TOP

Ballet Preljocaj Junior – Un Sacre, des Printemps d’Arthur Perole

Un Sacre, des Printemps : c’est le titre fort de promesses choisi par Arthur Perole pour sa création destinée au Ballet Preljjocaj Junior, présenté dans la salle du Pavillon Noir d’Aix-en-Provence. Le chorégraphe a voulu s’emparer d’une oeuvre iconique du répertoire musical et chorégraphique et la faire dialoguer avec le monde d’aujourd’hui, celui qu’habitent les 12 jeunes danseuses et danseurs de cette promotion. Mais il s’écarte du livret initial, renonçant au sacrifice rituel d’une jeune fille en hommage au Printemps, au profit d’une ode collective tout à la fois joyeuse et anxieuse dans une période où l’avenir de la planète apparaît menacé. Entre transe, voguing et geste contemporain, Arthur Perole offre une versionmoderne et inquiète du Sacre du Printemps, magnifiée par l’énergie et l’excellence du Ballet Preljocaj Junior.     

Un Sacre, des Printemps – Arthur Perole

Ils sont douze, six garçons et six filles venus de toute l’Europe. C’est une des conditions pour intégrer une promotion du Ballet Preljocaj Junior réservé aux jeunes artistes entre 18 et 21 ans. On imagine que le seul nom d’Angelin Preljocaj attire comme un aimant toutes celles et tous ceux qui veulent faire de la danse leur métier.  De fait, il y avait 130 candidates et candidats postulants pour intégrer ce millésime. Douze seulement pouvaient être retenus : « C’est déjà beaucoup plus facile pour organiser le travail car auparavant, on était limité à six« , explique Guillaume Siard, responsable artistique du Ballet Preljocaj Junior. À douze, il est possible d’envisager des créations plus ambitieuses et de reprendre plus facilement des œuvres au répertoire de la compagnie Preljocaj. Cette année, le choix s’est porté sur Personne n’épouse les méduses, une pièce créée en 1999, à une date où aucun des membres de cette jeune troupe éphémère n’était né !

Le point d’orgue de cette formation exigeante et prestigieuse s’écrit autour d’une création confiée à Arthur Perole. Le chorégraphe n’est nullement étranger au vocabulaire d’Angelin Preljocaj. Il avait en particulier dansé Les Noces lorsqu’il était étudiant au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Non sans un certain culot, il a jeté son dévolu pour ce travail sur Le Sacre du Printemps, l’une des partitions les plus fortes du répertoire qui a marqué au fer rouge aussi bien l’histoire de la musique que celle de la danse. Ce n’est pas choisir la facilité mais Arthur Perole s’en sort avec les honneurs. Très habilement, il déplace les lignes.

La légende russe sur le sacrifice païen pour célébrer le Printemps a fait son temps. Elle a produit quelques chefs-d’œuvre qui continuent à vivre leurs vies. Mais elle semble aujourd’hui obsolète. Parler de la terre, de la nature, du cycle des saisons ne peut plus se faire sans références aux périls qui nous menacent et obèrent l’avenir. Il s’agit moins désormais de s’extasier sur l’avènement de la saison des renouveaux que de s’interroger sur son devenir et celle de la planète. C’est la problématique au centre d’Un Sacre, des Printemps. Combien pourrons-nous encore en vivre ? Sont-ils voués à disparaître, emportés dans le tourbillon angoissant du réchauffement climatique qui dérègle les cycles de la nature et affolent la saison ? 

Un Sacre, des Printemps – Arthur Perole

Arthur Perole plante le décor sans ostentation mais avec clarté : chaque danseuse, chaque danseur affiche une note vestimentaire verte. C’est presque un camaïeu de douze nuances de vert ! Assis, nonchalants, la troupe nous attend lorsque le public entre dans la salle avant que ne résonnent les premières mesures du Sacre d’Igor Stravinsky, dans la version de Teodor Currentzis. Introduction en douceur comme on apprend à se connaître sur les premières mesures lentes. Mais le groupe se retrouve au centre, compact pour le second mouvement qui s’ouvre sur les irrésistibles syncopes des Augures Printaniers. Serrés les uns contre les autres, face au public, le mouvement se fait organique telle une vague qui ne cesserait de se transformer. C’est avec les bras levés et tendus que se scande la chorégraphie. Les visages se déforment, grimacent, exprimant tour à tour effroi ou révolte. Arthur Perole fait le choix séduisant d’une lenteur extrême, d’un récit déployé au ralenti et d’un expressionnisme assumé. Le chorégraphe fait un clin d’œil à la danse-théâtre en accentuant l’expressivité des visages à travers lesquels passent les sensations multiples et complexes du groupe.

S’il n’y a pas de sacrifice ritualisé, Un Sacre, des Printemps n’en est pas moins sanglant : un danseur s’écroule au sol, inerte, anéanti, alors que ses compagnons le pleurent. La Terre d’aujourd’hui ou celle de demain pourrait réclamer son lot de victimes. À la sidération initiale et incontournable de la première partie succède un récit plus actuel, entre revendication et révolte collective pour s’achever dans une transe commune, scandée par les battements de pieds, geste qui laisse pénétrer quelques notes d’optimisme. Ces transitions dans le récit sont soutenues  avec finesse par la musique électronique additionnelle conçue par Benoît Martin.

Arthur Perole a pu compter sur l’engagement sans failles et le talent majuscule des douze danseuses et danseurs de cette promotion 2022 du Ballet Preljocaj Junior. Les auditions pour la saison suivante viennent tout juste de s’achever et Angelin Preljocaj confiait qu’il était bluffé par le niveau technique. Il y a assurément une relève de qualité dans les jeunes générations et toujours un bel appétit pour la danse et la scène.

Un Sacre, des Printemps – Arthur Pérole

Un Sacre, des Printemps d’Arthur Perole par le Ballet Preljocaj Junior, avec Emma Camara Villalba, César Lopez Castillo, Marianne Colas, Catarina Gonçalves, Paul-David Goto, Eva Gregoire, Louis Amoureux, Max Pelillo, Alary Ravin, Romain Renaud, Mariana Vieira et Emilie Wiesner. Mercredi 12 avril 2023 au Pavillon Noir d’Aix-en Provence.

 



Post a Comment