[Biennale de la Danse 2018] Franchir la nuit de Rachid Ouramdane
Quelques jours après sa création à Bonlieu Scène nationale d’Annecy, le chorégraphe Rachid Ouramdane a présenté Franchir la nuit à la 18e Biennale de la Danse de Lyon. Habitué à questionner les mouvements de populations, comme il avait choisi de le faire dans sa précédente pièce Tenir le temps, il aborde une thématique fil rouge de son travail : celle des migrations et de l’exil. En plus d’un dispositif scénique ambitieux, le co-directeur du CCN2-Centre chorégraphique national de Grenoble choisit de mettre en scène, aux côtés de cinq danseurs, une vingtaine d’enfants grenoblois et treize mineurs isolés venus d’Afrique ou d’Europe.
Un immense parterre d’eau. Une eau à la fois berceuse grâce au bruit du ressac et déchainement quand elle se fait plus hostile. Franchir la nuit, comme on tente de franchir la barre de vagues. Pour parler du sort des enfants migrants, Rachid Ouramdane a décidé de transformer le plateau en étendue aqueuse sur laquelle il fait évoluer ses danseurs. Déjà en 2012, lors d’une précédente Biennale, son Sfumato traitant des bouleversements de la vie des réfugiés climatiques proposait un dispositif scénique faisant appel à l’élément liquide. « Pour nombre de migrants, la Méditerranée est l’élément avec lequel ils doivent composer. Lieu de passage, possible sésame ou fin de parcours pour ceux qui n’arrivent pas à la franchir. Je traiterai du rapport à cette frontière naturelle en utilisant de l’eau sur scène« . Le résultat est saisissant.
L’ambiance est sombre, limite menaçante. Jamais la noirceur austère de la salle de l’Opéra de Lyon n’est entrée autant en résonnance avec le propos qui se déploie sur scène. Les danseurs se livrent à un corps-à-corps avec cette mer symbolique qui évoque avec poésie celui que se livre chaque jour des milliers de migrants. Une mise en mouvements de la foultitude d’images qui nous arrivent par les médias. Ces danseurs portant à bout de bras ces enfants, ces mains qui se tendent et retombent, ces gestes inspirés de ceux des sauveteurs composent une chorégraphie ancrée dans une réalité qui se joue tout près de nous. Les pros se mêlent aux amateurs pour composer une communauté dansante. On imagine le travail effectué pour que cette alchimie prenne avec autant de grâce.
Des images du vidéaste Mehdi Meddaci viennent par moments interrompre cette épopée. Des échappatoires à ce récit implacable dont on connaît l’issue. Une sorte de rêverie qui plonge le public dans l’imaginaire de ses candidats de l’espoir d’une vie meilleure. Les différents thèmes musicaux portés par la chanteuse Deborah Lennie-Bisson donnent une couleur envoûtante et parfois lancinante à cette épopée. À la fin de la pièce, certains ont touché au but de ce voyage au bout de leur nuit. Les autres ont été engloutis. On ne peut s’empêcher de penser à Aylan, ce jeune enfant retrouvé mort sur une plage turque qui a ému le monde entier. Quand la danse se fait l’écho des turpitudes de notre monde contemporain, sans mièvrerie ni pathos, elle touche assurément en plein cœur. Cette eau devient alors le miroir de nos impuissances.
Franchir la nuit de Rachid Ouramdane à l’Opéra de Lyon, dans le cadre de la Biennale de la Danse. Avec Annie Hanauer, Deborah Lennie-Bisson, Ruben Sanchez, Leandro Villavicencio, Aure Wachter. Et la participation de 20 enfants de l’école Le Verderet de Grenoble et de 13 mineurs isolés, migrants d’Afrique et d’Europe accueillis par le Département de l’Isère. Vendredi 21 septembre 2018. À voir en tournée en 2018 et 2019.