Charline Giezendanner, Laura Hecquet, Florian Magnenet et Marc Moreau rafraîchissent La Source
Sujets et Premiers danseurs — bourgeons en éclosion de l’Opéra de Paris — ont rafraîchi La Source au Palais Garnier. Dans ce très beau ballet floral, minéral, aérien et… par définition aquatique, Charline Giezendanner, Laura Hecquet , Marc Moreau et Florian Magnenet ont apporté une grâce et une légèreté qui vivifient le thème à l’honneur : la Nature. Certes, les portés étaient un brin chancelants, la fluidité était parfois saccadée et certaines positions manquaient d’aplomb, mais cette fragilité a renforcé la dimension émouvante de La Source.
Délicieuse danseuse avec une identité bien à elle, Charline Giezendanner illumine le ballet. Un visage d’enfant, un sourire mutin, une bonhommie communicative : elle porte en elle quelque chose d’infiniment primesautier. Voilà le style Giezendanner. Elle a composé une ravissante Fée canari dans La Belle au bois dormant l’hiver dernier. Son Olga dans Eugène Onéguine était une adorable jeune sotte. Cet été, elle a presque éclipsé ses comparses dans les variations florales de Jerome Robbins. Tout la prédisposait donc à incarner l’esprit de la Source. La bienveillante fée Naïla qu’elle incarne est fraîche comme la rosée du matin, avec cette once d’espièglerie qui rend ce personnage attachant et intéressant. Qui plus est, elle a aussi su montrer un jeu nuancé dans le dernier tableau, adoptant une expression tragique troublante sur un visage si juvénile.
A ses côtés, Florian Magnenet – mignonnet – interprète un jeune niais que l’on devine ignorant des choses de la vie. Le chasseur Djémil est un trait d’union entre le monde des êtres surnaturels (invitation à la contemplation) et le monde cruel des êtres terrestres teinté d’orientalisme (sous les traits de méchants Caucasiens). Si le Djémil de Karl Paquette le soir de la première était un blondin lunaire à l’air pensif, celui de Florian Magnenet a l’œil vif et le visage béat. Ce danseur au physique avantageux est un peu notre Roberto Bolle français : un beau garçon doublé d’un honnête technicien. Fort heureusement, l’innocence qui émane de son duo avec la cristalline Charline Giezendanner a donné un nouveau souffle au ballet traditionnellement interprété par des danseurs plus gradés. Les faiblesses se muent en force : ils sont tous deux ravissants et l’on se laisse emporter dans leur bulle poétique pour une Source enivrante.
Dans la peau de l’elfe Zaël, Marc Moreau – monté sur ressorts – pétille et scintille à souhait. Son mérite est d’autant plus grand qu’il a perdu deux elfes ce soir-là. La fatigue est perceptible dans les jambes des danseurs qui doivent exécuter une chorégraphie virtuose mais le charme opère malgré tout. La musique sémillante, toujours joliment interprétée par l’Orchestre Colonne, qui accompagne l’entrée de Zaël sur scène est un écrin de choix pour l’énergie contagieuse qui irrigue sa danse.
Alors, que nous conte cette distribution ? Les jeunes danseurs des scènes perchées dans les cimes du Caucase personnifient une Nature frémissante et altérable. Le contraste avec les tableaux d’un Orient vicié en est d’autant plus frappant. Dans cette cour vipérine aux couleurs vives, l’ingénue Naïla apparaît de prime abord comme « une enfant malhabile aux roueries féminines« . Mais tout n’est pas si tranché et l’ambiguïté émerge. En effet, Charline Giezendanner offre son visage tantôt angélique tantôt malicieux à l’éthéré esprit de la Source. A un tel point que lors de son pas de deux avec le Khan, transi d’amour pour elle, la question se pose : Naïla serait-elle une « coquette« comme son Olga dans Eugène Onéguine, une jeune femme se laissant courtiser sans vouloir en assumer les conséquences ?
Plus explicite dans ses intentions impures : Héloïse Bourdon qui campe une Dadjé (tape-à-l’oeil favorite du Khan) solaire mais aussi un peu trop scolaire. Il lui manque encore cette férocité, cette sensualité animale, ce charme vénéneux qui caractérisent les femmes de cette trempe. Pourtant, sa danse fine et élégante au dernier Concours de promotion laisse présager un avenir prometteur.
