucoup vu Jiří Kylián et William Forsythe, l’un et l’autre au répertoire de la compagnie. Sans jamais les copier ou les singer, il s’approprie ce que ces deux maitres ont apporté à la danse contemporaine : les portés audacieux et sensuels de Jiří Kylián, l’art d’utiliser au mieux les hyper extension et la vitesse inventés par William Forsythe. Lux Tenebris est une pièce magistrale, « un peu hardcore » confie Rafael Bonachela qui dispose de tout le matériau chorégraphique pour remplir ces 40 minutes, offrant à ces danseur.se.s des solos façonnés sur-mesure. Il y a une générosité admirable d’une troupe qui jamais ne se ménage.
La salle, pleine à ras bord, s’est levée au rideau final pour applaudir à tout rompre un spectacle et une troupe d’exception. Les bravos se sont poursuivis, refusant de laisser partir ces artistes au talent immense venus de si loin. Rafael Bonachela a promis qu’il reviendrait bientôt. Quelle excellente nouvelle !
La Sydney Dance Company au Théâtre de Chaillot dans le cadre du Focus austral. Wildebeest de Gabrielle Nankivell, Full Moon de Cheng Tsung-lung et Lux Tenebris de Rafael Bonachela. Avec Holly Doyle, Janessa Dufty, Nelson Earl, Cass Mortimer Eipper, Fiona Jopp, Bernhard Knauer, Chloe Leong, Davide Di Giovanni, David Mack, Emily Seymour, Jesse Scales, Todd Sutherland, Petros Treklis, Josephine Weise, Charmene Yap, Chloe Young, Izzac Carroll et Ariella Casu. Vendredi 13 avril 2018.