Itinérances de Nicolas Le Riche
Nicolas Le Riche s’en va de l’Opéra. Mais ne prononcez pas le mot « retraite », le danseur n’a aucune envie de quitter la scène. Et Itinérances n’est pas une tournée d’adieux. Plutôt un projet artistique autour de chorégraphes qui lui tiennent à coeur, une façon de prolonger la scène, de trouver un terrain en dehors de l’Opéra après plus de trente ans passés dans l’institution.
Le mot « retraite » sonne d’ailleurs bizarrement après ce spectacle. Sur scène, trois des quatre interprètes sont censés l’être ou bientôt. Pourtant, chacun-e s’y est montré-e au sommet de son art. Isabelle Ciaravola, Clairemarie Osta, Nicolas Le Riche et Russell Maliphant ont porté les pièces, transformant tout en grands instants de danse, en moments suspendus. C’est une question de charisme, d’expérience, de maturité, de personnalité, d’aboutissement, de différenciation. Les chorégraphies choisies pouvaient parfois laisser hésitant-e, mais les quatre interprètes ont su retenir les souffles et capter regards et esprits. Avec, en petit plus, une salle intimiste permettant d’être si proches des artistes.
Critical Mass de Russell Maliphant démarre comme un sympathique échauffement du public, une pièce qui semble être légère et qui séduit au fur et à mesure. Nicolas Le Riche et le chorégraphe sont en scène pour ce duo. Tout commence simplement, quelques gestes, une façon si décontractée de danser, nous sommes là pour se faire plaisir (côté scène comme côté public). Puis la musique change, devient plus marquée rythmiquement. Les corps prennent de l’ampleur. Le geste est fluide, rapide, ancré au sol et léger comme un souffle. Pas de prétention dans ce duo, mais une belle façon de danser et une grande complicité.
Venant juste après, Annonciation d’Angelin Preljocaj n’en paraît que plus fortement trop sophistiqué. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, semble s’amuser le chorégraphe. Créé en 1995, ce duo est un peu trop marqué par son temps et les tics de Preljocaj. Musique électronique déjà entendue, pas de deux plus ou moins lascif, la pièce en soi ne passionne pas vraiment. Mais les deux interprètes, Clairemarie Osta et Isabelle Ciaravola, ont irradié la scène. La première était Marie, lumineuse. D’un geste, d’un regard, la danseuse installe un personnage, introvertie mais pas timide, confiante sans être illuminée. La deuxième est un ange androgyne, à la présence étrange. Un dialogue s’instaure, un peu irréel, un peu mystique et absolument sincère.
Nicolas Le Riche présente ensuite sa création, Odyssée. Une « allégorie de l’amour » selon ses propres propos, dansée, évidemment, avec sa femme Clairemarie Osta. C’est un couple qui avance ensemble, se soutient, surmonte les difficultés avant de se séparer. La pièce peut aussi se voir comme une « allégorie du théâtre« , la relation du danseur avec ce lieu de scène, qui finit forcément à un moment. Si la chorégraphie n’est pas fondamentalement nouvelle, l’écriture est efficace, composée sur mesure pour ces deux interprètes si complices. Les pas de deux s’envolent, grâce à l’immense confiance mutuelle entre les deux artistes. La danse ne semble se heurter à rien, si ce n’est aux sentiments. Nicolas Le Riche excelle dans cette fluidité quand Clairemarie Osta impose une formidable autorité en scène, même si ce n’est pas forcément elle qui guide le tout.
Toute autre ambiance pour Shift, solo de Russell Maliphant dansé par lui-même. Le chorégraphe aime jouer avec les ombres et lumières, souvent au coeur de ses pièces. Shift n’échappe pas à la règle. Par d’habiles jeux de projecteurs, ce n’est pas un danseur qui est sur scène, mais quatre : Russell Maliphant et ses trois ombres. Le jeu prend et le chorégraphe semble véritablement dialoguer et improviser avec ces drôles de comparses. L’ingénieuse idée a toutefois du mal à tenir sur la longueur, et le solo s’étire un peu trop.
Le meilleur était pour la fin, évidemment. Le Jeune Homme et la Mort de Roland Petit fait partie des grands rôles de Nicolas Le Riche. Il le danse depuis des années (20 ans ?). Et comme Ouliana Lopatkina qui danse chaque Mort du Cygne comme si c’était le premier et le dernier, Nicolas Le Riche s’empare de ce ballet à chaque fois avec une force nouvelle. Les gestes, si étudiés, si connus, si travaillés, semblent instinctifs et jaillir sous la pulsion de la musique (la version à l’orgue de la Passacaille de Bach). Le Jeune homme schizophrène est instable en tout : dans ses gestes, dans sa course, dans ses sauts. Tout semble être à la limite du déséquilibre (même le décor un peu branlant), rattrapé à la dernière seconde d’un élan fulgurant. Isabelle Ciaravola y faisait sa prise de rôle, vénéneuse et séductrice, rappellent l’autre Jeune fille du Rendez-vous. Et c’est à regretter que ce couple n’ait pas plus souvent été formé à l’Opéra, tant ils ont de choses à raconter.
Il y a quelque chose qui me fascine chez Nicolas Le Riche, et qui se déploie particulièrement dans Le Jeune Homme et la Mort : le mélange entre son immense intelligence du geste portée par cette maturité de plus de 20 ans de carrière, et cette juvénilité, ce quelque chose que l’on a quand on démarre la danse, de tout-fou, qui chez lui n’est jamais partie. Quel drôle de mot décidément que ce « retraite ».
Itinérances, à la Maison de la Culture d’Amiens. Avec Nicolas Le Riche, Russell Maliphant, Clairemarie Osta et Isabelle Ciaravola. Jeudi 17 avril 2014.
Borsberg Stéphane
Bel article pour une belle soirée.
Angie
J’y étais aussi et c’était une belle soirée !
Claire
Il me tarde Aix en Provence !
Cocopumpkins
Je sors juste de la représentation à Cannes, avec Eleonora Abbagnato au lieu d’Isabelle Ciaravola. Le duo fonctionne à merveille avec Claire-Marie Osta dans Annonciation. Elles sont très complémentaires même si effectivement cette chorégraphie verse un peu trop dans l’intellect et n’a pas la même fluidité du mouvement des 4 autres.
Pour le Jeune Homme et la Mort, je partage également cette impression sur un Nicolas Le riche encore une fois magistral dans ce rôle, saisissant dans son interprétation, toujours aussi subtil. On a l’impression qu’il le redécouvre ce rôle, qu’il le savoure. Et c’est un délice de le voir ainsi, et de se faire embobiner par une Abbagnato tour-à-tour piquante et glaciale. Là encore le duo fonctionne et au moment du salut on sent une complicité entre nos 4 danseurs qui fait du bien. Le Riche nous a fait un petit saut de cabris par dessus un élément du décor pour venir saluer: non, à 42 ans, notre étoile n’a rien perdu de sa fougue et de son envie de danser! ça fait du bien!
Voilà pour les nouvelles d’Itinérances du côté de Cannes.