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[Chronique] La Sylphide, Evgenia Obraztsova/Mathias Heymann

La Sylphide de Pierre Lacotte par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Avec Evgenia Obraztsova (la Sylphide), Mathias Heymann (James), Mélanie Hurel (Effie), Stéphane Phavorin (la Sorcière), Alexandre Gasse (Gurn), Muriel Zusperreguy et Emmanuel Thibault (les Écossais). Vendredi 28 juin 2013.

La-Sylphide_Mathias-Heymann_Evgenia_Obraztsova

Evgenia Obraztsova est de celle des Grandes. Elle est, à elle seule, une leçon de pureté de la danse et de style. Chacun de ses mouvements de poignets, chacun de ses dégagés, est d’une grâce absolue et d’une totale musicalité. Elle danse, la salle s’éclaire. C’est une pure ballerine, la représentation exacte – en encore plus belle – de l’image que l’on a d’une ballerine.

Au-delà de sa technique et de sa si belle danse, Evgenia Obraztsova est une Sylphide on ne peut plus exquise. Loin des clichés, son personnage a de multiples facettes, à la fois nymphe des bois un peu naïve, être de l’air immatériel, femme enjôleuse et esprit diabolique. Sa Sylphide est avant tout une femme qui aime séduire. Le premier acte est ainsi une petite leçon de torture du pauvre James, pourtant visiblement amoureux de sa fiancée Effie. Evgenia Obraztsova semble presque effrayante quand elle apparaît et disparaît dans la maison, se jouant des êtres humains. Mais elle est aussi une petite fille mutine, qui aime jouer à cache-cache et à Attrape-moi si tu peux, un être qui ne se rend pas compte de ses actes, un esprit qui a du mal à comprendre les humains aussi. La Sylphide est mi-ange mi-démon, mi-femme mi-être immatériel. Ces différents visages varient au fur et à mesure du ballet, jusqu’à cette mort cruelle, où la Sylphide semble à peine comprendre ce qui lui arrive.

La-Sylphide_Mathias-Heymann_Evgenia-Obraztsova

À ses côtés, Mathias Heymann apparaît comme un jeune fou-fou, mais plus complexe là aussi qu’il n’y paraît. Le jeu théâtral n’était pas forcément le fort de l’Étoile avant sa blessure, il a su ce soir camper un personnage crédible. Sincèrement épris d’Effie, il rêve secrètement d’une vie plus surprenante. L’apparition de la Sylphide est pour lui plus la promesse d’un monde enchanteur, magique, surprenant, qu’une véritable histoire d’amour. Il est d’ailleurs charmé par la Sylphide, il n’en est pas forcément amoureux. En grande forme, Mathias Heymann montre lui aussi toute la beauté de cette école de danse, même si – retour sur scène récent ? – il semble marquer une toute petite crispation au moment de démarrer ses variations. Variations magnifiques, mais cette minuscule hésitation coupe ces moments de bravoure du fil du ballet.

Musicale, précise, Mélanie Hurel campe une Effie convaincante. Alors que la Sylphide est la fille de l’air, elle joue la fille de la terre, la réalité, le monde réel.

L’association de ces trois artistes, si bien dans leur personnage, atteint son plus beau moment lors du pas de trois. Il y a la magie, la réalité, et James au milieu qui hésite. Ce pas de trois est la clé du ballet, son point culminant, à la fois mystérieux et infiniment touchant. Le deuxième acte fait place aux Sylphides. Difficile de ne pas s’émerveiller face à ces êtres volants (véritablement), ce corps de ballet délicieux et parfaitement en place, cette leçon de style, de danse et de romantisme. James, voulant garder pour lui cette Sylphide qui s’envole un peu trop souvent, lui offre un voile – donné par la sorcière – qui lui coupera les ailes. Mais en perdant ses ailes, elle y perd aussi la vie.

