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[Montpellier Danse] Anne Teresa de Keersmaeker et Phia Menard

Avant le beau final proposé par le Nederlands Dans Theater, Montpellier Danse se terminait par deux spectacles exigeants : la création Mitten wir im Leben sind d’Anne Teresa de Keersmaeker et la performance Contes immoraux / Partie 1 – Maison Mère de Phia Menard. La première approfondissait son travail autour du compositeur Bach pour un résultat aussi lumineux que dépouillé, la danse allant ici à l’essentiel sans s’embarrasser de forme trop envahissantes. La deuxième part sur un dispositif volontairement impressionnant, dont le but reste obscur la plupart du temps mais aux images parfois saisissantes, sur une Europe qui ne cesse de se déconstruire. 

 

Entre Anne Teresa de Keersmaeker et Jean-Sébastien Bach, c’est déjà une longue histoire. La chorégraphe si à l’écoute de la musique aime mêler sa gestuelle en spirale au contrepoint du compositeur. Sa danse comme sa musique ne s’embarrasse pas de superflu, allant à l’essentiel et créant l’émotion de cette simplicité limpide. « Aucun autre compositeur ne délivre cette sensation d’une parfaite rencontre entre abstraction et incarnation« , explique la chorégraphe, ce qui pourrait aussi être la définition de sa façon de faire danser ses interprètes. Pour sa nouvelle pièce Mitten wir im Leben sind, Anne Teresa de Keersmaeker s’attaque aux six suites pour violoncelle de Bach, jouées sur scène par Jean-Guihen Queyras. 

C’est d’ailleurs le violoncelliste qui apparaît comme le point de rassemblement de la pièce. Sur la scène dénudée du superbe théâtre à l’italienne Comédie de Montpellier, il prend place sur son tabouret, changeant de place à chaque suite. Parfois dos au public, parfois au centre, parfois plus en retrait. Sur le sol sont dessinées les spirales chères à Anne Teresa de Keersmaeker, comme une portée pour les cinq interprètes. Chacun.e à leur tour, trois hommes et deux femmes s’emparent d’une des suites, avant de tous et toutes se retrouver sur la sixième, chacun.e mêlant sa phrase chorégraphique à celle des autres. Et rien d’autre que la danse et la musique en scène. C’est de ce dépouillement que naît la force de cette pièce, « c’est une célébration du dépouillement« , explique d’ailleurs la chorégraphe. Comme la musique, la danse sait tout dire avec peu d’effet. Chaque geste va ainsi droit au but, limpide, puissant, entremêlé de courses. Deux heures de danse parfois arides, qui demandent aussi une certaine concentration, mais qui nettoient les yeux comme les esprits, débarrassant de tout superflu. Un geste et une mélodie qui se superposent, s’interrogent, se font face. C’est tout, c’est simple, et c’est lumineux. 

Anne Teresa de Keersmaeker aurait dû être sur scène, mais suite à une blessure, elle a dû être remplacée par son assistante Femke Gyselinck. Cette dernière assume son rôle de cheffe en scène, plaçant les figures entre chaque suite, donnant le tempo, mais restant tout de même assez en retrait dans la danse. C’est ainsi Marie Goudot qui prend la tête des interprètes. Une danseuse à l’allure parfois frêle, parfois sportive, à la présence intense et toujours dans la grande justesse du mouvement.

Un peu plus tôt, Phia Menard proposait dans les locaux du CND une performance ambitieuse. Sa note d’intention frappait fort : « Rien, hormis mon certificat de naissance ne trahit ma migration. Je suis de celles qui se sont autorisées à perdre les pleins pouvoirs pour continuer à vivre. J’ai pris le rôle du faible alors que j’héritais des chromosomes des rois. J’ai choisi d’assumer le rôle de l’opiniâtre qui cherche à faire comprendre la nécessité de repenser le corps comme une matière meuble« . Nous sommes en plein dans les questionnements de notre temps, résumant même assez bien le grand débat sociétal de cette saison. Plus loin qu’une aventure personnelle, Phia Menard voit toutefois plus loin avec sa pièce Contes immoraux / Partie 1 – Maison Mère. Il s’agit aussi d’évoquer l’Europe qui ne cesse de se construire pour mieux s’anéantir. Sur le grand plateau, un immense carton est au sol. Il s’agit d’une maison à monter. Phia Menard déchire minutieusement les bouts de carton inutile, creuse les entailles, monte sa maison patiemment. Puis se saisit d’une scie, la déchire, et laisse le déluge achever de détruire sa maison, assise par terre, regardant l’inéluctable sans rien faire. 

Poser un regard sur cette performance est très compliqué. Parce que disons-le de façon assez prosaïque : voir pendant une heure quelque monter une maison et la détruire, ça n’a pas grand-chose de passionnant. Tout tient dans ce final, cette immense maison en carton qui se déchire sous la pluie et le brouillard, et son architecte qui regarde ça mi-blasée mi-étonnée. Une image qui nous renvoie à cet instinct d’auto-destruction qui semble être le propre de l’être humain. Une heure bien longuette, mais qui interroge. Phia Menard est une artiste qui ne laisse pas indifférent, absolument intègre dans ça démarque artistique. Ses Contes immoraux vont se poursuivre jusqu’en 2019, avec deux autres créations. 

 

Mitten wir im Leben sind d’Anne Teresa de Keersmaeker à l’Opéra Comédie, avec Boštjan Antončič, Femke Gyselinck, Marie Goudot, Julien Monty, Michaël Pomero et Jean-Guihen Queyras. Jeudi 5 juillet 2018. À voir au Festival d’Automne à Paris du 17 au 19 novembre

Contes immoraux / Partie 1 – Maison Mère de et avec Phia Menard à l’Agora. Jeudi 5 juillet 2018. Dans le cadre de Montpellier Danse. 

 

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