La moins verte des jeunes pousses, Laura Hecquet (promue Première danseuse à compter de 2015) est dotée de bras à la fluidité admirable, expressifs jusqu’au bout des doigts. Moins habitée que Laëtitia Pujol et moins sensuelle qu’Eve Grinzstajn, elle jouit d’une assurance technique et scénique plus marquée que ses camarades de jeu ce soir-là. Mais sa Nouredda, Caucasienne surprotégée par un grand frère aux airs de proxénète et conduite vers un mariage arrangé avec le Khan, navigue entre deux-eaux. Dès son apparition, elle incarne sans grande inspiration « les rêveries d’une promeneuse solitaire« , conformément aux souhaits du chorégraphe Jean-Guillaume Bart qui a aiguillé toutes les interprètes du rôle vers ce cap. Dans le deuxième acte, elle instille cependant plus de profondeur à son personnage de femme blessée. Somme toute rien de particulier n’émane de son interprétation, digne d’une satisfaisante Première danseuse mais encore éloignée des exigences d’une Étoile.
En sortant d’une longue et douce rêverie, en me voyant entouré de verdure, de fleurs, d’oiseaux et laissant errer mes yeux au loin sur les romanesques rivages qui bordaient une vaste étendue d’eau claire et cristalline, j’assimilais à mes fictions tous ces aimables objets, et me trouvant enfin ramené par degrés à moi-même et à ce qui m’entourait, je ne pouvais marquer le point de séparation des fictions aux réalités, tant tout concourait également à me rendre chère la vie recueillie et solitaire que je menais dans ce beau séjour. Que ne peut-elle renaître encore ! Les rêveries du promeneur solitaire, Jean-Jacques Rousseau
Au final, La Source reste un délicieux enchantement avec juste ce qu’il faut de féérie pour accompagner les fêtes de fin d’année, sans verser dans la niaiserie sirupeuse d’une mauvaise production de Casse-Noisette. Les différentes distributions de ce brillant ballet, savant dosage d’Étoiles confirmées et d’Étoiles en herbe, ont nourri La Source d’influences multiples sans en dénaturer l’argument. Le répertoire de l’Opéra national de Paris gagnerait à être enrichi de cette veine classique contemporaine qui rehausse par ailleurs l’excellence de l’École de danse française.
La Source de Jean-Guillaume Bart, par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Avec Charline Giezendanner (Naïla), Florian Magnenet (Djémil), Laura Hecquet (Nouredda), Marc Moreau (Zaël) et Héloïse Bourdon (Dadjé). Mercredi 17 décembre 2014.
alena
Eh bien, personnellement j’ai bien aimé la Nouredda de Laura Hecquet que j’ai trouvée oscillant justement entre le dédain d’une jeune biche snobe (ce qui va bien au rôle, tout de même) et la faillibilité d’un être qui sait qu’il ne peut être que cela… En revanche, je n’ai rien vu en Florian Magnenet (peut-être l’amphithéâtre est-il trop haut?) et j’ai adoré la source de Charline Gizendanner qui était une vraie métaphore de la liquidité, de la nature (comme vous le dîtes et comme JG Bart y tient), et presque de la libellule. (Pour ma part j’ai vu un Zaël / Axel Ibot que j’ai bcp aimé)
Jade
J’avais vu – plusieurs fois d’ailleurs – Laetitia Pujol dans le rôle de Nouredda et cela a forgé ma représentation du personnage. Bien sûr, il ne s’agit pas de la même expérience, Laura Hecquet n’a que 30 ans, sort d’une longue impasse chez les sujets, alors que son aînée est une étoile confirmée plus proche de la retraite, mère de deux enfants, ce qui se ressent sur scène. J’ai apprécié sa prise de rôle, sans plus, mais je me réjouis que d’autres spectateurs l’aient aimée davantage. Pour le mignonnet Magnenet, je ne suis pas surprise que vous n’ayez rien vu de particulier, peut-être un danseur qui exécute bien les pas, à défaut de remarquer la joliesse de son visage (à cause de la distance) ?