La Fille mal gardée – Laura Morera et Vadim Muntagirov, Royal Ballet de Londres
Avec l’arrivée de La Fille mal gardée, un joli vent de fraîcheur et de fantaisie souffle sur le Royal Ballet de Londres en ce mois d’avril. Un rendez-vous emblématique de la danse anglaise que tout le monde est ravi de retrouver, là où il a connu une renaissance entre les mains du chorégraphe Frederick Ashton en 1960. L’histoire ? Une pastorale toute simple, légère, presque régressive. Lise, la fille unique de la veuve Simone, est amoureuse de Colas, un jeune fermier. Sa mère a d’autres projets en tête pour elle : épouser Alain, le fils d’un riche vigneron. En fin de compte, l’amour triomphera. Une sorte de cousine de Giselle, la tragédie et la fatalité en moins. Sur le papier, voilà un ballet qui penche donc dangereusement vers le niais. Mais sur scène, place à la réalité gentiment déjantée de cette Fille mal gardée, où des poules géantes sonnent les matines et un (vrai !) poney des Shetlands trottine sur scène.
Laura Morera incarne une Lise dont la verve n’a d’égale que la modestie. Elle séduit de par son intelligence sans passer par la case sourires ravageurs et mimiques exagérées. Avec un jeu remarquablement peu maniéré, sa Lise est une héroïne tout en tendresse et malice subtile. Dès le premier acte, elle manie le ruban à merveille, avec douceur et souplesse sans tomber dans le numéro de GRS. L’accessoire devient entre ses mains, singulièrement vivantes, un simple accessoire : charmant mais jamais encombrant. Tout au long du ballet, elle danse avec une grande musicalité et un magnifique sens du contraste.
Cette danseuse expérimentée est associée sur cette série à Vadim Muntagirov qui faisait ce soir sa prise de rôle. Ce dernier, face à la mesure de sa partenaire, oppose une fougue technique et théâtrale de jeune poulain. Un partenariat à priori contre-intuitif. Mais paradoxalement, cette exubérance juvénile est finalement la bienvenue : elle réchauffe d’un brin de folie très slave une représentation menée par un corps de ballet très à l’aise mais un peu trop policé à mon goût. Son enthousiasme débordant (quels sauts !) et ses belles extensions lui permettent donc d’interpréter un Colas fort convaincant malgré un physique pourtant plus proche du prince que du paysan. Les deux partenaires, s’ils ne sont guère assortis, se complètent donc de manière intéressante et s’enroulent l’un l’autre dans le ruban rose avec panache.
Alain, dansé par Paul Kay, est l’idiot du village, tout droit sorti d’un film muet de Charlie Chaplin, 100 % d’inspiration burlesque lorsqu’il s’envole sur son parapluie rouge. Ses gestes raides rappellent la mécanique d’une machine devenue folle.
Mais la vraie respiration comique ce soir est apportée par Will Tuckett, proprement génial, dans le rôle de la veuve Simone, à la délicieuse mine un brin friponne. Que trouver à redire à sa performance ? On s’attend à rire, bien sûr, mais pas à trouver ce personnage véritablement attachant en lieu et place d’une simple caricature. La différence avec d’autres interprètes, c’est la bienveillance amusée de l’artiste pour son propre personnage. L’alternance entre sérieux et farce, infiniment plus efficace, permet au comique de naître avec davantage de spontanéité, comme dans la danse des claquettes : un vrai régal qui fait travailler les zygomatiques à plein régime. Le jeu du chat et de la souris entre Simone et Lise donne également lieu à des passages des plus divertissants. De quoi donner une furieuse envie d’aller faire un saut du côté du Suffolk cher au chorégraphe.
La Fille mal gardée de Frederick Ashton, par le Royal Ballet de Londres au Royal Opera House. Avec Laura Morera (Lise), Vadim Muntagirov (Colas), Will Tuckett (Simone), Gary Avis (Thomas) et Paul Kay (Alain). Jeudi 16 avril 2015.