[Les Étés de la Danse] Hommage à Jerome Robbins programme 1 – New York City Ballet et Joffrey Ballet
Les Étés de la Danse nous offre un premier programme de luxe pour ce mini-festival consacré à Jerome Robbins, à l’occasion du centenaire de sa naissance. Le New York City Ballet et le Joffrey Ballet de Chicago se partagent l’affiche pour une soirée composée de quatre œuvres majeures du chorégraphe américain : Dances at a Gathering (1969), Interplay (1945), A Suite of Dances (1994) et Glass Pieces (1983). Soit quatre époques différentes dans l’oeuvre de Jerome Robbins qui permettent de faire un beau voyage à travers les multiples facettes du chorégraphes, interprété par des compagnies 100% américaines.
Il faut avant tout saluer cette belle idée des Étés de la Danse qui réussit ce pari un peu fou d’inviter en même temps à Paris cinq grandes compagnies internationales pour montrer l’universalité du style de Jerome Robbins et les nuances dans la manière de l’interpréter. Louer aussi le bel effort de la Seine Musicale qui a pallié les graves défauts constatés lors de l’édition précédente où une scène trop basse privait le public des pieds et du bas de jambe des danseur.se.s. La jauge a également été réduite pour fournir un cadre plus approprié au ballet. Certes, on peut encore regretter le magnifique écrin du Théâtre du Châtelet fermé pour travaux, mais les améliorations apportées rendent la représentation plaisante.
Le programme débute avec le plus long ballet de la soirée et aussi l’un des plus connus de Jerome Robbins. Dances at a Gathering fut la première pièce que le chorégraphe créât lors de son retour au New York City Ballet en 1969, encouragé par George Balanchine. Ce dernier était enthousiaste face au projet de Jerome Robbins : mettre sur scène cinq danseuses et cinq danseurs sur une musique composée de Nocturnes, Préludes, Valses et Mazurkas de Frédéric Chopin, son compositeur préféré. George Balanchine lui suggéra même de rallonger son ballet pour en faire une pièce qui dure toute une heure. 10 artistes sur scène, cinq femmes et cinq hommes et toutes les compositions possibles : à deux, à trois, en solo, avec que des femmes ou que des hommes sans que jamais les dix interprètes ne soient ensemble sur scène, sauf pour le final.
Le style est du pur Jerome Robbins avec ce mélange habile et élégant de vocabulaire classique, de danse moderne et même de mouvements folkloriques totalement assumés en accord avec l’esprit de Chopin. Le New York City Ballet – cela va sans dire ! – brille dans ce répertoire avec lequel tous les artistes ont grandit. C’est la force du NYCB de pouvoir afficher plusieurs distributions de très haute tenue en se payant le luxe d’ offrir au public des Étes de la Danse quatre prises de rôle. Et dans le lot, Anthony Huxley, Principal qui faisait ses débuts dans « En Marron« . Son solo fut un sommet de cette représentation, tout comme son pas de deux sur un rythme d’adage dansé avec Sterling Hyltin aux lignes parfaites : jambes et bras interminables, technique infaillible et musicalité à l’unisson. Aucune compagnie n’interprète cette oeuvre avec autant de naturel que le New York City Ballet. Il y a du début à la fin une fluidité permanente évitant l’écueil de l’exercice de style. Le final est une merveille de délicatesse, lorsque les cinq danseurs saluent leurs cinq partenaires qui leur répondent par une révérence, avant de tous former une ronde puis de se retrouver en couple.
Les artistes du NYCB avaient quitté le public parisien il y a à peine deux ans et leurs visages nous sont encore familiers. En revanche, le Joffrey Ballet, compagnie américaine iconique désormais basée à Chicago, mais qui fut longtemps installée à New York sous la direction de son fondateur Robert Joffrey, est une totale découverte. La troupe fut créée en 1956 et à l’instar du NYCB, elle a inscrit George Balanchine et Jerome Robbins à son répertoire. Elle vient à Paris avec Interplay et c’est une chance de voir cette pièce assez rarement à l’affiche. Jerome Robbins à 26 ans quand il l’écrit et déjà il maîtrise à la perfection l’occupation de l’espace. C’est seulement sa deuxième chorégraphie mais tout son style est là, avec ce désir irrépressible du cross over mélangeant vocabulaire académique et danse urbaine sur une partition de Morton Gould aux intonations résolument jazz. Si l’on ajoute les costumes de couleur dessinés par Santo Loquasto, on est tout proche de l’univers de West Side Story qui viendra douze ans plus tard. Composition pour quatre danseuses et quatre danseurs, le Joffrey Ballet se tire très bien d’affaire bien que nous ne soyons pas dans les mêmes latitudes techniques que le New York City Ballet. Comme souvent dans les pièces jazzy de Jerome Robbins, les danseur.se.s se défient l’un.e l’autre. A ce jeu, Yoshihisa Arai surpasse tout le reste de la distribution par l’ampleur de ses sauts et la perfection de ses tours en l’air.