Pourtant, malgré ce cast magique, malgré la grâce d’Evgenia Obraztsova, malgré cette pure beauté de la danse, cette Sylphide a du mal à ne pas ennuyer. Cette version de Pierre Lacotte est une leçon d’école, c’est là où elle est magnifique. Mais elle n’est trop souvent que ça, une leçon de style. L’histoire en elle-même a finalement très peu de place au milieu de ces deux heures – un peu de pantomime au début du premier acte, le fameux pas de trois, la sorcière (excellent Stéphane Phavorin) et la mort de la Sylphide. Difficile ainsi de s’attacher aux personnages, de s’intéresser à ce qui leur arrive, même d’être ému-e face à la mort de la Sylphide, pourtant si joliment interprétée. Difficile de frémir réellement, comme peut le faire Giselle par exemple. C’est extrêmement beau, mais c’est presque trop, et je n’étais pas loin d’être en overdose de petits pieds tendus, de bustes délicatement penchés et de doigts finement posés sous le menton.

La-Sylphide

Le style, justement, est aussi quelque chose auquel on doit s’habiter. Cette façon de danser, la pure représentation de la danse romantique, ne se voit finalement que dans ce ballet. Il faut donc le temps à l’oeil et à l’esprit de s’y faire, qui, pour la première fois, a du mal à voir autre chose qu’une oeuvre un peu muséale. C’était donc une soirée paradoxale. J’ai rarement vu quelque chose d’aussi beau sur scène, ce qui ne m’a pas empêché de regarder ma montre un peu trop souvent.

Commentaires (6)

  • Sissi

    Vous avez parfaitement bien résumé mon sentiment. La première fois que j’ai vu la Sylphide (version Bournonville) j’ai vraiment été déçue car la danse romantique n’est pas facile à apprécier, parfois trop c’est trop ! Du coup cette fois-ci je savais à quoi m’attendre et cette version de Lacotte me plaît nettement plus (beaucoup plus de danse) et les interprètes magnifiques ont permis de passer une très bonne soirée. Je suis ravie d’avoir vu la Sylphide mais ce n’est pas le style de ballet que je rêve de voir très souvent !

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  • Estelle

    Je me retrouve dans votre article ! ce qui me bloque le plus dans le romantisme exacerbé de ce ballet ? Les costumes des sylphides. J’ai beaucoup de mal avec le coté froufrouteux et fleuri…

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  • Thibaud

    Je suis tout à fait d’accord avec votre analyse finale. Je suis allé à la représentation de lundi 1er juillet avec Ludmila Pagliero et Florian Magnenet. C’est très beau, très esthétique mais quelquefois un peu redondant et ennuyeux. J’ai vu qu’Aurélie Dupont ne faisait plus partie de la distribution …

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  • maeva

    C’est vraiment la débandade totale ! mais où sont passées nos belles danseuse Dupont, Ould Braham, Dorothé, Bourdon, disparues des distributions ? Quant à ceux qui restent, alors là, je sors d’une représentation que je préfère OUBLIER . C’est terrible, heureusement que je n’ai pas payé trop cher ma place, je file vendre celles qui me restent je ne crois pas du tout aux miracles.

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      • Merci pour cette belle analyse. J’ai eu la chance de voir cette distribution le 28 juin, et j’ai trouvé les deux danseurs exceptionnels, en particulier Evgenia Obratztsova. Ils m’ont fait presque oublier Ghislaine Thesmar / Mickaël Denard, le couple qui avait créé ce ballet à la télévision, en 1972. C’est le premier ballet que j’ai vu intégralement (lors de cette fameuse diffusion télé, donnée pour fêter l’arrivée de la couleur !) , et j’ai sans doute à cause de cela une tendresse toute particulière pour lui. Evidemment, Lacotte a choisi de respecter le maniérisme du style 1830, mais malgré ce côté « pièce de musée », je trouve pour ma part que l’émotion reste présente.
        Et cette représentation de juin 2013 était pour moi très chargée d’émotion aussi parce que je venais de terminer la rédaction d’un roman pour ados qui l’évoque largement et qui vient de sortir il y a quelques jours (« Les ailes de la Sylphide », éditions Thierry Magnier) Peut-être aurez-vous envie de le lire, même s’il s’adresse en principe plutôt aux ados ?
        A bientôt en tout cas sur ce blog pour lire vos compte-rendus de spectacles, toujours très pointus !

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