La Source – Sae Eun Park, Audric Bezard, Alice Renavand et Emmanuel Thibault
Sae Eun Park a un cv parfait (Prix de Lausanne, médaille d’or à Varna) et une progression ultra-rapide dans le corps de ballet (entrée en 2012, Sujet en 2014 et Première danseuse sans nul doute très bientôt). Mais elle n’est pas forcément en première place des jeunes espoirs dans le coeur du public. Uniquement technicienne sans l’âme d’une interprète ? Titulaire du rôle de Naïla dans La Source, Sae Eun Park a démontré dès sa première qu’elle n’avait pas qu’une magnifique virtuosité à proposer.
Son premier acte fut ainsi un petit régal. Frêle et fine, Sae Eun Park a l’allure pour danser une nymphe des bois. Elle y a rajouté une joie de vivre tout enfantine, un air mutin et vif, une envie de jouer désarmante. Un véritable être de l’imaginaire, trop volatile pour être humain. La danseuse se sert de toutes ses superbes qualités techniques, sa danse si ciselée, précise et aérienne ne peut que donner vie à Naïla. Elle a de plus, déjà, un certain sens de la nuance. C’est ainsi un équilibre qu’elle va tenir un peu plus longtemps, un léger ralenti dans un mouvement de bras, ces petites choses qui apportent de la profondeur à un jeu et une danse.
Le deuxième acte posa un peu plus de problèmes. Dans sa forêt mystérieuse, la Naïla de Sae Eun Park est comme chez elle. Dans le monde terrien, la nymphe sait beaucoup moins bien sur quel pied danser. Tout l’intérêt du deuxième acte vient de la confrontation entre ces deux univers. Mais face à Yann Saïz, excellent Khan se prenant de passion pour la fée, Naïla devenait de pus en plus humaine. Son charme juvénile du début se perdait un peu, n’arrivant pas rester complètement dans son rôle.
C’est de plus dans son ensemble que la distribution avait du mal à se trouver pour cette deuxième partie. Chacun jouait son rôle, parfois très joliment, parfois avec quelques maladresses, mais tous un peu trop concentrés sur soi-même pour se fondre dans l’histoire commune. La Source a ses défauts dans son livret, qui peut se compenser si sa distribution fonctionne sur la même corde. Mais manque de répétition ensemble ? Le trio amoureux ne marchait pas vraiment et personne ne regardait vraiment les autres. Et plus que la mort de Naïla ou le détachement de Djemil, c’est bien le désespoir de Zaël, toujours formidable et bondissant Emmanuel Thibault, qui serrait le coeur.
Tout comme Sae Eun Park, Alice Renavand a été bien plus convaincante en Nouredda dans le premier que dans le deuxième acte. Ce dernier, d’ailleurs plus déséquilibré, pose décidément certains problèmes d’interprétation. Au milieu des danses de caractère, Alice Renavand se révèle une très belle jeune fille à marier. Sans avoir le sens dramatique d’Eve Grinsztajn dans ce même rôle, l’Étoile jouait sur l’ambivalence mélancolie inexpliquée/joie du mariage et de trouver une position dans la société. Mais au deuxième acte, la danseuse s’est transformée en héroïne amoureuse, touchée au coeur de perdre son homme (alors qu’il s’agit avant tout de faire un beau mariage, seul rôle dévoué aux femmes). Et c’est un peu comme si Alice Renavand s’était trompée de ballet, jouant une héroïne néo-classique tragédienne alors qu’elle était dans un ballet romantique.
Côté masculin, Audric Bezard en Djemil et Jérémy-Loup Quer en Mozdock cherchaient en permanence dans quelle direction aller. Djemil pose décidément des soucis aux interprètes, qui mis à part François Alu, cherchent désespérément quoi faire du personnage. Malgré un certain métier, du tempérament et des belles variations brillantes, Audric Bezard resta plutôt transparent, ni intéressé par Naïla, ne semblant pas non plus follement attiré par Noureeda. Avec beaucoup moins d’expérience, Jérémy-Loup Quer montra de belles qualités de soliste dans sa danse et du caractère. Mais là encore, son personnage ne savait pas vraiment où aller. Entre amant outré et grand frère protecteur et gentil sur le fond, il faut choisir. Cheveux au vent et regard ténébreux, l’affrontement entre ces deux danseurs était un vrai duel de beaux gosses, ce qui est déjà ça, mais pas beaucoup plus.
Grâce à ses superbes scènes d’ensemble, La Source garde tout de même de la force, même si les personnages principaux se perdent un peu. Les danses des nymphes restent une merveille, celle des favorites ou des danses de caractère toujours aussi agréables. De quatre, les elfes sont passés à deux. Mais Marc Moreau et Fabien Révillion déployèrent assez d’énergie pour faire oublier le manque. Laurène Levy fut enfin une intéressante Dadjé, fulminante, jalouse et diablement glamour. Des rôles principaux aux surnuméraires, et malgré les blessures qui se multiplient qui ne doivent pas rendre les choses faciles pour ceux et celles qui restent, La Source est décidément un très bon projecteur sur tous les talents de la troupe.
La Source de Jean-Guillaume Bart par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Avec Sae Eun Park(Naïla), Alice Renavand (Nouredda), Audric Bezard (Djémil), Jérémy-Loup Quer (Mozdock), Emmanuel Thibault (Zaël), Laurène Levy (Dadjé) et Yann Zaïz (le Khan). Vendredi 19 décembre 2014.
A
J’ai vu également cette belle représentation, et je suis du même avis que vous. Pour moi, la danse de Sae Eun Park se résume en un mot : aérienne. J’étais plus que surprise. Quand à Audric Bezard, je ne sais pas si je suis la seule à avoir eu cette impression, mais je l’ai trouvé plutôt fatigué.. Dommage car c’est un très beau danseur