Finale du deuxième concours de jeunes chorégraphes classiques et néo-classiques
Les grands ors du superbe Grand-Théâtre de Bordeaux accueillaient ce dimanche 27 mai la finale de la deuxième édition du Concours de jeunes chorégraphes classiques et néo-classiques. Une finale remportée à juste titre par la danseuse et chorégraphe biélorusse Ludmilla Komkova, pour sa pièce No One.
Ce concours est un projet né à l’initiative de Thierry Malandain, directeur du Centre Chorégraphique national Ballet Biarritz et sans doute le chorégraphe français qui aura le plus fait pour faire perdurer cet art fragile du ballet classique et néo-classique. Si les scènes étrangères sont depuis quelques années en plein renouveau dans la perpétuation de ce vocabulaire et de ce style, la France, forte pourtant d’une longue tradition, fait figure aujourd’hui de parent pauvre. Si la danse contemporaine fait florès un peu partout dans l’Hexagone et peut se targuer de compter un nombre impressionnant de festivals, la danse classique et néo-classique est le parent pauvre des théâtres français et des Ballets réputés sont aujourd’hui menacés de disparaître.
C’est dire à quel point cette deuxième édition de ce concours était la bienvenue ! Elle a vu la victoire de la biélorusse Ludmilla Komkova pour sa pièce No One, suivie de très près des italiens Mattia Russo et Antionio De Rosa avec Somiglianza. La première pourra confirmer son talent indéniable au Ballet de l’Opéra de Bordeaux pour une pièce qui sera créée la saison prochaine sous la direction de son nouveau directeur Eric Quilleré. Les seconds seront les hôtes de Bruno Bouché au Ballet du Rhin. À leurs côtés, quatre autres finalistes pour un concours qui aura examiné 40 candidatures représentant 16 nationalités, dont 16 femmes et 24 hommes. On n’était pas loin de la parité, ce qui ne fut pas le cas pour la finale où Ludmilla Komkova était confrontés à six chorégraphes masculins.
C’est pourtant la biélorusse qui l’a emporté d’une courte tête ! Victoire méritée et confirmée par l’attribution du Prix des professionnels tant sa pièce fait preuve d’un travail soigné et abouti, aussi bien dans le choix des partitions qui allient Bryan Tyler, Philip Glass et Harry Escott que dans la réalisation des lumières. Sa pièce No One avait été créée l’an dernier pour le Ballet de la Hesse de Wiesbaden où elle est danseuse et a été retravaillée pour satisfaire aux exigences du concours. Ludmilla Komkova, 30 ans, signe là sa deuxième chorégraphie mais fait déjà preuve d’un métier abouti . « No One, dit-elle, a été inspiré par un rêve, celui d’un homme perdu dans un labyrinthe ne parvenant pas à s’en échapper et manipulé par des créatures effrayantes qui sont comme une métaphore de son monde intérieur« . Le résultat est percutant : sur scène, quatre danseurs torses nus et deux danseuses qui enchaînent solos et duos. Chacun et chacune incarnent en dansant une représentation de cet homme selon ses humeurs. Le mouvement est ample avec de longs épisodes au sols, des corps et des visages qui parfois se déforment comme pour figurer en miroir les noirceurs de l’âme. En 14 minutes, Ludmilla Komkova impose un univers singulier, abouti et d’une grande qualité esthétique. C’est de la belle ouvrage et la chorégraphe aura l’occasion de confirmer son talent la saison prochaine avec le Ballet de l’Opéra de Bordeaux.