Certains ballets sont marqués de manière indélébile par leur distribution d’origine et c’est le cas pour A Suite of Dances spécifiquement chorégraphié pour Mikhail Baryshnikov qui souhaitait retravailler avec Jerome Robbins. Il lui propose un long solo de 15 minutes sur la partition des Suites pour violoncelle de Jean Sébastien Bach avec le ou la violoncelliste sur scène comme il aime à le faire. C’est un dialogue permanent entre danse et violoncelle. Il faut beaucoup d’audace et de courage pour reprendre A suite of Dances avec un tel héritage. Joaquín De Luz n’en manque pas. Le danseur espagnol a fait l’essentiel de sa carrière au New York City Ballet où il entra en 1997 et où il fut nommé Principal en 2005. Il fera ses adieux cet automne à New York et c’est un beau cadeau que de voir ce danseur racé dans ce ballet qui exige, on s’en doute, virtuosité et jeu d’acteur. Il faut aussi que cela donne l’impression d’une improvisation. Joaquín De Luz franchit sans encombres les obstacle techniques et offre un charme tout latin à ce ballet. Il sera regretté.
Glass Pieces, dernier chef-d’oeuvre de Jerome Robbins est un tube du répertoire. Le Joffrey Ballet a d’ailleurs grillé la politesse au Ballet de l’Opéra de Paris qui a enfin décidé de le remettre à l’affiche. Le chorégraphe américain est là au sommet de son art et se permet une forme de radicalité qui fait encore fureur aujourd’hui. Le premier tableau où 37 danseurs et danseuses marchent en diagonale d’un pas soutenu de cour à jardin et de jardin à cour sans se regarder est en soi un moment de pure stupéfaction. On sait que les chorégraphes contemporains ont depuis largement usé et abusé de la marche comme élément de chorégraphie mais la création de Jerome Robbins est inégalée. Ils.Elles se frôlent sans cesse sans jamais se toucher dans une sorte de transe urbaine comme un métaphore new-yorkaise. Le Joffrey Ballet n’y est pas indigne mais on est très loin de la perfection formelle du NYCB. Le corps de Ballet est trop inégal, parfois brouillon ou décousu lorsque ce premier tableau exige une rigueur absolue. Les disparités physiques de la compagnie ne sont pas un atout dans Glass Pieces. Mais l’essentiel de l’esprit du ballet est préservé. Le troisième tableau qui met sur scène les danseuses par groupe de six puis les danseuses au rythme de percussions répétitives obsédantes est fort bien exécuté. On retrouve dans l’interprétation du Joffrey Ballet cette tension quasi tribale de la danse. Le succès est au rendez-vous car on ne résiste pas à Glass Pieces. Celles et ceux qui l’auraient raté pourront se rattraper cet automne au Palais Garnier.
Regrettons enfin que le public ne se soit pas déplacé massivement pour ce programme. Il reste encore de très beaux moments de danse avec le second programme de l’hommage à Jerome Robbins, avec le Miami City Ballet, le Ballet de Perm et le Pacific Northwest Ballet. Il serait dommage de les louper !
Premier programme Hommage à Jerome Robbins par le New York City Ballet et le Joffrey Ballet, dans le cadre des Étés de la Danse à la Seine musicale. Dances at A Gathering de Jerome Robbins par le New York City Ballet, avec Sterling Hyltin (en rose), Unity Phelan (en mauve), Zachary Catazaro (en violet), Anthony Huxley (en marron), Lauren King (en bleu), Indiana Woodward (en abricot), Harrison Coll (en bleu), Aaron Sanz (en vert), Maria Kowroski (en vert), Joseph Gordon (en brique) et Susan Walters (piano) ; Interplay de Jerome Robbins par le Joffrey Ballet, avec Cara Marie Gary, Brooke Linford, Alberto Velasquez, Elivelton Tomazi, Amanda Assucena, Christine Rocas, Yoshihisa Arai et Aaron Renteria ; A Suite of Dances de Jerome Robbins par le New York City Ballet, avec Joaquin de Luz et Ann Kim (violoncelle) ; Glass Pieces de Jerome Robbins par le Joffrey Ballet, avec Olivia Duryea et Dylan Gutierrez (deuxièmemouvement). Mardi 26 juin 2018. Les Étés de la Danse continuent jusqu’au 7 juillet, l’hommage à Jerome Robbins jusqu’au 30 juin.