Grito Pelao – Percutantes Rocío Molina et Sílvia Pérez Cruz
Rocío Molina, merveilleusement accompagnée par Sílvia Pérez Cruz, met le feu avec Grito Pelao, un spectacle qui prend tous les risques, conçu à toute allure, voguant sur le désir farouche de maternité. Les deux artistes rejointes sur scène par la mère de Rocío Molina, Lola Cruz, se livrent sans détours sur les secrets intimes et les peurs de l’enfantement. Comme une forme d’autobiographie artistique pour la danseuse de flamenco qui s’est présentée sur la scène du Théâtre de Chaillot enceinte de 7 mois et une semaine !
On aurait pu craindre un gout immodéré pour la performance ou une sorte de défi à son propre corps. Mais il n’en est rien : Rocío Molina ne se livre à aucun exhibitionnisme durant les deux heures de spectacle, mais à une interrogation sincère sur son envie d’enfant quand l’horloge biologique s’est mise en route. Peut-on faire un enfant sans père et sans amour ? Parviendra-t-elle à être à la hauteur de la tâche lorsque sa vie entière ne fut que l’amour de sa propre danse et de son flamenco flamboyant ? Rocío Molina avait étrenné ce spectacle en juillet au Festival d’Avignon. Elle offrait au Théâtre de Chaillot les toutes dernières représentations. Et depuis cet été, son corps – cela va de soi – n’est plus le même. Il a changé de centre de gravité et s’est naturellement épaissi. On pouvait craindre qu’elle soit limitée dans son geste. C’est tout l’inverse. Il semble que l’enfant qu’elle porte, une fille, lui donne un surcroit d’énergie et de vitalité.
Et pour l’accompagner, l’entourer dans ce projet insensé, Rocío Molina a invité Sílvia Pérez Cruz, star du chant flamenco qu’elle associe volontiers au fado et au jazz. C’est elle qui a écrit en grande parité les textes et la musique des chansons du spectacle, d’une infinie poésie aux accents ouvertement surréalistes. Sa voix, puissante, au timbre chaleureux, scande tout le spectacle. Sílvia Pérez Cruz livre aussi son propre souvenir d’accouchement dans un monologue drôle et délicat. Mais elle danse également et offre un corps-à-corps au sol avec Rocío Molina où les deux femmes s’enlacent, s’enroulent et ne font plus qu’une. Et puis il y a la mère de la danseuse. Lola Cruz, fut la première à enseigner à sa fille l’art flamenco. Sa présence bienveillante illumine la scène.
Et Rocío Molina ? Elle parle bien sûr ! Elle nous confie ses doutes, ses bonheurs avec des mots mais surtout avec sa danse. Elle maitrise son corps de bout en bout. Elle peut danser assise, en duo, en solo pour des improvisations ébouriffantes. Son magnétisme est impressionnant : ce petit bout de femme est un volcan sur scène. C’est un spectacle grave mais jamais sérieux. Toujours iconoclaste, Rocío Molina se moque de tout et d’elle-même jusqu’à se travestir en une sorte de gros Bouddha barbu, ventre en avant. Il y a enfin cette scène finale où elle plonge nue dans le bassin placé au milieu de la scène pour une danse amniotique d’une infinie beauté.
Ce spectacle, par essence éphémère est merveilleusement servi par Carlos Marquerie, qui co-signe la direction artistique, et Antonio Serrano qui a réalisé les décors. Sur scène, quatre musiciens contribuent à faire de Grito Pelao un spectacle total dans lequel on s’immerge avec un étonnement et un ravissement de tous les instants. Comme un petit miracle !
Grito Pelao de Rocío Molina au Théâtre de Chaillot. Avec Rocío Molina (danse), Sílvia Pérez Cruz (voix), Lola Cruz (danse), Eduardo Trassierra (guitare), Carlos Montfort (violon), Jose Manuel Ramos « Oruco » (compas) et Carlos Garate (musique électronique). Mardi 9 octobre 2018.