Pour cette deuxième édition, le Premier Prix était attribué à deux lauréats et c’est le couple d’italiens Mattia Russo et Antonio De Rosa, anciens danseurs de la Compania Nacional de Danza d’Espagne qui partagent le choix du jury avec Somiglianza. Ce fut la pièce la plus originale de cette finale avec un propos truffé de références. Ne serait-ce que par le choix de la musique de Claude Debussy, Prélude à l’après-midi d’un faune et les citations de Nijinski qui nécessairement l’accompagnent. Conçue pour un danseur et quatre danseuses, les deux chorégraphes italiens ont pour ambition, disent-ils, de « réfléchir autour de la création des symboles de la société occidentale et d’interroger le pouvoir des images« . Rien de tout cela ne semblait évident mais dans cette histoire suggérée entre un homme et quatre créatures s’exprime une écriture chorégraphique raffinée qui mérite d’être approfondie. Ce sera chose faite l’an prochain au Ballet du Rhin.
Les quatre autres finalistes n’ont en rien démérité et avaient tous leur place dans cette phase ultime du concours. Reste un problème que tout jeune chorégraphe se doit aujourd’hui de dépasser. William Forsythe, Jiří Kylián et Mats Ek, bien qu’ayant des esthétiques fort différentes, ont saturés l’espace artistique de la danse néo-classique européenne des ces 30 dernières années, opérant une révolution stylistique majeure. Impossible pour un chorégraphe de ne pas subir, parfois à son corps défendant, les influences de ces grands maîtres. Comment les digérer sans les copier ? C’est un défi compliqué et pas toujours bien résolu par les apprentis chorégraphes. Le polonais Richard Bondara est celui que s’en sort le mieux et il obtient le Prix de Biarritz sponsorisé par la Caisse des dépôts et Consignation, également attribué par le Jury et doté de 15.000€. Sa pièce Persona écrite pour une danseuse et deux danseurs qui sont comme des jumeaux s’inspire du psychanalyste Carl Jung et de l’écrivain Witold Gombrowicz, et se veut un questionnement sur l’autonomie des êtres qui sont peut-être condamnés à n’être que le reflet de la société et des autres. Sur la musique d’Arvo Pärt – omniprésent aujourd’hui dans trop de chorégraphies – Richard Bondara développe un art chorégraphique subtil. Le pas de trois final est le moment le plus réussi. Les influences de Jiří Kylián y sont manifestes mais le chorégraphe polonais parvient à développer une esthétique personnelle.
L’unique français parmi les finalistes, Julien Guérin, a eu les faveurs du public qui lui a attribué le Prix doté de 3.000 €. Il est déjà un chorégraphe accompli, créant sa première pièce avec les Ballets de Monte-Carlo en 2008. Il a depuis ajouté d’autres pièces à son répertoire de chorégraphe. Les Labilités Amoureuses, pour quatre danseuses et deux danseurs, est une des deux œuvres sur pointes présentées lors de la finale. Là encore, Julien Guérin s’engage dans une réflexion métaphysique sur les relations interindividuelles dans une société envahie par le virtuel. Il y a plusieurs tableaux très réussis, servis par six interprètes à la belle technique. L’ensemble laisse pourtant un goût de déjà-vu et d’emprunts stylistiques à William Forsythe et Jiří Kylián. On pourrait faire la même remarque au néo-zélandais Graig Davidson qui avec Moments Within, livre une pièce néo-classique trop convenue. Non pas que le chorégraphe manque de savoir-faire pour occuper l’espace. Qu’il utilise la technique des pointes est en soi réjouissant, cela donne lieu à quelques jolis passages en pas de deux. Mais l’ensemble manque toutefois de caractère. On ne peut pas en dire autant de l’italien Marioenrico D’Angelo qui offre au concours sa pièce la plus insolite avec Ao Redor (« Autour » en portugais) sur des chansons portugaises. Les cinq danseuses et danseurs forment une chaîne, s’enroulent et de déplient dans une belle musicalité. Mais on est là presque hors-sujet et la pièce verse davantage sur le versant de la danse contemporaine.
Voila en tout cas une édition réussie et on ne peut que se réjouir que le Ballet du Rhin sous la houlette de Bruno Bouché ait rejoint cette belle aventure. La richesse de la sélection et la vigueur du concours démontrent que la danse classique et néo-classique, loin d’être obsolète, ne cesse d’élargir l’horizon.