Corps d’enfants VS corps d’adultes
Mercredi 12 octobre. Enfant de Boris Charmatz, au Théâtre de la Ville. Avec neuf danseurs et danseuses et un groupe d’une vingtaine d’enfants.
Sur le papier, Enfant a tout du succès de la pièce contemporaine : un enthousiasme au Festival d’Avignon, une ovation Théâtre de la Ville. Et le premier spectateur qui s’en va au bout d’1/4 d’heure, sinon, c’est pas drôle.
Je m’attendais à la prise de possession de la scène par des gamins, redécouvrir la facilité que l’on a à bouger avant l’adolescence. A 12 ans, j’ai passé plusieurs étapes d’une audition pour un opéra. On nous demandait d’improviser, de faire des jeux de rôles, et j’avais adoré ça. A 13 ans 1/2, mon chœur avait participé à une comédie musicale, à l’amphi Bastille. Re-improvisations, re-jeux de rôles. Sauf que ce fut cette fois-ci beaucoup plus dur, les dix premières séances de travail furent une véritable torture. Retrouver cette facilité, sans a priori, ça laisse rêveur…
Enfant de Boris Charmatz, c’est tout sauf ça. L’enfant redevient un corps sans cerveau. Si j’ai bien compris le propos du chorégraphe longuement expliqué dans le dossier presse, j’y ai vu sur scène exactement l’inverse.
Le début est assez étrange. Toutes les coulisses sont relevées, et deux hommes se font balader par des machines. De vrais corps inertes, ce n’est pas si fréquent. Même dans notre sommeil, nous bougeons et réagissons. Eux, ils se laissent vraiment promener, attacher par un pied. Morts ? Nous sommes dans une vision classique du monde fini du futur : les humains vaincus par les Machines. Je m’attends donc à voir déferler une bande de gamins qui vont prendre possession des lieux, maintenant que les adultes sont partis.
Mais c’est l’inverse qui se passe. Les adultes arrivent un enfant inerte sous le bras. Et pendant un très long moment, ils vont jouer avec ces corps. Les enfants se laissent manipuler, véritablement sans résistance, yeux fermés. Chaque adulte ausculte son petit, le tord, teste ses capacités physiques, roule sur le sol avec lui, marche sur ses fesses.
Boris Charmatz voulait montrer que oui, on peut encore toujours toucher un enfant malgré notre société aseptisée. Et bien non. Je ne parle pas des rapports d’amour familial, d’amitié, mais d’un corps d’adulte en aussi grande promiscuité avec un corps d’enfant. Non seulement ils ne dégagent pas la même chose, mais un regard de grand sur le corps n’est pas le même que celui d’un enfant. Peut-être est-ce moi qui suis trop biberonnée au tabou pédophile, mais cette longue séquence m’a mise extrêmement mal à l’aise, d’autant plus que je n’avais pas l’impression que les enfants se rendaient compte du regard des adultes, qui n’est pas le même qu’eux.
Un autre malais est venu se rajouter, celui d’utiliser des corps inertes par des corps pensants. Un-e danseur-se-s, ce n’est pas un corps au service du chorégraphe. C’est un cerveau, qui se sert de son corps pour traduire les désirs du-de la créateu-rice. En faisant de ces enfants des objets, qui se laissent manipuler sans réfléchir, Boris Charmatz propose ainsi une certaine négation de la danse. Une impression d’autant plus forte que l’idée qu’un enfant est une personne à part entière n’est pas si nouvelle que ça, et que cette chorégraphie n’est finalement qu’un retour en arrière.
Heureusement, les enfants se réveillent petit à petit. Et après quelques échanges avec les adultes, ils se mettent à prendre le pouvoir. Ce sont eux maintenant qui manipulent les corps inertes des grands. Sauf que la prise de pouvoir est fausse. Même à trois, ils ne peuvent bouger une grande personne comme un adulte. Et surtout, les neuf danseur-se-s opposent une curieuse résistante. Inconsciente, j’en suis sûre, mais leurs corps n’est pas en total abandon comme l’étaient ceux des petits. Il y a une infime pression, une minuscule retenue, qui empêchent les gamins de véritablement prendre possession d’eux.
Une fois les lumières rallumée, un garçon d’une dizaine d’année lance un circonspecte « Il est bizarre ce spectacle« . J’aurais bien aimé allé parler à ses congénères sur scène, pour comprendre quel est leur regard sur ce spectacle. Qui est à mon avis très différent de celui du public.
Alice
J’ai eu vent de ce spectacle bien sûr et ça ne m’interpellait pas outre mesure. Et là…ça me dit encore moins. Moi aussi j’aimerais bien connaître l’avis des enfants.