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[Montpellier Danse] Canine Jaunâtre 3 de Marlène Monteiro Freitas – Batsheva Dance Company

La Batsheva Dance Company était de retour à Montpellier Danse pour présenter sa toute dernière création, Canine Jaunâtre 3, réalisée par la chorégraphe originaire du Cap Vert Marlène Monteiro Freitas. Voilà une pièce ambitieuse qui s’étire sur 90 minutes et qui fait basculer la Batsheva dans un univers et un style inédits pour la compagnie, un théâtre de l’absurde loufoque et sévèrement déjanté, nourri d’humour noir et de références. Une sorte de danse macabre débridée tenue de bout en bout.

Canine Jaunâtre 3 de Marlène Monteiro Freitas – Batsheva Dance Company

Cette fois encore, comme pour Tel-Aviv Fever par le Ballet du Capitole et donné à Montpellier Danse les 3 et 4 juillet, les pouvoirs publics ont pris des mesures de sécurité exceptionnelles. Des associations pro-palestiniennes demandent le boycott de toutes les manifestations présentées dans le cadre de l’année France-Israël. Il fallait donc montrer patte blanche pour pénétrer dans le Théâtre de l’Agora où se produisait la Batsheva.

On sait qu‘Ohad Naharin, le directeur de la troupe, a l’esprit partageur. Il avait été séduit par la chorégraphe capverdienne Marlène Monteiro Freitas lorsqu’elle avait présenté il y a deux ans à Jerusalem sa pièce D’ivoire et de chair avec sa propre compagnie. Elle n’avait jamais vu la Batsheva sur scène et c’est à l’occasion de ce voyage qu’elle découvrit la troupe. De ce coup de foudre est née une collaboration sous la forme d’une résidence à Tel-Aviv. Deux ans plus tard, Marlène Monteiro Freitas venait à bout de cette pièce Canine Jaunâtre 3qui a exigé trois mois de répétitions intensives avec la compagnie.

Et on comprend pourquoi ! Voilà un spectacle qui ne ressemble à rien de connu et qui a de quoi dérouter plus d’une personne du public. Les 17 danseur.se.s sont déjà sur scène lorsque l’on pénètre dans le théâtre de l’Agora, formant une ronde et s’encourageant comme en prélude à une performance sportive. Et tout est fait pour nous conduire dans cette direction : les shorts et tee-shirts noirs, les chaussettes et baskets blanches, le tableau lumineux censé afficher les scores entre deux équipes, même un chronomètre qui démarre au début de la représentation. Jusqu’au filet qui bordure l’avant-scène. Pourtant quelque chose ne va pas. Pourquoi ces violets, les mentons grimés en blanc, les repose nuques verts ? Marlène Monteiro Freitas brouille immédiatement  les pistes et ne cesse de le faire durant l’heure et demie de la représentation. Dans ce décor et ses costumes aux fortes connotations sportives, toutes et tous portent le même dossard : le 3. Quand les artistes semblent s’échauffer comme avant une compétition, on s’attend à une confrontation voire un match qui ne viendra jamais. Par groupe de 3, les 17 interprètes sur scène amorcent un défilé débridé, réglé au cordeau, le corps le plus souvent de profil mais le visage face au public. Réalisant ainsi ce qui est bien plus qu’une grimace, une véritable danse du visage qui se déforme et décrit des moues improbables. « Je ne savais pas que j’avais tous ses muscles du cou« , confiait hilare une danseuse après le spectacle.

Canine Jaunâtre 3 de Marlène Monteiro Freitas – Batsheva Dance Company

La bande-son est à l’unisson de ce bal burlesque et hurlant : éclectique et cosmopolite. On y retrouve Chico Buarque,  Salif Keita, Steve Reich, Grace Jones, Nina Simone, Nick Cave, Rihanna, l’adagio de la cinquième Symphonie de Gustav Mahler et une interprétation en direct du tube d’Amy Whinehouse Back to Black. Marlène Monteiro Freitas a même glissé le thème du Lac des Cygnes de Tchaikovsky sur lesquels la Batsheva livre un ballet hilarant et nécessairement décalé. Tout au long du spectacle défile ainsi une galerie de personnages plus frappés les uns que les autres. Et on ne peut qu’admirer le travail de la compagnie mise à rude épreuve pour mémoriser une chorégraphie  qui va souvent dans  tous les sens et qui exige une précision de tous les instants.

Et pourquoi ce titre qui ne laisse pas d’intriguer, Canine Jaunâtre 3 ? La réponse n’est pas dans le spectacle mais dans la note d’intention de Marlène Monteiro Freitas. « C’est comme un beau sourire avec une dent moche, c’est une association d’idées complémentaires mais contradictoires. Le titre est à voir comme une porte d’entrée et non comme un tout « , explique la chorégraphe. Il est en tout cas un stimulant pour entrer dans ce monde baroque.

Faut-il enfin préciser que les artistes de la Batsheva sont exceptionnels ? Aussi brillants et acérés dans le geste que dans le travail d’acteur. Tout n’est pas parfait, il s’en faut. Marlène Monteiro Freitas a tendance à répéter trop longuement une même séquence comme ce moment quasi-enfantin où les 17 danseurs et danseuses se grattent le corps. Ce goût pour la répétition prend parfois une tournure presque anxiogène. Une déception aussi : l’absence d’un final qui serait une apothéose. On attend après 90 minutes au bout desquelles on a été secoué un retournement, une surprise, un contrepied. Il faut se contenter d’un point final qui nous laisse désarmé. Marlène Monteiro Freitas a sans doute voulu nous dire quelque chose, mais quoi ?

Canine Jaunâtre 3 de Marlène Monteiro Freitas – Batsheva Dance Company

 

Canine Jaunâtre 3 de Marlène Monteiro Freitas par Batsheva Dance Company au Théâtre de l’Agora, dans le cadre de Montpellier Danse. Avec Etay Axelrod, Billy Barry, Yael Ben Ezer, Matan Cohen, Ben Green, Hsin-Yi Hsiang, Chunwoong Kim, Rani Lebzelter, Hugo Marmelada, Eri Nakamura, Nitzan Ressler, Yoni (Yonatan) Simon, Kyle Scheurich, Maayan Sheinfeld, Amalia Smith, Imre Van Optsal et Erez Zohar. Jeudi 28 juin 2018. Montpellier Danse continue jusqu’au 7 juillet.

 

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