La Dame aux camélias – la tragédienne Isabelle Ciaravola
Isabelle Ciaravola est souvent qualifiée de tragédienne. Que veut dire « tragédienne » ? Au-delà du simple fait de jouer une tragédie, je vois ça tout personnellement (peut-être n’est-ce pas la bonne définition, mais qu’importe) comme quelqu’un qui porte la tragédie tout au long de son rôle. Dans le sens où la tragédienne fait planer le funèbre, l’inquiétant, l’inéluctable sur son personnage, jusque dans les grands moments de joie.
La Marguerite d’Isabelle Ciaravola, personnage principal de La Dame aux camélias de John Neumeier, dansé en ce moment par le Ballet de l’Opéra de Paris, c’est exactement cela. Même au bal, même dans ses grands moments de frivolité, une ombre plane sur elle. La joie est comme feinte, la séduction déguisée. Il y a déjà dans ses gestes comme une petite tristesse – au début une lassitude de cette vie de cocotte, puis une véritable peur.
Dès le début de l’histoire, Marguerite est condamnée, par sa maladie et par le destin. Et Isabelle Ciaravola a su, avec beaucoup de délicatesse, faire ressortir cette tragédie latente tout au long de cette représentation. C’est ce qui fait que sa Marguerite est complexe, changeante, humaine, et par là attachante. Sa vie ne lui convient pas forcément. Elle a comme une forme de pureté cachée à l’intérieur malgré ses nombreux riches amants. Elle un peu prisonnière, un peu consentante. Armand, c’est un grand amour, mais c’est aussi l’occasion de se libérer d’une situation qui ne lui convenait plus (et qui ne lui a peut-être jamais plu).
Avec cette Marguerite qui porte si bien la tragédie, les plus beaux moments du ballets ne sont donc peut-être pas les pas de deux amoureux, mais plutôt sa confrontation avec le Destin, Manon. La Dame aux camélias de John Neumeier a ceci de particulier qu’elle met en abîme une toute autre histoire, celle de Manon Lescaut, écrite bien plus tôt. L’histoire débute ainsi avec Marguerite assistant à une représentation de Manon. Mais au fur et à mesure du ballet, Manon quitte le théâtre pour devenir un fantôme hantant Marguerite, sa conscience, le Destin. Marguerite ne veut pas finir comme elle, morte d’épuisement et de misère, mais peut-être vraiment échapper à ce qui semble tracé ? Le pas de deux du deuxième acte entre Marguerite et Manon reste ainsi le point culminant de cette représentation, le point de basculement. Myriam Ould-Braham a quitté son sourire de représentation du premier acte pour une certaine sévérité. C’est ce qui fait que son personnage quitte son simple statut de Manon pour devenir la conscience de Marguerite.
Entre tout ça, Karl Paquette a eu parfois un peu de mal à exister en Armand Duval. Il manquait comme un soupçon de fraîcheur, de candeur. Dès le premier regard, les deux artistes semblent être comme un vieux couple qui se retrouve, plutôt que comme un jeune couple qui se découvre. Laissant perplexe au premier acte, ce rapport devient plus consistant au fil de la pièce, pour amener à quelque chose de très touchant au troisième acte. C’est une question de confiance, de déchirement. C’est aussi une question de deux interprètes qui se reconnaissent sur scène, et dont les portés acrobatiques sont d’une totale fluidité. Un quelque chose qui a manqué à la plupart des autres couples en scène ce soir-là, semblant plus soucieux de ne pas se casser la figure qu’autre chose.
Isabelle Ciaravola est une magnifique Marguerite, mais malheureusement, elle ne peut pas faire tout le ballet. Ainsi, dans les scènes d’ensemble, un ennui quelque peu insidieux s’est fait ressentir. Les costumes sont beaux, les décors sont beaux, mais il y a comme l’impression d’assister pendant deux heures aux mêmes scènes, si ce n’est la couleur des robes qui change. Est-ce le ballet qui est mal construit ? Est-ce cette compagnie finalement pas si à l’aise dedans ? Il manquait un peu de sel et de poivre pour donner de la consistante à tout ça, un peu de veulerie, de grossièreté.
La partie de campagne fut l’exception, entre Samuel Murez (le Duc) à la grande présence théâtrale et Christophe Duquenne plutôt drôle en Gaston racoleur. Mais seule Eve Grinsztajn arriva tout au long du ballet à caractériser vraiment son personnage, à arriver à le distinguer de la masse (et encore, elle avait une perruque blonde. Beurk, mais quelle idée !). Le reste donnait plus l’impression d’être en compagnie de charmants bourgeois bien sages qu’au milieu d’une bande de demi-mondaines et de leurs amants débridés.
La Dame aux camélias de John Neumeier par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Avec Isabelle Ciaravola (Marguerite Gautier), Karl Paquette (Armand Duval), Laurent Novis (Monsieur Duval), Myriam Ould-Braham (Manon), Fabien Révillion (Des Grieux), Eve Grinsztajn (Olympia), Christophe Duquenne (Gaston Rieux), Nolwenn Daniel (Prudence), Samuel Murez (Le Duc), Karine Villagrassa (Nanine) et Simon Valastro (Le Compte de N). Lundi 23 septembre 2013.
Joelle
Tu me donnes beaucoup de regrets (le tempérament corse s’accomode effectivement bien avec la tragédie), mais mon planning est trop plein pour essayer de rajouter une date avec Isabelle et karl. Snif….
a.
Vous l’expliquez très bien, Amélie. je crois que vous avez raison, c’est ça la tragédie.
Sissi
J’ai assisté à la représentation d’hier soir et Isabelle Ciaravola et Karl Paquette étaient sublimissimes. J’avais déjà vu ce ballet mais jamais je n’avais été autant transportée qu’hier soir, j’avais envie de pleurer devant leur histoire d’amour. Les portés paraissaient tellement simples, c’était très bien dansé, très bien interprété, tout était parfait ! une soirée magique. Ils ont été très applaudis à la fin. J’avais bien envie d’aller à la sortie des artistes pour les féliciter mais je n’ai pas osé finalement…
Joelle
Bon… j’ai craqué…. viens de trouver deux billets pour dimanche soir 29 septembre avec les dénommés Isabelle et Karl… Banzaï !
Et dire que je dois y retourner lundi soir avec Aurélie et Hervé ! 🙂
Joelle
On en revient (bis!) et nous sommes sous le charme… Isabelle C. fut effectivement une Marguerite de tragédie avec son Karl P. (qui a bien joué l’amant un peu inconscient). Eve G. fut adorable en Olympia (même avec sa perruque blonde, mais si, mais si !). Myriam O.B. a été superbe en Manon (mieux que dans son rôle d’Olympia). Le corps de ballet a beaucoup mieux dansé (plus ensemble…). Standing ovation à la fin, ça « bravotait » dur !!! Superbe, superbe soirée…
Amélie
@ a. : C’est moi-aussi tel que je le ressens.
@ Sissi : Mais si, il faut oser, les artistes sont toujours très heureux d’entendre de vive voix les remerciements du public.
@ Joëlle : Je crois que cette dernière d’Isabelle Ciaravola en Marguerite a été un grand moment. 🙂
Joelle
C’est clair ! tous ceux que j’ai pu rencontrer ou bien sur les forums sont restés scotchés par la magie de cette soirée. A contrario, la « première » d’Aurélie Dupont et Hervé Moreau hier soir a été plus chaotique, même s’ils se sont bien rattrapés au troisième acte.
Joelle
@Amélie : es-tu sûre que les artistes sont toujours heureux d’être « accueillis » à la sortie des artistes ? Je m’imagine un Karl P. ou une Isabelle C. épuisés après trois heures de représentation, certainement très heureux de leur prestation et de la réaction du public, mais s’ils doivent encore papoter/signer des autographes pendant un moment… ca ne le fait sans doute pas toujours… De mon expérience de 30 ans de concerts (de rock – je sais, ce n’est pas la même chose), c’est quelque chose que j’évite… En revanche, il est vrai que j’ai constaté à Rueil (Désordres – 3ème étage) que les compliments que j’ai pu faire ou bien mon mari à certains jeunes danseurs en leur disant qu’on les avait vus dans telle ou telle représentation, leur a fait très plaisir, mais ce sont de jeunes danseurs… Je n’ai pas osé ce soir-là aller « m’attaquer » à Agnès Letestu présente dans la salle ! :), ni Marie-Agnès Gillot à une autre occasion – après une représentation du Boléro (c’est mon mari qui y est courageusement allé pour la remercier, mais très brièvement).
Amélie
@ Joëlle : Je pense qu’il ne faut pas confondre « Aller dire bonsoir aux artistes et les féliciter à la fin du spectacle » et « leur tenir la jambe pendant 30 minutes ». Je ne pratique pas vraiment l’entrée des artistes, mais je sais que les danseurs et danseuses sont toujours ravi-e-s lorsqu’un spectateur ou une spectatrice vient les remercier de vive voix. Contrairement aux rockeur, je pense que les danseurs aimerait bien avoir un peu plus de « fans » qui les attendent, justement.
Joelle
Je suis totalement d’accord ! Je ne me vois pas aller leur tenir la jambe pendant une demi-heure ! Je me suis trouvée hier soir à l’Entrée des Artistes de l’Opéra Garnier en attendant le début de la visite du dit Opéra (fort intéressante d’ailleurs) et j’ai vu une étoile passer… mais je ne l’ai pas abordée ! A noter que sur la quinzaine de personnes que nous étions dans le cadre de la visite, très peu de personnes l’ont reconnue ! En jean et sans maquillage, cela change la personne !!! 🙂